
Pr Francis Eustache
France – En ce début août, de nombreux professionnels de santé profitent d’un repos bien mérité après une année chargée. Mais si les congés sont souvent synonyme de déconnexion, de coupure avec la routine habituelle, peut-on réellement mettre son cerveau en vacances, le couper de ses préoccupations habituelles liées au travail ou aux petits tracas du quotidien ? Francis Eustache, neuropsychologue, Président du Conseil Scientifique de l'Observatoire B2V des Mémoires nous aide à comprendre le fonctionnement de notre cerveau lorsqu'il est au repos et nous décrypte le phénomène du réseau du mode par défaut.
Medscape : Peut-on vraiment mettre son cerveau sur « of » ?
Pr Francis Eustache : Sans tâche particulière à accomplir, notre cerveau consomme tout de même 20% des ressources énergétiques de notre organisme, soit seulement 5% de moins que s'il devait effectuer du calcul mental ou se concentrer sur un problème. Les aires cérébrales qui s'activent alors ensemble constituent le « réseau du mode par défaut ». Elles sont principalement situées sur la ligne médiane, à la face interne des deux hémisphères cérébraux. On ne peut donc pas réellement parler de repos pour le cerveau. Celui-ci est toujours en activité même s'il n'a pas de tâche à accomplir.
Medscape : Qu’est-ce que le « réseau du mode par défaut » pour le cerveau ?
Pr Francis Eustache : Le « mode par défaut » est un réseau cérébral, comme d’autres réseaux du cerveau (langage, mémoire). Il a été décrit relativement récemment, à la fin des années 1990, début 2000, dans le cadre d’études en imagerie cérébrale. Il a été mis en évidence dans un premier temps avec la Tomographie par Émission de Positons (TEP) puis avec l'Imagerie par Résonance Magnétique fonctionnelle (IRMf) au repos.
Medscape : Comment a-t-il été découvert ?
Pr Francis Eustache : Dans les années 80, je travaillais dans le centre de Caen avec la TEP, et nous proposions des activités à des personnes pendant la mesure de l’activité cérébrale, par exemple des tâches de langage plus ou moins compliquées qui duraient quelques minutes. Nous réalisions toujours une mesure dite « au repos », pour laquelle nous disions à la personne de ne rien faire, de ne pas orienter sa pensée vers un objet particulier. Nous considérions que c’était la mesure de base de l’activité du cerveau.
La période des années 90 a été extrêmement féconde et a permis de décrire des réseaux de langage, de la mémoire, etc. A un moment, les chercheurs se sont posé la question de cette mesure au repos. Pour nous c’était une mesure de contrôle, mais nous nous sommes rendu compte que le cerveau était quasiment aussi actif pendant le repos que pendant les tâches d’activation. Nous avons alors retourné le problème : puisqu’il y a toujours une activité cérébrale globale, quelles sont les régions qui s’activent pendant le repos ? Nous avons alors découvert qu’il s’agissait des régions de la partie médiane du cerveau, à la face interne des deux hémisphères. Un chercheur américain l’a appelé « réseau du mode par défaut ». Il s’agit du réseau qui se met en place quand le cerveau n’est pas vraiment focalisé sur une activité précise. Désormais, l’IRM fonctionnelle a remplacé la TEP. Nous nous intéressons à la situation de repos chez des sujets sains, mais aussi dans beaucoup de maladies. Dans certains cas, nous couplons l’IRM avec des mesures électro-encéphalographiques qui permettent d’avoir une analyse fine sur le plan temporel.
Le réseau du mode par défaut est une découverte fortuite qui est devenu un thème de recherche important car il permet de découvrir les fonctionnalités de notre cerveau.
Medscape : Quelle est la fonctionnalité de ce réseau ?
Pr Francis Eustache : C’est un réseau très important, qui aurait deux grandes finalités : d’abord, il permet de surveiller l’environnement de façon diffuse. Ce n’est pas une attention focalisée. Nous avons appelé cela la fonction de sentinelle. Dans la vie de tous les jours, c’est par exemple conduire une voiture sur une route tranquille ou sur une autoroute peu fréquentée. S’il y a quelque chose qui se passe, par exemple un animal qui traverse la route, le cerveau va rebasculer sur un mode contrôlé et l’attention va être focalisée sur ce qu’il vient de détecter comme danger potentiel.
Ensuite, cette attention diffuse, peu coûteuse au niveau des ressources cérébrales, nous permet de partir dans nos pensées, dans notre langage intérieur. Pendant ce voyage mental interne, on va consulter notre mémoire autobiographique, revenir sur des événements passés et se projeter dans le futur. Comme c’est un voyage mental, ce n’est pas une expérimentation de la réalité, donc on va aussi échafauder des scenarii plus ou moins plausibles voire totalement fantasmagoriques. On peut aussi traiter de problèmes importants, de questions métaphysiques, existentielles, de choix d’orientation professionnelle ou dans sa vie intime ; ce sont des moments où on fait le point et où on va potentiellement prendre des décisions. C’est une fonction très importante pour notre équilibre psychique, mais aussi, chez l’enfant, pour la construction de son identité. Des études cliniques dans différentes pathologies neuropsychiatriques (Alzheimer, schizophrénie) ont montré que ce réseau est soit modifié, soit déstructuré dans ces maladies. Il peut devenir un marqueur de la santé mentale de la personne.
Medscape : Pourquoi est-il important de mettre son cerveau en mode par défaut ?
Pr Francis Eustache : Dans la vie moderne, nous vivons dans un environnement où nous avons plutôt tendance à être sursollicités, du fait notamment de l’évolution technologique et sociale. Les écrans sont le phénomène technologique le plus emblématique. Cette utilisation effrénée des écrans va concrètement freiner l’utilisation de ce réseau du mode par défaut. C’est bien d’avoir des activités en fonction des intérêts de chacun, mais il faut peut-être introduire, dans l’idée de vacances, le fait de trouver des moments où on laisse de côté l’ordinateur et le téléphone portable. On peut essayer de se couper des outils, ou, du moins, réfléchir à l’importance des moments à soi et se ménager ces moments-là. Notre cerveau a besoin, pour prendre du recul, de ce réseau du mode par défaut. Cela lui permet d’appréhender de manière générale des questions qui se posent à nous et de tenter des réponses hypothétiques.
Medscape : Comment faire pour mettre son cerveau en mode par défaut ?
Pr Francis Eustache : Il y a des situations qui vont favoriser la sollicitation de ce mode par défaut. Parfois, c’est assimilé à de la paresse, mais cela n’a rien à voir. Il ne s’agit pas forcément de rester à ne rien faire dans son canapé. Il s’agit de se ménager des moments où le cerveau ne va pas se focaliser sur quelque chose de précis. La randonnée, dans un environnement apaisant ou la course à pied, à condition que cela ne soit pas une course avec 36 appareils à surveiller, peuvent favoriser l’activation du mode par défaut. Cela peut aussi être une activité un peu répétitive, comme éplucher des haricots ou faire du tricot. C’est plus efficace que ne rien faire. Écouter de la musique c’est mixte, cela dépend de l’oreille que l’on va porter. Pendant les vacances, je pense qu’on a plus de situations à portée de main où l’on peut basculer en mode par défaut.
*Eustache F et Desgranges B ; Les nouveaux chemins de la mémoire, Paris, Le Pommier, 2020.
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Citer cet article: Pourquoi et comment faut-il mettre notre cerveau au repos pendant les vacances ? - Medscape - 3 août 2021.
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