Maastricht, Pays-Bas – Selon une méta-analyse portant sur près d’une centaine d’études, la prévalence des démences du sujet jeune, définies comme survenant avant 65 ans, est largement sous-estimée [1]. Ces démences toucheraient près de 4 millions de personnes dans le monde, soit deux fois plus que ce qui était avancé jusqu’à présent.
Bien que cette nouvelle estimation soit plus élevée que ce que l’on pensait précédemment, « il est probable qu’elle soit encore sous-évalué par manque de données de qualité », notent les auteurs de l’étude. « Ces résultats devraient alerter les autorités et les soignants sur la nécessité d’améliorer la prise en charge de ces sous-groupes de patients atteints de maladie neurodégénérative. »
Retard de diagnostic
Les démences précoces surviennent essentiellement à partir de 45 ans. Il peut s’agir d’une démence secondaire (démences liées au VIH, sclérose en plaques, démence vasculaire…), ou plus fréquemment de maladies dégénératives, notamment la maladie d’Alzheimer. La présence de signes cliniques atypiques (formes non amnésiques) ou de troubles psycho-comportementaux induisent souvent un retard diagnostique.
L’apparition d’une démence chez un sujet jeune a un retentissement considérable sur la vie professionnelle, sociale et familiale de l’individu, soulignent les chercheurs. En plus d’être souvent retardée en raison d’un mauvais diagnostic, la prise en charge est généralement inadaptée, alors que ces patients confrontés à une maladie neurodégénérative ont encore des responsabilités professionnelles et potentiellement des enfants à charge.
Pour évaluer la prévalence des démences précoces, le Dr Stevie Hendriks et ses collègues (School for Mental Health and Neuroscience, Alzheimer Centre Limburg, Maastricht University, Pays-Bas) ont colligé les données de près de trois millions de sujets issues de 95 études internationales publiées entre 1990 et 2020. Celles-ci ont été conduites majoritairement en Europe, mais aussi en Asie, en Amérique du Nord et en Océanie.
Selon les estimations les plus récentes, la prévalence au niveau mondial des démences précoces varie de 42 à 54 cas pour 100 000 individus. Après analyse des données et ajustement notamment selon l’âge, les chercheurs estiment de leur côté que cette prévalence est de 119 cas pour 100 000 individus, ce qui correspond à un total de 3,9 millions d’individus âgés de 30 à 64 ans souffrant de démence dans le monde. Hommes et femmes sont affectés de la même façon.
Plus rare avant 60 ans
La démence précoce reste très rare entre 30 et 34 ans (1,1 cas pour 100 000 individus), tandis qu’elle est plus fréquente entre 50 et 54 ans (10 cas pour 100 000 individus) et encore plus entre 60 et 64 ans (77,4 cas pour 100 000 individus). « Nos résultats confirment que la prévalence augmente de façon exponentielle à partir de 60 ans », commentent les auteurs.
L’analyse montre que la maladie d’Alzheimer précoce est la démence la plus fréquemment observée, suivie de la démence vasculaire (détérioration des capacités cognitives consécutive à un AVC) et de la dégénérescence lobaire fronto-temporale (altération progressive des zones frontales et temporales du cerveau se traduisant par des troubles du comportement et du langage).
Il apparait des disparités entre les pays. La prévalence est plus faible dans les pays à haut revenus (663 cas en données brutes pour 100 000 habitants) et plus élevés dans les pays à revenus intermédiaires (de 764 à 1873 cas pour 100 000 habitants). Pour les pays à bas revenus, les données sont insuffisantes, d’où une possible sous-estimation de la prévalence globale, précisent les auteurs.
En prenant l’exemple des Etats-Unis, les chercheurs estiment que le pays compte près de 175 000 personnes de moins de 65 ans atteintes de démence, contre 5 millions chez les plus de 65 ans. Les moins de 65 ans représentent donc entre 3 et 5% des cas de démence recensés aux Etats-Unis.
Des soins non adaptés
Pour affiner les estimations, ils estiment que « des efforts devront être menés pour avoir davantage d’études de cohorte et standardiser les protocoles dans les études épidémiologiques ». En outre, « il est nécessaire d’avoir davantage de données provenant de pays à bas revenus, ainsi que des études incluant davantage de sujets avec des tranches d’âge plus jeune ».
Le suivi de la prévalence des démences précoces est « indispensable » pour organiser de manière appropriée la prise en charge de ces patients, ajoutent les auteurs. Le diagnostic, qui est posé dans un délai moyen de 4,4 ans après l’apparition des symptômes, pourrait également être amélioré. Ce retard de diagnostic pourrait aussi être à l’origine d’une sous-évaluation de la prévalence des démences du sujet jeune.
Dans un éditorial accompagnant la publication, le Dr David Knopman (Department of Neurology, Mayo Clinic, Rochester, Etats-Unis) estime que cette étude apporte un nouvel éclairage sur « un problème de santé sous-estimé » [2].
L’impact psychologique d’un diagnostic de démence précoce est d’autant plus lourd que « la plupart des soins sont destinés aux patients plus âgés », note le neurologue. « Les services de santé sont rarement en capacité de répondre aux besoins d’un individu dans la cinquantaine atteint de démence, alors qu’il a des enfants à charge et que son épouse doit continuer de travailler. »
« Comprendre la prévalence et l’incidence des démences précoces est une première étape pour relever le défi » d’une meilleure prise en charge, estime-t-il. Avec cette étude, les auteurs ont « rendu un service », en apportant « une base pour engager davantage d’efforts dans l’amélioration des méthodes de diagnostic rapide et pour mieux répondre aux besoins des patients présentant une démence », conclut le Dr Knopman.
En France, un accompagnement à initier au plus tôt
Compte tenu des conséquences professionnelles, financières et familiales, « l’accompagnement médico-social doit être le plus précoce possible » chez les patients adultes jeunes atteints d’une maladie neurodégénérative, précise la Haute autorité de santé (HAS) dans ses recommandations sur le parcours de soins des patients présentant un trouble neuro cognitif associé à la maladie d’Alzheimer ou à une maladie apparenté.
L’impact de la maladie sur la vie professionnelle du patient doit être évalué « dès l’annonce du diagnostic », en intégrant la médecine de travail pour accompagner le patient dans ses démarches (ré-orientation professionnelle, adaptation de poste, arrêt maladie, congé ordinaire de maladie ou de longue maladie, pension d’invalidité). La Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) est également impliquée.
« Le maintien au domicile est souvent difficile, en raison des troubles psycho-comportementaux », mais les structures adaptées à l’accueil des patients jeunes manquent, rappelle la HAS. Selon une étude de la fondation Méric Alzheimer, 80% des structures interrogées estiment ne pas avoir les conditions idéales pour accueillir ces patients (formation des équipes inadaptée, cohabitation avec population âgée difficile…) [3].
Des mesures sont envisagées pour améliorer les conditions d’accès des malades jeunes en Ehpad, en structures de répit et en unités cognitivocomportementales (UCC). VR
Cet article a été publié sur Medscape.com sous le titre Prevalence of Dementia Before Age 65 Much Higher Than Expected publié sur. Traduit et complété par Vincent Richeux.
Crédit photo : Getty Images
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Citer cet article: La prévalence des maladies neurodégénératives précoces largement sous-estimée - Medscape - 4 août 2021.
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