Lyon, France – Selon une estimation du Centre International de recherche sur le cancer (CIRC), la consommation d’alcool serait responsable de 4% des cancers diagnostiqués en 2020 au niveau mondial, en majorité des cancers du foie, de l’oesophage et du sein [1]. Concernant la France, les chercheurs estiment que 20 000 nouveaux cancers peuvent être attribués à l’alcool, soit 5% des cancers recensés l’an dernier.
Si une consommation excessive d’alcool est en cause dans la majorité des cas, les résultats de cette étude publiée dans The Lancet Oncology montrent également qu’une consommation légère à modérée (jusqu’à deux verres d’alcool par jour) est responsable d’un cas de cancer lié à l’alcool sur sept, soit plus de 100 000 nouveaux cas diagnostiqués dans le monde en 2020.
« Nos résultats soulignent la nécessité de mettre en place des mesures pour sensibiliser sur le risque de cancer lié à la consommation d’alcool », estime Harriet Rumgay (CIRC, Lyon France), principale auteure de l’étude. « Une diminution de l’accès à l’alcool, une mise en garde sur les étiquettes des produits alcoolisés ou une interdiction d’en faire la promotion pourraient réduire l’incidence des cancers attribuables à l’alcool. »
« L’impact de l’alcool sur le cancer est souvent inconnu ou négligé », a commenté la chercheuse.
En majorité des cancers de l’oesophage
Afin d’évaluer le nombre de cancers liés à l’alcool, les chercheurs ont comparé les données de 2020 concernant tous les cancers (à l’exception du cancer cutané non mélanique) à celles liés à la consommation d’alcool dix ans plus tôt pour chaque pays, en considérant qu’il s’agit là d’un délai suffisant pour qu’un cancer lié à l’exposition à l’alcool se développe.
La consommation d’alcool par personne et par pays a notamment été déterminée à partir des données de production, de taxation ou de vente des produits alcoolisés. Elle était considérée à risque entre deux à six verres d’alcool par jour (20 à 60 g d’alcool) et excessive au-delà de six verres (plus de 60 g par jour). Jusqu’à deux verres quotidiens (moins de 20 g), la consommation est jugée modérée.
Après analyse, les chercheurs estiment que 4,1% (n=741 300) des nouveaux cancers diagnostiqués dans le monde en 2020 sont induits par l’alcool. Les cancers les plus représentés sont les cancers de l’oesophage (n= 189 700), du foie (n=154 700) et du sein (n=98 300), suivis du cancer colorectal et des cancers de la voie ORL (bouche et gorge).
La consommation excessive d’alcool (plus de six verres par jour) est responsable de près de la moitié des cas (n=346 400). Dans 39% des cas (n=291 800), ces cancers sont liés à une consommation « à risque ». Les chercheurs ont aussi déterminé qu’une consommation modérée d’alcool peut s’avérer problématique puisqu’elle est associée à 14% des cancers associés (n=103 100).
Les hommes davantage touchés
Les résultats montrent que la population masculine est davantage concernée: trois-quarts des cas de cancers liés à l’alcool sont observés chez des hommes. Chez les femmes, le risque de développer un cancer du sein en lien avec l’alcool a surtout été démontré en post-ménopause, mais il est aussi probable les femmes non ménopausées soient concernées, selon le CIRC.
Concernant les hommes, l’Asie de l’Est (Chine, Corée du sud, Mongolie…) et l’Europe centrale et de l’Est affichent les taux de cancers liés à l’alcool les plus élevés, avec une proportion respectivement de 9% et 8%. Chez les femmes, les incidences les plus élevées s’observent également dans les pays d’Europe de l’Est et centrale (3%), ainsi qu’en Australie et en Nouvelle-Zélande (3%).
En comparant les différents pays, tout sexe confondu, la Mongolie est celui qui présente la proportion la plus importante de cancers liés à l’alcool (10%), tandis que les pays arabes, où la consommation d’alcool est restreinte, affichent les niveaux les plus faible, avec un taux proche du 0% pour le Koweit. La Chine affiche 6% et l’Inde 5%.
