Marseille, France – Un lien entre pathologies psychiatriques et une augmentation de la mortalité en cas de Covid-19 a été évoqué au cours de la pandémie. Aujourd’hui, une méta-analyse française portant sur 16 études observationnelles issues de 7 pays différents, réalisée par le Dr Guillaume Fond, le Pr Laurent Boyer (Hôpital de La Timone, Marseille) et leur équipe, confirme l’existence d’une telle corrélation. Parmi les différents troubles psychiatriques répertoriés par les auteurs, schizophrénie et troubles bipolaires sont associés au plus fort taux de mortalité[1]. L’étude est parue dans le JAMA.
16 études menées dans 7 pays
Pour réaliser leur méta-analyse sur le lien entre troubles psychiatriques et mortalité au Covid-19, les chercheurs français ont conduit une revue systématique de la littérature en s’appuyant sur la méthodologie de la Cochrane et en utilisant la technique PRISMA (Preferred Reporting Items for Systematic Reviews and Meta-analyses). Pour établir s’il existait des différences selon les troubles psychiatriques, ils ont effectué une recherche incluant les termes suivants : « psychiatric, schizophrenia, psychotic, bipolar disorder, mood disorders, major depressive disorder, anxiety disorder, personality disorder, eating disorder, alcohol abuse, alcohol misuse, substance abuse, and substance misuse ».
Sur les 18 200 études repérées par les auteurs, 16 répondaient aux critères de sélection définis. 10 086 patients psychiatriques et atteints du Covid-19 ont finalement été intégrés dans la méta-analyse. Sur ces études, 1 a été menée au Danemark, 2 en France, 1 en Israël, 3 en Corée du Sud, 1 en Espagne, 1 au Royaume-Uni et 7 aux Etats-Unis.
Différences significatives
Les résultats de la méta-analyse confirment bien que la mortalité par Covid-19 est plus élevée chez les patients avec une trouble psychique comparé à ceux qui n’en ont pas (OR ajusté : 1,38 [IC95% :1,15-1,65]; I2 = 0%). En se limitant aux études n’ayant inclus que des patients avec des troubles mentaux sévères (spectre de troubles schizophréniques et troubles bipolaires), le lien était d’autant plus élevé avec un OR ajusté de 1,67 (IC95% : 1,02-2,73; I2 = 27,3%). Dans les autres études qui ont inclus des patients avec tous types de désordres psychiatriques et des addictions, le OR ajusté était de 1,34 (IC95% : 1,08-1,65; I2 = 0%). Les différences étaient à chaque fois statistiquement significatives (P < 0,05).
La mise en évidence d’un taux de mortalité plus élevé, y compris après ajustement, suggère que chez les patients avec un trouble psychiatrique, le risque d’une issue fatale à la suite d’une infection par le Covid-19 est plus important que chez des patients sans troubles mentaux, et ce indépendamment des principaux facteurs de risque associés à un Covid sévère (âge, obésité, tabagisme, pathologie rénale, cardiovasculaire, BPCO). « Cela suppose que d’autres facteurs interviennent, lesquels relèvent du patient lui-même, des soignants et de l’organisation des soins en général », considère le Dr Guillaume Fond, principal auteur de l’étude, interrogé par Medscape.
Différents facteurs impliqués
Pour les facteurs relevant du patient et pouvant expliquer ce risque de mortalité plus élevé en cas d’infection Covid, le psychiatre cite les perturbations immunologiques liées à la pathologie psychiatrique ou encore l’effet des médicaments psychotropes. Il a en effet été démontré que les patients bipolaires et ceux atteints de schizophrénie ont un profil immunitaire particulier. « Au cours de la réponse immunitaire médiée par les cellules T, un déséquilibre de la balance Th1/Th2 est susceptible d’interférer avec l’orage cytokinique observé au cours de la maladie Covid », explique le Dr Fond. A noter que certains traitements psychiatriques, comme les benzodiazépines, peuvent aussi entrainer des complications par le biais de dépressions respiratoires. L’utilisation sur le long terme de substances nocives comme l’alcool, le tabac ou les drogues est, elle aussi, préjudiciable à ces patients. « Par exemple, aux Etats-Unis, on a vu une augmentation de la mortalité chez les patients qui étaient addicts aux opiacés, substances à l’origine, elles aussi, de dépressions respiratoires ». Pour résumé, on peut dire que « la maladie mentale créé un terrain de santé physique défavorable » qui vient se sur-ajouter aux comorbidités et aux addictions – qui ont été prises en compte dans la méta-analyse.
Les personnes souffrant de pathologies psychiatriques sont vulnérables
Pour ce qui est des soignants, « une étude que nous avons menée en France a montré que les patients atteints de schizophrénie avaient eu un moins bon accès à la réanimation [2]. Il est vrai que ce sont des patients qui peuvent avoir plus de difficultés à exprimer leurs symptômes, surtout chez les patients âgés, tout comme dans les démences, ce qui va altérer le diagnostic et le déclenchement des soins. On peut aussi évoquer le fait que les réanimateurs disent aussi être moins bien formés aux pathologies de ces patients, plus difficiles à prendre en charge. Ce n’est d’ailleurs pas spécifique au Covid, nous avons fait le même constat chez les personnes avec des troubles psychiatriques atteintes de cancer en fin de vie ».
« Enfin, l’organisation des soins à l’hôpital fait qu’il existe des barrières entre les différentes spécialités et qu’il est parfois difficile de faire accepter un patient de psychiatrie dans un autre service. »
Autant de facteurs qui font que « plus on avance dans les méta-analyses, plus on se rend compte que les personnes ayant un trouble mental sont des personnes vulnérables, à considérer en tant que telles, au même titre que les populations SDF, par exemple » considère le psychiatre marseillais.
« En termes d’organisation des soins aux malades psychiatriques, ce type d’analyse incite à en mettre en place une meilleure, car on assiste encore à une perte de chances très importante pour ces patients. Une précédente étude que nous avons menée a permis de rendre la vaccination prioritaire chez ces patients, ce qui est une très bonne chose, encore faut-il savoir pourquoi certains d’entre eux la refusent. C’est ce que nous sommes d’ailleurs en train d’étudier ».
Les patients psychiatriques 2 fois plus à risque de mourir du Covid-19
Même conclusion pour une vaste méta-analyse (33 études et 22 pays) parue dans le Lancet Psychiatry qui montre que les individus atteints de troubles psychiatriques ont un risque deux fois plus élevé d’être hospitalisés ou de mourir du Covid-19 comparé aux personnes sans ce type de troubles [3]. La méta-analyse montre, ici aussi, un effet plus marqué chez les malades les plus sévères, en particulier chez ceux avec des troubles psychotiques. Ayant constaté là encore, un moindre accès aux soins, les auteurs se font l’avocat des malades auprès des autorités de santé des différents pays pour demander que les patients atteints de pathologies psychiatriques bénéficient d’un accès prioritaire à la vaccination contre le SARS-CoV-2.
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Citer cet article: COVID-19 : confirmation d'une mortalité plus élevée chez les patients atteints de troubles mentaux - Medscape - 2 août 2021.
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