
Gabriel Bordier
France, Tokyo— Gabriel Bordier n’est pas un étudiant en médecine ordinaire. En témoignent ses dernières performances. Il y a tout juste un mois, quelques jours après avoir passé le concours des ECN, il a gagné une nouvelle fois le titre de champion de France du 10 km marche en dépassant son record personnel. Comment ce spécialiste de la marche visant un internat en rhumatologie mène-t-il de front deux carrières si chronophages ? Comment a-t-il vécu la crise du Covid ? Quel est son état d’esprit à l’aube de ses premiers Jeux olympiques ?
A quelques jours de s'envoler pour le Japon, où il concourra pour l’épreuve des 20 km marche le 5 août, il a accepté de nous accorder cette interview.
Pourquoi avoir choisi un cursus aussi difficile que les études de médecine alors que vous étiez déjà sportif de haut niveau ?
L’envie de devenir médecin m’a pris au lycée. Ma mère est infirmière. J’ai toujours évolué dans le milieu médical. En parallèle, j’ai toujours fait du sport. Je pense qu’un des points communs entre les deux est le goût de la compétition. Cela m’a donné envie de tenter le concours de médecine.
Comment concilie-t-on médecine et carrière sportive ?
Il n’y a pas forcément de secret. C’est une question de motivation et d’organisation. Pendant la première année, j’ai un peu freiné le sport pour me consacrer aux études. Je n’ai repris à fond qu’en deuxième année. J’ai aussi eu la chance que la faculté m’accorde des petits aménagements pour pouvoir concilier l’entrainement avec les cours. J’ai eu moins de cours en présentiels obligatoires, du contrôle continu facultatif. Cela m’a permis de consacrer du temps à l’entrainement au cours de l’année.
Vous venez de passer le concours des ECN. Comment cela s’est-il passé ? Quelle spécialité souhaiteriez-vous obtenir ?
A priori, mon classement devrait me permettre de rester sur la faculté de médecine d’Angers pour faire de la rhumatologie et pourquoi pas, plus tard, de la médecine du sport. Le côté « locomoteur » de la spécialité m’intéresse. Mais aussi, sa transversalité avec de l’infectieux, de l’inflammatoire et de la traumatologie.
On parle beaucoup du temps de travail des internes, 58 heures de travail par semaine en moyenne. Est-ce compatible avec une carrière de sportif de haut niveau ?
Pour l’externat, cela s’est bien passé. Mais il est vrai que pour l’internat le problème va se poser. Il va falloir faire le point avec ma fac. Il faudra que je négocie des aménagements d’horaires. Sinon, je ne pourrai pas garder le même niveau sportif alors que mon objectif est d’être présent aux JO de 2024. Je verrai si j’arrive à concilier les deux. Je n’ai pas envie de faire de choix. Je sais que d’autres athlètes y arrivent aujourd’hui. Je pense notamment au coureur Yann Schrub , qui est interne en médecine générale et qui a obtenu de très bons résultats sportifs cette année*.
*Le 5 juin 2021, Yann Schrub est arrivé cinquiè me à la Coupe d'Europe du 10 000 m è tres à Birmingham. Il a battu son record personnel et terminé devant la légende Mo Farah, au sprint.
Comment avez-vous vécu la crise Covid sur le plan des études médicales ?
J’avais aménagé ma cinquième année en 2 ans pour avoir un semestre blanc et préparer les JO en 2020. Au mois de février, je n’avais plus de cours et de partiels. Je m’entrainais. Manque de chance, au bout de trois semaines le Covid est arrivé. Je me suis retrouvé sans compétition et sans cours à préparer à court terme. J’ai donc demandé à la fac si je pouvais revenir en stage en gériatrie et elle a accepté. Je n’étais pas en unité Covid, j’étais en service d’hospitalisation conventionnelle. Nous avons vu pas mal de patients Covid, mais le rythme n’était pas effréné. Pour ma part, le plus dur à vivre était l’isolement, le confinement à la maison. J’étais seul dans mon appartement. Le stage était ma bouffée d’air de la journée et il m’a permis de me sentir un petit peu utile.
Et sur le plan sportif ?
Pendant le premier confinement, je me suis beaucoup entraîné sur tapis roulant en intérieur. C’est assez monotone. C’était long. Le fait de ne pas avoir d’objectif à court et moyen terme est assez perturbant pour les sportifs. Toutes les compétitions ont été annulées au printemps et l’été a été très compliqué. Les compétitions étaient annulées une semaine avant d’avoir lieu. Les championnats de France ont été repoussés de septembre à octobre, puis à novembre et finalement, ils n’ont pas eu lieu en 2020. Les premières compétitions ont eu lieu fin août-début septembre.
Avez-vous eu l’impression que la crise Covid a été une perte de chance pour vous, sportif de haut niveau ?
En 6 mois, je n’ai pas fait de compétition. Pour un sportif, c’est compliqué. Après cela, il est difficile de retrouver ses repères. D’autres pays se sont posés moins de questions. Ils ont organisé des championnats pour leurs athlètes. Je ne sais pas si c’est mieux ou moins bien mais, du coup, après nous n’abordions pas les compétitions de la même manière.
Vous partez aux JO le 26 juillet, quel est le protocole sanitaire à respecter ?
Nous avons un protocole assez strict pour partir aux Jeux et sur place. Je suis vacciné depuis le mois d’avril, mais il faut tout de même s’isoler deux semaines avant de prendre l’avion, prendre sa température quotidiennement, vérifier l’absence de symptôme.
Si nous sommes cas-contact, nous ne sommes pas sûrs de pouvoir partir. Après, nous avons deux tests PCR à réaliser dans les 4 jours avant le départ dans des laboratoires agréés, sélectionnés par les japonais. Ce n’est pas très simple. Je suis mayennais et le laboratoire le plus proche approuvé est à Rennes, à une heure de route.
Sur place, au Japon, nous aurons toujours les applications sur le smartphone avec localisation par bluetooth, un suivi quotidien pour la température et les symptômes, des tests et, bien sûr, le port du masque obligatoire dans tous les lieux publics et les transports.
Comment vivez-vous le fait qu’il n’y aura pas de spectateurs ?
Cela va forcément se ressentir sur la course, mais aujourd’hui, c’est quelque chose qu’il faut accepter. Nous n’avons pas la main là-dessus. Il faudra crier fort derrière votre télévision en France pour nous encourager !
Avez-vous un message pour les étudiants en médecine ?
Je pense qu’il est important de ne pas se focaliser uniquement sur les études de médecine qui sont parfois très fatigantes. Il est facile de se laisser happer par le concours des ECN. J’encourage les étudiants à garder des activités qu’elles soient sportives ou non. C’est pour moi une des meilleures ressources pour garder le moral. L’année prochaine, j’inciterai les externes à avoir cet état d’esprit, en faisant un petit footing le soir, par exemple.
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Citer cet article: Gabriel Bordier aux JO : un interne en médecine sur la ligne du départ ! - Medscape - 23 juil 2021.
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