COVID-19 : la Martinique dans une « situation extrêmement compliquée »

Vincent Richeux

2 août 2021

Fort-de-France, France – Les Antilles font face à une progression fulgurante de l’épidémie de Covid-19, en particulier en Martinique, où l’incidence est passée à 1 040 cas pour 100 000 habitants (contre 191 cas pour 100 000 habitants en moyenne nationale, voir encadré ci-après). Au CHU de Martinique (CHUM), le Dr Cyrille Chabartier, chef du service de réanimation, a décrit auprès de Medscape édition française « une situation extrêmement compliquée », alors que l’Armée s’apprête à venir en aide aux équipes médicales.

Samedi dernier, trois premiers patients pris en charge en réanimation au CHUM pour une aggravation de la maladie ont été transférés avec succès en vol médicalisé vers des hôpitaux d’Ile-de-France pour soulager un service saturé. Compte tenu de la situation, d’autres patients pourraient être prochainement sélectionnés pour une nouvelle évacuation, en appliquant des critères précis afin d’éviter une décompensation pendant le voyage, a expliqué le médecin-réanimateur.

Des patients jeunes

Au CHU de Martinique, « on constate depuis début juillet une hausse rapide des admissions de patients Covid, à la fois dans le service de médecine et en réanimation », témoigne le Dr Chabartier. « Nous n’avons même pas eu le temps de libérer les services depuis la fin de la troisième vague. On s’attendait plutôt à une quatrième vague en septembre. » Un coup dur pour les soignants, alors que nombre d’entre eux envisageaient de prendre du repos.

Le profil des patients admis en réanimation a évolué depuis la dernière vague épidémique, a précisé le médecin-réanimateur. Depuis le début de cette quatrième vague, « nous avons beaucoup de patients jeunes. La moitié de nos patients Covid ont moins de 50 ans et 40% moins de 40 ans. Il y a plusieurs patients de 20 à 30 ans. Et certains n’ont pas de facteur de risque. » Aucun des patients n’est vacciné.

La moitié de nos patients Covid ont moins de 50 ans et 40% ont moins de 40 ans. Il y a plusieurs patients de 20 à 30 ans.

Progression rapide de l’épidémie dans les Antilles françaises

La Martinique, la Guadeloupe et les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy connaissent une flambée épidémique sans précédent. Selon le point de situation hebdomadaire de l’Agence régionale de santé (ARS) Martinique, 3 537 cas d'infection ont été enregistrés en une semaine sur cette île de 370 000 habitants, contre 2 241 cas la semaine précédente. Le 31 juillet, un nouveau bilan a rapporté 686 nouveaux cas confirmés en 24 heures (voir encadré ci-après).

Avec cette progression rapide de l’épidémie, le taux d’incidence en Martinique atteint désormais 1 040 cas pour 100 000 habitants sur les sept derniers jours, contre 191 cas pour 100 000 habitants en moyenne nationale. En Guadeloupe, le taux d’incidence est de 325 cas pour 100 000 habitants. A Saint-Martin, le niveau de circulation s’est stabilisé à un niveau élevé, tandis que la situation épidémiologique s’est dégradée la semaine dernière à Saint Barthélemy [1].

Conséquence de cette situation sanitaire aggravée: en Martinique, un nouveau confinement – le quatrième depuis le début de la pandémie – a été mis en place vendredi dernier pour une durée minimum de trois semaines, tandis que le couvre-feu a été avancé à 19h. A la Guadeloupe, l’état d’urgence sanitaire a été déclaré et un couvre-feu a également été instauré. La mesure concerne aussi Saint-Martin et Saint-Barthélemy.

Manque de personnel paramédical

Plusieurs mesures ont été mise en place de manière anticipée pour préparer une montée progressive des admissions à l’hôpital. Certaines opérations non-urgentes ont été déprogrammées après le déclenchement du plan blanc et des nouveaux lits ont pu être ouverts grâce au rappel de personnels soignants et à l’appui des professionnels de santé du territoire, ainsi que de la réserve sanitaire, précise l’ARS Martinique dans un communiqué.

Malgré tout, les capacités hospitalières du CHU ont été rapidement saturées. Actuellement, 190 patients COVID sont hospitalisés en Martinique, dont 27 en réanimation. Les unités ont été réorganisées pour augmenter la capacité d’accueil des patients en soins intensifs. L’hôpital dispose aujourd’hui de 35 lits en réanimation dédiés aux patients Covid, mais les équipes sont confrontées à un manque de personnel paramédical. 

