Les complémentaires santé sont efficaces mais couteuses et inégalitaires, selon la Cour des comptes

Jean-Bernard Gervais

28 juillet 2021

Paris, France — Si la France, parmi les pays de l'OCDE, affiche le reste à charge le moins élevé pour ses citoyens, c'est grâce à l'association originale entre l'assurance maladie obligatoire (AMO) et les complémentaires santé.

Mais ce système de couverture maladie efficace est aussi source de gabegie et mérité d'être réformé. C'est en tous les cas ce qui ressort d'un récent rapport de la Cour des comptes, commandé par l'Assemblée nationale. Les sages de la rue Cambon fustigent « une couverture globalement coûteuse, parfois inéquitable, qui laisse de côté une part non négligeable de la population ».

Pour parvenir à cette conclusion, la Cour des comptes s'est penchée, entre autres, sur les différentes réformes mises en place ces dernières années dans ce secteur donné : l'obligation pour les entreprises de proposer une complémentaires à leur salariés, la mise en œuvre de la complémentaire santé solidaire (CSS), la réforme du 100% santé. « L'ensemble de ces dispositifs [...] permet à 96% de la population d’être couverte par une complémentaire santé », établit la Cour des comptes.

Une couverture globalement coûteuse, parfois inéquitable, qui laisse de côté une part non négligeable de la population Cour des comptes

Complémentaires : plus de 13% des dépenses de santé prises en charge

Les Sages notent une spécificité de la France, en comparaison des autres pays de l'OCDE : « les dépenses qu’elles prennent en charge atteignent, en 2017, 13,7 % du total des dépenses de santé en France, soit entre deux fois (Pays-Bas) et près de cinq fois plus (Allemagne) que chez ses voisins. »

Les principales dépenses de santé prises en charge par les complémentaires concernent l'optique, remboursée à 74% par les mutuelles, le dentaire (42%), l'audioprothèse (34%).

Autre particularité : la France a renoncé à mettre en place un « bouclier sanitaire », plus exactement une franchise annuelle, et préférer renforcer le rôle des complémentaires.

La loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013 a par la suite rendu obligatoire, depuis le 1er janvier 2016, la couverture de l’ensemble des salariés du secteur privé par une complémentaire santé collective, et ce, en contrepartie d’avantages sociaux et fiscaux, relèvent les rapporteurs.

Contrats collectifs et responsables

Pour limiter les restes à charge, la France a aussi choisi d'imposer des « contrats responsables » aux complémentaires santé, lesquels prennent en charge les tickets modérateurs, obligent au respect du parcours de soins, et plafonnent les dépassements d'honoraire, contre une taxation réduite accordée par les pouvoirs publics aux organismes complémentaires.

100% santé

Pour compléter ce dispositif, et contraindre un peu plus les restes à charge, le législateur a introduit en novembre 2019 « des paniers de biens et de prestations faisant l’objet d’une prise en charge intégrale par les assurances maladie obligatoire et complémentaires », dans les secteurs de l'optique, du dentaire, et de l'audioprothèse.

Ce dispositif a été baptisé « 100% santé », mais n'a pas encore donné tous les effets escomptés, du fait du déclenchement, concomitant, de la pandémie de Covid-19.

Toutefois, de premières données semblent encourageantes : ainsi 53% des prothèses dentaires relevaient du 100% santé entre janvier et décembre 2020. Mais ce taux tombe à 13% pour les équipements optiques, et 11,5% pour les audioprothèses.

Le dispositif « 100% santé » n'a pas encore donné tous les effets escomptés.

Public précaire

En direction des publics les plus précaires, le législateur a également adapté au fil du temps des dispositifs spécifiques : la CMU-C en 1999, puis l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé en 2005. Mais depuis novembre 2019, le dispositif a été refondu : la CMU-c rebaptisée complémentaire santé solidaire (CSS) inclut aussi les bénéficiaires de l'ACS. Qui plus est, les « plafonds de ressources en-deçà desquels les demandeurs peuvent bénéficier de la CSS ont été revalorisés au fil des années ».

Reste à charge le plus faible de l’OCDE, mais système couteux

L'ensemble de ces dispositifs permettent ainsi de garantir le reste à charge le plus faible des pays de l'OCDE, de l'ordre de 9% des dépenses de santé, contre 13% en Allemagne, 16% au Royaume-Uni, 24% en Italie, et 29% au Portugal...

Le reste à charge, en moyenne après intervention des complémentaires, était de 213 euros en France en 2017. Mais cette performance n'est pas sans écueil. Le système mis en place, relève la Cour, est particulièrement couteux. « Près de 10 Md€ par an sont consacrés à la couverture de la population par une complémentaire santé ».

Ces dépenses sont ventilées entre la complémentaire santé solidaire, l'aide aux complémentaires dans la fonction publique d'Etat, les exemptions de cotisation, pour les contrats collectifs et obligatoires... Aussi, « l’augmentation continue du nombre des bénéficiaires de la CSS, couplée aux dernières évolutions du dispositif, sont à l’origine d’une hausse durable des dépenses », projette les rapporteurs. Ainsi les frais de gestion de la CSS par les complémentaires s'élèveraient à 23 millions d'euros.

