POINT DE VUE

Le DSM inadapté pour la prise en charge des phobies, selon un psychiatre brésilien

Dr Reinaldo Hamamoto, Dr Sivan Mauer

Auteurs et déclarations

4 août 2021

São Paulo, Brésil ― Quel diagnostic poser face aux manifestations de phobies et quelle prise en charge envisager? Dans une interview publiée dans l’édition portugaise de Medscape, le Dr Sivan Mauer, psychiatre à São Paulo (Brésil), rappelle que la phobie est bien souvent le symptôme d’une pathologie sous-jacente, qui se révèle parfois bien plus grave qu’un simple état anxieux. Il critique au passage le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux (DSM-5) qui, selon lui, propose une démarche diagnostique erronée, basée essentiellement sur la symptomatologie, alors que l’évolution de la maladie doit aussi être prise en compte. Il appelle à une autre approche, axée sur la clinique, qui permettrait de limiter le recours aux antidépresseurs, bien trop souvent prescris de manière inadaptée.

Medscape : Le sujet des phobies suscite beaucoup d’intérêt. Quelle est votre expérience dans la prise en charge des patients atteints de ce type de troubles?

Dr Sivan Mauer: Effectivement, on s’intéresse beaucoup aux manifestations de phobies rares, comme en témoignent les articles de presse et les films qui abordent le sujet. Pour autant, la phobie n’est pas un motif fréquent de consultation en psychiatrie clinique. En général, les patients viennent consulter parce qu’ils ne se sentent pas bien dans des espaces ouverts, qu’ils ont peur de voyager en avion, ou de certains animaux comme les chiens ou les araignées.

Les phobies doivent être considérées comme un symptôme, la partie immergée de l'iceberg d'un diagnostic forcément plus large lorsque la psychiatrie est abordée de manière clinique.

Tout d’abord, il faut bien comprendre qu’une phobie est un trouble anxieux. Comme le décrit Emil Kraeplin [psychiatre allemand fondateur de la psychiatrie moderne, ndr], l’anxiété est une conséquence, le symptôme clinique d’un processus pathologique [1]. Dans la plupart des cas, les phobies sont des réponses à un danger sur lequel il n’y a pas de contrôle possible. On peut tenter d’expliquer que le risque de décéder en voiture est bien plus important qu’en avion, mais cela n’a aucun effet, car une voiture peut être stoppée pour mettre fin au danger, alors que ce n’est pas le cas en avion. La phobie la plus souvent rencontrée est la phobie sociale, qui se caractérise par une difficulté à interagir avec autrui ou à s’exprimer en public. Qu’elles soient communes ou rares, les phobies doivent être considérées comme un symptôme, la partie immergée de l’iceberg d’un diagnostic forcément plus large lorsque la psychiatrie est abordée de manière clinique.

Pour aboutir à un diagnostic, il est nécessaire d’effectuer une évaluation approfondie, en mettant de côté le DSM, qui se présente avant tout comme un catalogue de symptômes associés à des pathologies. En psychiatrie, on perçoit les diagnostics de manière hiérarchisée. En haut de la pyramide, on trouve les troubles de l’humeur, puis se succèdent en allant vers le bas les troubles psychotiques, la schizophrénie et d’autres troubles. Or, les troubles psychotiques, tout comme la schizophrénie sont associés à des symptômes anxieux [2,3,4]. C’est à partir des années 1980, alors que l’anxiété était souvent évoquée en consultation par les patients, qu’une catégorie consacrée au trouble anxieux généralisé a été créée dans la troisième version du DSM (DSM-III), sans réel fondement. À cette époque, on s’est détourné de la notion de tempéraments, pourtant fondamentale dans la psychiatrie d’Emil Kraeplin, qui donnait de l’importance à l’évolution de la maladie, en tenant compte de son éventuel caractère chronique ou du risque de récidive [5,6].

Le DSM, en revanche, se focalise davantage sur les symptômes propres aux maladies et tente de distinguer les différents épisodes de manie en regroupant de multiples symptômes considérés comme étant à l’origine d’un trouble anxieux généralisé ou d’un trouble dépressif majeur. Cette classification englobe beaucoup de choses et, au final, tout est traité par antidépresseur.

