Rouen – Le 26 septembre 2019, vers 3 heures du matin, un incendie a ravagé les entrepôts de Lubrizol et NL Logistique à Rouen, en Seine-Maritime. Un impressionnant panache de fumée noire, opaque, noir et odorant s’est étendu sur une vingtaine de kilomètres aux alentours. A la demande des ministères en charge de la santé, de l'écologie et du travail, Santé Publique France (SPF) a mis en place le dispositif « Santé Post Incendie 76 » pour évaluer les conséquences sanitaires de cet événement. Les premiers résultats sur l'impact sanitaire de l’accident à court et à moyen termes (un an après) ont été rendus publics le 5 juillet dernier à l'occasion d'un comité de transparence et de dialogue organisé à la Préfecture[1]. Ils mettent en évidence un effet négatif majeur sur la santé psychologique de la population exposée, adultes comme enfants.
SPF a mené son enquête auprès de 3 764 adultes et 1 029 enfants représentatifs des 340 000 habitants de 122 communes concernées par l'accident. Ces participants ont rempli un questionnaire entre septembre et octobre 2020. Les réponses ont été comparées à celles de 1 015 adultes et 208 enfants d’une zone témoin située au Havre et ses environs.
Des symptômes physiques....
Pendant l’incendie et ses suites, une forte proportion (92%) de la population de la zone exposée a perçu au moins une des pollutions accidentelles : bruits, flammes et explosions, fumées noires, substances odorantes, suies et morceaux de toit en fibrociment déposés au sol.
Selon cette étude, 66% (IC95 [64 - 68]) des habitants ont ressenti au moins un symptôme ou problème de santé qu'ils ont attribué à l'incendie :
PROPORTION D'ADULTES |
SYMPTÔMES |
PROPORTION D'ENFANTS |
38,00% |
picotements des narines, de la gorge, de la langue, écoulement, obstruction nasale |
36,00% |
37,00% |
maux de tête des malaises, vertiges |
26,00% |
33,00% |
Larmoiement, picotement, rougeur des yeux |
32,00% |
15,00% |
Toux, encombrement bronchitique ou difficulté à respirer ou crise d'asthme.
|
20,00% |
14,00% |
Troubles du sommeil
|
10,00% |
11,00% |
Goût métallique ou autre goût
|
9,00% |
10,00% |
Douleur abdominale, nausée, vomissement, diarrhée
|
9,00% |
La santé perçue des habitants qui ont ressenti les pollutions et nuisances est moins bonne que celle des habitants non exposés, en particulier leur santé psychologique.
SPF observe une altération plus importante de la santé :
chez les personnes qui ont ressenti plusieurs pollutions liées à l’incendie (flammes, bruits, panache de fumées noires, suies, odeurs) ;
chez les personnes qui ont perçu longtemps les odeurs émises pendant et après l’incendie.
Quelle que soit la nature des troubles de santé considérés, leur fréquence était plus élevée chez les personnes qui résidaient à moins de 1 500 mètres du lieu de l’incendie que chez les habitants plus éloignés.
Deux tiers des adultes symptomatiques n’ont pas fait appel au système de soins, les autres ont eu surtout recours à un médecin généraliste ou à l’automédication.
Et des symptômes psychologiques
PROPORTION D'ADULTES |
SYMPTÔMES |
PROPORTION D'ENFANTS |
40,00% |
Nervosité, stress, anxiété, angoisse, panique
|
33,00% |
Les troubles les plus fréquents, rapportés dans 40% des cas (IC95 [ 38 - 42]), sont des symptômes psychologiques : nervosité, stress, anxiété (33%, IC95 [32 - 35]) ou angoisse, panique (14%, IC95 [ 12 - 15]).
Un mois après l'incendie, en octobre 2019, Medscape édition française avait recueilli le témoignage du Dr Christian Navarre, psychiatre, alors responsable de la cellule d'urgence médico-psychologique, qui décrivait déjà les sentiments d'angoisse et d'abandon des Rouennais.
L'association Rouen Respire avait elle-même réalisé une étude sanitaire sur l'impact de l'accident industriel auprès des habitants de l'agglomération rouenaise en mai 2020. Elle observait alors que « l’anxiété a été le symptôme le plus fréquent et le plus durable. Elle a touché tous les groupes de participants, et particulièrement les femmes enceintes et allaitantes. Elle peut s’expliquer par la conjonction de plusieurs facteurs : le caractère inattendu de l’événement, son intensité, les odeurs répandues dans la ville, les symptômes physiques ressentis, la préparation insuffisante de la population, les erreurs de communication, l’impression d’atteinte à la sécurité de besoins vitaux (air, alimentation, boissons, logements), le sentiment d’abandon, d’atteinte aux biens, la peur pour les enfants, les aînés, les malades, l’exposition en milieu professionnel, les pertes économiques, l’impression que la santé de la population est mise au second plan derrière d’autres impératifs … »
Pas d’analyse toxicologique
Lors du comité de transparence et de dialogue, cette association très active s'est étonnée qu'une approche toxicologique, avec des analyses du sang de la population, ait été écartée par SPF. Selon SPF, cette approche ne serait pas « pertinente » car il n’y aurait pas eu d’exposition à long terme. Mais, l’association souligne que du xénène, de l’éthylbenzène et du toluène ont été retrouvés dans le lait maternel après l’incendie. Pour documenter la pollution, Rouen Respire distribue gratuitement des capteurs de polluants depuis le mois de juin aux particuliers qui en font la demande (capteurs@rouenrespire.fr). Les données recueillies sont disponibles en open data.
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Citer cet article: Incendie de Lubrizol : un impact sur la santé physique et mentale - Medscape - 20 juil 2021.
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