Dans les pays occidentaux, la France fait partie de ceux qui présentent le taux le plus élevé, avec une part de cancers attribuables à l’alcool de 5% (n=20 000), légèrement supérieure aux 4% estimés pour le Royaume-Uni (n=16 800) et de l’Allemagne (n=21 500). Aux Etats-Unis, la proportion atteint 3% (n=52 700).
Tendance à la baisse en Occident
« Alors que la consommation d’alcool observe ces dernières années une tendance à la baisse encourageante dans les pays européens, les prévisions montrent à l’inverse une hausse significative de cette consommation dans d’autres régions du monde, notamment en Asie et en Afrique », commentent les chercheurs. En l’absence de limitations, la hausse devrait se poursuivre dans ces régions « au moins jusqu’en 2030 ».
Selon eux, des mesures devraient être prises pour sensibiliser les populations au risque de cancer associé. « Des politiques de taxation expérimentées dans des pays d’Europe centrale et de l’Est ont permis de réduire la consommation d’alcool et pourraient être appliquées dans d’autres régions du monde qui ne disposent pas encore de stratégies efficaces », suggèrent-ils.
Les auteurs soulignent que l’étude comporte quelques limites. Ils soulignent notamment l’effet potentiel de la pandémie de Covid-19, qui a pu conduire à sous-évaluer le nombre de cancer. De plus, l’étude n’a pas tenu compte du fait que la consommation d’alcool est souvent associée au tabagisme et à l’obésité, eux-mêmes des facteurs de risque de cancer.
Par ailleurs, pour la Mongolie, des cas de cancer du foie pourraient être attribuables à des infections par le virus de l’hépatite B ou C et non pas par l’alcool. Il y aurait donc une surestimation des cancers du foie induits par l’alcool pour ce pays. A l’inverse, les cas pourraient être sous-estimés dans des pays à faibles revenus, où le recueil des données est moins rigoureux.
Biomarqueur de la consommation alcoolique
Dans un éditorial accompagnant la publication, le Pr Amy Justice (Veterans Affairs Connecticut Healthcare System, Yale University, West Haven, Etats-Unis) estime que dans l’ensemble les niveaux de consommation d’alcool et le nombre de cancers associés sont très probablement supérieurs, en raison de plusieurs facteurs non évoqués par les auteurs [2].
L’épidémiologiste rappelle notamment qu’un quart de la consommation d’alcool dans le monde passe par un circuit qui échappe au contrôle des autorités. Or, les données utilisées par l’équipe pour évaluer cette consommation proviennent essentiellement de base de données officielles. Les chercheurs se sont également appuyés sur des auto-questionnaires, peu fiables lorsqu’il s’agit de déterminer la quantité d’alcool absorbé.
Pour affiner les études sur le sujet, la scientifique propose de passer par le dosage d’un nouveau biomarqueur de la consommation alcoolique, le phosphatidylethanol, un phospholipide qui se forme en présence d’éthanol et circule dans le sang en se fixant aux globules rouges. Ce biomarqueur reste détectable pendant près d’un mois après l’absorption d’alcool.
« On pourrait imaginer des études épidémiologiques avec des dosages de phosphatidylethanol menés de manière aléatoire sur des échantillons de la population générale ». Pratiqué en routine, ce dosage pourrait être « un outil très utile » pour mieux évaluer l’impact sur la santé d’une exposition chronique à alcool, estime le Pr Justice.
« Plus l’exposition à l’alcool sera évaluée tôt et avec précision, plus nous serons en capacité de cerner le véritable poids des cancers liés à l’alcool et intervenir en conséquence de manière efficace. »
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Citer cet article: 20 000 nouveaux cancers associés à la consommation d’alcool par an en France - Medscape - 27 juil 2021.
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