Quelles sont les principales pathologies sous-jacentes au symptôme de la phobie? Comment le médecin généraliste peut-il poser un diagnostic?

En psychiatrie, un bon diagnostic doit passer par un certain nombre de « validateurs » de la médecine clinique, qui se sont retrouvés renforcés dans les années 1970 sous l’influence des « néo-kraepeliniens » américains. Il s’agit avant tout de définir la maladie par sa symptomatologie et son évolution (état chronique, récidive…).

J'ai une patiente traitée pour un trouble bipolaire, qui réside aux USA. Là-bas, son médecin référent tente de la convaincre qu'elle souffre d'un trouble de stress post-traumatique, alors qu'elle n'a aucun antécédent de traumatisme.

Des travaux ont pu montrer que les différences de prévalence de la schizophrénie observées entre l’Angleterre et les Etats-Unis s’expliquent par le fait qu’un patient présentant des symptômes psychotiques est considéré aux Etats-Unis comme schizophrène, qu’importe l’évolution de la maladie. Cette approche est toujours d’actualité. J’ai une patiente traitée pour un trouble bipolaire, qui réside aux Etats-Unis. Là-bas, son médecin référent tente de la convaincre qu’elle souffre d’un trouble de stress post-traumatique, alors qu’elle n’a aucun antécédent de traumatisme.

Le diagnostic doit tenir compte de la présence ou de l’absence de symptômes, puis intégrer l’évolution de la maladie, en termes de chronicité ou de récidive, ainsi que la réponse au traitement. La réponse au traitement est un validateur moins important, mais il a sa place. Bien que peu nombreux, les marqueurs biologiques de la maladie sont aussi des validateurs. C’est le cas par exemple des micro-infarctus dans la dépression vasculaire [dépression organique associée à des facteurs de risque vasculaire, résistante au traitement par antidépresseur, ndr].

La phobie peut concentrer toute l'attention du patient, mais il ne s'agit pas toujours du plus important.

Lors de la consultation, le médecin peut vérifier si la phobie est le symptôme principal, mais cela ne signifie pas pour autant que le diagnostic pourra être posé. On peut faire l’analogie avec une toux par exemple. Elle est généralement liée au système respiratoire, mais on sait aussi qu’elle peut être la conséquence d’un reflux ou un effet indésirable d’un médicament. La phobie peut concentrer toute l’attention du patient, mais il ne s’agit pas toujours du plus important. Le praticien doit pouvoir évaluer l’évolution de la maladie, la présence d’une agitation, d’une insomnie, d’une irritation, d’idées suicidaires… C’est ce type d’évaluation que nous devons mener [7,8].

Lorsqu’une anxiété est diagnostiquée, c’est un traitement par antidépresseur qui est généralement prescrits. Pourtant, lorsque le patient se plaint d’un état anxieux, le diagnostic peut être tout autre. Par exemple, en cas de récidive, il s’agit plus souvent d’une conséquence d’épisodes mixtes [de trouble bipolaire combinant dépression et manie], ce qui n’est plus pris en compte depuis les années 1980. Aujourd’hui, en utilisant les critères du DSM-IV, il est impossible de diagnostiquer un épisode mixte. Seule une observation en clinique peut aboutir à ce diagnostic, lorsque s’observe une agitation psychomotrice se traduisant par une pensée accélérée, à l’origine d’insomnie, une tension musculaire ou un état anxieux. Beaucoup de patients finissent par présenter des phobies. Par exemple, des patients que j’ai traités pour un épisode mixte ne pouvaient pas voyager en avion ou se présenter en public. Une fois sortis de ces épisodes, ils se plaignaient moins de leurs phobies.

Si on suit tous le DSM, on est confronté à un risque élevé d'erreur de diagnostic, car on ne suit pas une démarche fondée sur la science.

Je pense que si nous suivions tous le DSM, nous sommes confrontés à un risque élevé d’erreur de diagnostic, car nous ne sommes pas en train de suivre une démarche fondée sur la science. C’est dommageable pour la psychiatrie clinique. C’est le Dr Nasir Ghaemi, qui m’a guidé aux Etats-Unis lors de mon master de psychiatrie, qui m’a fait prendre conscience que le manuel est erroné. La manière dont a été élaboré le DSM ne bénéfice pas à notre spécialité.