Près de 10 Md€ par an sont consacrés à la couverture de la population par une complémentaire santé.

Redondance de la prise en charge des dépenses

Le choix d’une imbrication étroite des assurances maladie de base et complémentaire entraine des coûts d’administration, hors taxes, supérieurs à ceux des autres pays de l’OCDE. En effet, sauf exception (forfait journalier hospitalier, chambre individuelle), « les assurances complémentaires prennent en charge des dépenses qui sont également prises en charge par l’assurance obligatoire. De ce fait, il y a superposition de dépenses de gestion administrative sur de mêmes flux de dépenses de prestations. » Ces dépenses ont ainsi atteint en France, en 2018, 14,8 Md€ (+ 15,5 % en 10 ans) ».

Ce sont les complémentaires qui ont vu leur coût de gestion augmenter drastiquement ces dernières années, représentant quelque 7,5 milliards d'euros en 2018, dont 3 milliards étaient consacrés à l'acquisition de nouveaux clients. À cela il faut ajouter le coût d'une nouvelle taxe, la taxe de solidarité additionnelle, qui frappe tous les contrats de complémentaire santé, et sert à financer, entre autres, la CSS. En 2019, cette taxe a rapporté 5,12 milliards d'euros.

Salariés du privé favorisés

La Cour déplore également des inégalités de traitement entre les actifs et les inactifs (retraités, chômeurs…), ainsi qu’entre les salariés du privé et les autres actifs, et même entre les salariés du privé. entre les assurés. Les salariés du privé étant les plus favorisés : « plus de 70 % des assurés couverts par un contrat collectif bénéficient d’une couverture de classe 3 (la plus favorable), alors que ce niveau n’est que de 11 % pour les assurés individuels. »

Les inactifs, et plus particulièrement les personnes âgées, font face à des coûts parfois très conséquents, résultant d’une tarification majoritairement liée à l’âge. 

Renoncement aux soins

Pour ce qui est de la Complémentaire Santé Solidaire, le taux de recours est relativement faible : au total, entre 11,5 et 14,4 millions de personnes seraient éligibles à la CSS, contre 7 millions qui en sont effectivement bénéficiaires. 

Les rapporteurs notent un manque de lisibilité du dispositif, qui nuit à sa communication, et ne facilite pas non plus la lutte contre la fraude. Le renoncement aux soins est ainsi courant chez le public visé par la CSS, d'autant que « le tiers-payant et plus encore l’interdiction des dépassements d’honoraires ne sont pas toujours respectés, ce qui limite le recours aux soins auprès des professionnels concernés ». La CSS est une aide quérable et renouvelable chaque année : l'assuré doit en faire la demande et la renouveler annuellement, ce qui la rend d'autant moins accessible.

Pour améliorer le taux de recours au dispositif, la Cour des comptes recommande d’expérimenter une attribution automatique de la CSS pour les bénéficiaires du RSA et des autres minimas sociaux, sauf décision contraire de leur part, ainsi qu’un renouvellement automatique de la CSS pour les bénéficiaires de l’AAH (Allocation aux adultes handicapés) et de l’ASI (Allocation supplémentaire d’invalidité), pour les étudiants boursiers et pour les retraités modestes. 

La Cour des comptes recommande d’expérimenter une attribution automatique de la CSS pour les bénéficiaires du RSA et des autres minimas sociaux.

Trois scénarios

La Cour des comptes, pour répondre à ces difficultés, plaide pour une évolution du système, en suivant trois scénarios différents.

Le premier d'entre eux verrait l'instauration d'un bouclier sanitaire, qui est « un dispositif de plafonnement des restes à charge après intervention de l’assurance maladie obligatoire ». Avantage du bouclier sanitaire : « chacun contribue à ses dépenses de santé, mais chacun a également la garantie d’être pris en charge à 100 % par l’assurance maladie obligatoire une fois atteint un certain niveau de reste à charge. »

Exemple : selon des simulations de la Direction générale du trésor, au-delà de 560 euros de dépense annuelle, l'assurance maladie prendrait en charge à 100% de toutes les dépenses qui dépasseraient ce plafond. Mais la mise en place de ce bouclier sanitaire implique de surmonter des difficultés techniques, comme la connaissance des revenus de l'ensemble de la population.

Deuxième scénario : un nouveau partage des rôles entre les assurances maladie obligatoires et complémentaire. La Cour des comptes suggère par exemple de laisser à l'assurance maladie le remboursement des soins sans reste à charge, et de confier aux complémentaires le remboursement des paniers libres.

Enfin, le troisième et dernier scénario impliquerait une régulation accrue des complémentaires santé, en proposant par exemple une standardisation des offres : « Le législateur, dans le prolongement du panier 100 % santé et du référencement des contrats ACS, imposerait aux complémentaires santé de proposer des offres au contenu prédéfini. »

La Cour des comptes pointe du doigt les frais de gestion des complémentaires, qui ont progressé de 30% entre 2010 et 2017 : « L’évolution des frais de gestion des assurances santé pourrait être encadrée par exemple par référence aux dépenses de prestation, de manière à contraindre les organismes à faire des efforts de productivité et de moindres dépenses d’acquisition. »

 

 

 

 

 

 

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