Les conditions de prise en charge paramédicale y sont également dégradées. Il n’y a plus d’infirmières à mobiliser Dr Cyrille Chabartier

« Depuis la semaine dernière, nous sommes dans une situation extrêmement compliquée. Nous avons les ressources paramédicales pour prendre en charge 18 à 20 patients dans le respect des recommandations nationales, qui exigent une infirmière pour deux patients. Il nous est difficile d’ouvrir des lits supplémentaires par manque de personnel paramédical. »

Dans le service des urgences, une unité d’oxygénothérapie à haut débit (Optiflow) a été également ouverte pour la prise en charge des patients Covid en insuffisance respiratoire, avec une capacité d’accueil montée progressivement à 12 lits. « Les conditions de prise en charge paramédicale y sont également dégradées. Il n’y a plus d’infirmières à mobiliser. »

Déploiement d’un module militaire de réanimation

« Pour soutenir le personnel soignant face à la forte tension épidémique », la ministre des Armées, Florence Parly, a annoncé le déploiement de capacités militaires mobiles de réanimation à Fort-de-France. Une équipe composée de 50 militaires du service de santé des Armées (SSA) et du régiment médical de l’Armée de terre sera mobilisée sur place à partir du 3 août au CHUM pour prendre en charge dix patients en réanimation, précise le ministère.

« L’équipe de l’Armée devrait être opérationnelle en milieu de semaine pour faire tout d’abord fonctionner 5 lits spécialement ouverts dans l’ancienne salle de réveil », a indiqué le Dr Chabartier, qui évoque une possible extension jusqu’à un total de 20 lits supplémentaires. L’Armée devrait alors déployer son propre matériel médical pour pallier les limites de l’hôpital.

En attendant, le CHU a dû se résoudre à transférer samedi dernier trois patients de réanimation atteints du Covid-19 vers la métropole. « Avec l’accord des familles, les trois patients remplissant les critères médicaux d’éligibilité à un transfert de longue distance bénéficient désormais de soins dans des hôpitaux d’Ile-de-France », selon l’ARS.

« Il est assez difficile de choisir les patients pouvant ainsi être transférés », souligne le Dr Chabartier. « Il faut tout d’abord qu’ils soient intubés. La contrainte de la consommation en oxygène ne permet pas, en effet, d’envoyer des patients sous oxygénothérapie à haut débit. Ils doivent aussi être stabilisés d’un point de vue respiratoire. » En s’assurant que cette stabilité peut se maintenir pendant un vol de plusieurs heures.

Il est assez difficile de choisir les patients pouvant ainsi être transférés. Ils doivent aussi être stabilisés d’un point de vue respiratoire  Dr Chabartier

Peu de patients éligibles à un transfert

« C’est tout le problème avec le Covid: l’état des patients peut se déstabiliser en quelques heures. » En plus des contraintes liées au temps de vol, l’équipe médicale doit tenir compte de la performance réduite du respirateur de transport, de la baisse de la pression en oxygène en altitude ou de l’atmosphère plus sèche en avion. « On est parfois amené à revoir notre sélection, alors qu’elle est déjà très restrictive. » 

De plus, « on évite de transporter des patients dans les 48 heures après leur arrivée en réanimation », en raison d’un risque élevé de décompensation, « et au-delà de la deuxième semaine car ils développent souvent des complications infectieuses ». Il existe aussi une limite de poids. « Au final, peu de patients sont éligibles. »

Si cette évacuation sanitaire depuis les Antilles vers la métropole est une première pour des patients Covid, l’équipe du CHU de Fort-de-France a pu bénéficier de l’expérience acquise après avoir pris en charge des patients Covid transférés l’été dernier depuis la Guyane, situé à 1 500 km. « Certains patients dans un état initialement maîtrisés sont arrivés dans des conditions difficiles », a précisé le réanimateur.

« On a appris de cette expérience qui nous a aidé à améliorer les critères de sélection. » Des tests sont notamment menés avant le départ, en branchant par exemple les malades pendant quelques heures sur le respirateur de transport « pour s’assurer qu’il n’y a pas une altération de l’état respiratoire ».

D’autres évacuations vers la métropole pourraient être organisées par la suite, estime le chef de service. « C’est une possibilité que l’on va exploiter, tant que l’on dispose des moyens de le faire. »

Une population méfiante face au vaccin

Malgré une situation sanitaire dégradée aux Antilles, les habitants se montrent toujours aussi réticents à se faire vacciner. Actuellement, seulement 16% des martiniquais âgés de plus de 12 ans ont reçu les deux doses du vaccin. Un taux similaire s’observe en Guadeloupe.

Pour justifier leur méfiance, les non-vaccinés font souvent référence au scandale de la chlordécone, un insecticide hautement toxique utilisé massivement dans les bananeraies de Martinique et de Guadeloupe de 1972 à 1993. Classé cancérigène possible en 1979 par l'OMS, il a continué à être utilisé avec l’accord des autorités. Il serait aujourd’hui à l’origine de nombreux cancers.

A noter que, dans un souci de pédagogie, pour mieux appréhender les réticences à la vaccination de la population et y répondre, l’ARS de Martinique a lancé en lien avec le Ministère des Solidarités et de la Santé, une enquête en ligne intitulée « Vaksinasyon kont COVID-19 : saw ka di di sa ? ». Tous les martiniquais sont invités à donner leur avis sur la vaccination jusqu'au 20 août.

Crédit photo : Getty Images

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