La prise en charge thérapeutique peut-elle être coordonnée par le médecin généraliste ou faut-il adresser le patient à un psychiatre?

Je pense qu’il faut distinguer plusieurs contextes. En l’absence de psychiatre dans la zone géographique, le médecin doit accompagner le patient, à condition qu’il ne soit pas dans une vision « noir ou blanc » de la psychiatrie. Un antidépresseur ne résoudra pas forcément le problème et peut même aggraver la situation. C’est ce qui est pourtant proposé de manière systématique dans le DSM. Dans ma pratique quotidienne, mon travail consiste bien souvent à poser un diagnostic correct et à retirer les antidépresseurs prescrits de manière inadaptée, ce qui n’est pas toujours simple en raison du sevrage parfois nécessaire avec ce type de traitement.

J’ai une patiente qui prenait des antidépresseurs depuis des années et qui avait peur de voyager en avion. Elle était traitée pour une dépression et la phobie faisait partie du syndrome. Elle a parcouru 2 000 kilomètres pour venir consulter. Je l’ai convaincue ensuite de passer par une téléconsultation. J’ai décidé de substituer son antidépresseur par un antipsychotique à faible dose pour traiter ce qui s’avérait être un épisode mixte grave. Elle a finalement pu se mettre à voyager en avion.

Il ne faut pas oublier que les appellations des médicaments peuvent induire en erreur. Les antidépresseurs et les antipsychotiques sont utilisés pour traiter d’autres pathologies et les stabilisateurs de l’humeur ne stabilisent rien.

Quels sont les soins à apporter lors d’un suivi à court et à long terme?

L’essentiel est de pouvoir compléter le diagnostic, puis de prescrire le traitement adapté. Un bon diagnostic ne signifie pas forcément qu’il soit nécessaire de consulter le DSM. Selon l’adage « un diagnostic est un pronostic », un diagnostic de schizophrénie est, par exemple, associé à un pronostic plus réservé que dans le cas d’une maladie maniaco-dépressive. Il s’agit d’une maladie chronique pour laquelle nous ne disposons pas de médicament agissant sur son évolution [8]. Le lithium, en revanche, apporte un avantage majeur dans le traitement de la maladie maniaco-dépressive et du trouble bipolaire. Dans le cas de l’anxiété, l’agitation psychomotrice est un signe clinique important à évaluer. Moins il y a d’agitation, plus la réponse au traitement sera bonne.

Pourriez-vous indiquer des études récentes que les médecins devraient connaitre?

La psychiatrie est une spécialité qui doit avoir une approche clinique. Elle n’est malheureusement pas perçue comme telle. Certains pensent aussi que nous ne prescrivons que des antidépresseurs. Il est vrai que cette classe de médicaments, qui devrait être la moins prescrite, est finalement la plus utilisée. En utilisant des validateurs, nous comprendrons que la prescription d’antidépresseurs peut être limitée. Mais la mise en évidence des troubles dépressifs majeurs et l’importance donnée aux symptômes dépressifs, en niant les symptômes maniaques, ont conduit à une prescription systématique des antidépresseurs.

Plutôt que d'évoquer l'humeur du patient, il faut évaluer la vitesse à laquelle il enchaîne ses pensées.

On ne devrait pas demander à une personne si elle se sent triste pour tenter de diagnostiquer un « trouble de l’humeur », qui est d’ailleurs une appellation incorrecte. On devrait plutôt parler de « trouble de la psychomotricité » pour faire référence à ce qui est considéré depuis des années comme l’un des meilleurs marqueurs cliniques. Plutôt que d’évoquer l’humeur du patient, il faut évaluer la vitesse à laquelle il enchaîne ses pensées. Le recours au DSM altère la démarche diagnostique. C’est comme utiliser une mauvaise carte.

L’Institut national américain sur la santé mentale (NIMH) a déclaré que les subventions ne pourront plus être demandées en se basant sur des critères du DSM. Or, les études scientifiques s’appuient sur ces critères. Il m’est donc difficile de citer des recherches pertinentes sur les phobies et l’anxiété.

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