Madrid, Espagne – Les produits qui contrecarrent les effets des anticoagulants oraux directs (AOD) sont très efficaces chez les patients souffrant d’hémorragies sévères, mais malgré leur emploi le taux de mortalité reste élevé, selon les résultats d’une méta analyse.
L’hémostase effective a été obtenue chez 78,5% des patients traités avec l’inhibiteur, néanmoins l’échec d’une hémostase efficace est associé à un risque relatif (RR) de décès trois fois plus élevé (RR, 3,63 ; IC 95%, 2,56-5,16).
« Cela a des implications dans notre pratique en ce sens que cela souligne la nécessité d’obtenir une hémostase efficace. Si un seul agent ne suffit pas, il faut essayer un autre produit ou d’autres modalités thérapeutiques, car il s’agit d’un critère majeur de survie » déclare à theheart.org/Medscape Cardiology l’auteur principal le Dr Antonio-Gómez-Outes (division of pharmacology and clinical drug evaluation, Spanish Agency for Medicines and Medical Devices, Madrid).
La mauvaise nouvelle, dit-il, c’est le taux de mortalité qui reste significatif à 17,7%, de surcroît la moitié environ des patients ayant une hémorragie intracrânienne en rapport avec le traitement par un AOD survivent avec un handicap significatif voire sévère à long terme.
« La leçon à retenir est qu’il faut prévenir ces hémorragies car lorsqu’elles surviennent, même si vous donnez un antidote, l’évolution est grave, particulièrement pour les saignements intracrâniens » précise le Dr Gómez-Outes.
Pour se replacer dans le contexte, les taux de mortalité étaient proches de 50% lors d’une hémorragie intracrânienne, il y a une décennie quand il n’y avait pas d’antidote ou inhibiteur, indique-t-il « Aussi dans une certaine mesure, la prise en charge du patient a été améliorée de même que son évolution mais la route est longue pour l’amélioration des handicaps ».
Méta-analyse de 4 735 patients
Plus de 100 000 hémorragies majeures en rapport avec les AOD sont recensées chaque année aux USA et l’UE, précise Gómez-Outes et environ la moitié sont suffisamment graves pour nécessiter une hospitalisation et le recours potentiel à un agent d’inversion. Laquelle peut être obtenue avec l’idarucizumab (Praxbind®, Boehringer-Ingelheim) pour le dabigatran, le Concentré de Complexe Prothrombique (4CCP) ou encore l’andexanet alpha (Andexxa®, Alexion Pharmaceuticals) pour l’inversion de l’inhibition du facteur Xa par le rivaroxaban, l’apixaban et l’édoxaban.
La méta-analyse, publiée dans le Journal of American College of Cardiology du 22 juin, se réfère à 4 735 patients (d’âge moyen 77 ans, 57% d’hommes) ayant des saignements sévères liés aux AOD, ayant reçu le 4CCP (2 688 pts) ou l’idarucizumab (1 111) ou encore l’andexanet (936) dans 60 études entre janvier 2010 et décembre 2020 [1].
La fibrillation auriculaire (FA) était la cause la plus fréquente de prescription de l’AOD (82%), suivie par la maladie veineuse thromboembolique (14%). Les différents produits étant le rivaroxaban 36%, l’apixaban 32%, le dabigatran 31% et l’édoxaban 1%.
L’événement hémorragique recherché était l’hémorragie intracrânienne (HIC), survenue dans 55% des cas. L’anticoagulation a été reprise chez 57% des patients, en moyenne 11 jours après l’admission.
Le taux de mortalité était de 20,2% chez ceux ayant une HIC et de 15,4% chez ceux avec une hémorragie extra-crânienne. Dans l’analyse statistique par méta-régression, il n’y avait pas de différence dans les taux de mortalité quel que soit le produit utilisé, le type d’étude, le risque de biais ou le sponsor impliqué dans l’étude.
La récidive de l’hémorragie est survenue chez 13,2% des patients. Chez 82,0 % de ceux-ci, la récidive était intracrânienne (HIC) et 78,0% des récidives sont survenues après la reprise de l’anticoagulation.
Le taux d’accidents veineux thromboemboliques était de 4,6%, ce risque était particulièrement élevé avec l’andexanet (10,7%) et relativement faible avec l’Idarucizumab (3,8%) et le 4PCC (4,3%), remarquent les auteurs.
« Notre méta-analyse suggère que l’inhibition spécifique par l’andexanet n’est pas meilleure que celle obtenue avec l’inversion non spécifique obtenue avec le 4PCC et c’est une bonne nouvelle car de nombreux centres dans de nombreux pays n’ont pas accès aux très coûteux antidotes spécifiques » indique Gómez-Outes. « Le 4PCC est efficace et relativement sûr, aussi il reste toujours une bonne option pour ces patients ».
La notice pour andexanet met en garde sur les événements thromboemboliques possibles mais, en l’absence de comparaison directe, ces résultats doivent être interprétés avec précaution, ajoute-t-il. Des précisons sont attendues, avec un essai randomisé en cours, comparant andexanet au traitement standard chez 900 patients, souffrant d’une HIC aiguë apparue moins de 15 heures après la prise de l’anti Xa oral. Les premiers résultats sont attendus en 2023.
« Cette méta-analyse attire l’attention sur les taux de mortalité et d’accidents thromboemboliques après l’administration des agents inhibiteurs mais comprendre les données et ce qu’elles impliquent est autrement plus compliqué » commentent Christopher Granger, et Sean P. Pokomey, (Duke University Medical Center, Durham, North Carolina) dans leur éditorial [3].
Le fait que l’échec à obtenir l’hémostase soit associé aux décès était attendu et avait peut-être davantage à voir avec la définition de l’hémostase qu’avec l’échec du traitement hémostatique, suggèrent-ils. « Les effets prothrombotiques de chaque agent, en incluant l’andexanet, doivent être mieux compris, dans cette période où les cliniciens travaillent à la rédaction d’algorithmes incluant les agents d’inversion dans le traitement des saignements ».
Les limites de l’étude
L’efficacité de l’hémostase est définie de façon différente dans les études : par exemple « excellente/bonne » en utilisant les scores Sarode et ANNEXA-4, ou bien « oui » dans l’International Society on Thrombosis and Hemostasis ou encore en utilisant d’autres scores, voire une appréciation clinique.
Bien que la taille de cette méta-analyse relègue au second plan les études précédentes, les éditorialistes et les auteurs signalent que 47 des 60 études sont rétrospectives, que seulement deux disposaient d’un groupe contrôle et que, dans 45 d’entre elles, la probabilité de trouver des biais était forte.
En général, les données cliniques essentielles n’étaient pas correctement mentionnées, notamment la nature du traitement anticoagulant utilisé après l’hémorragie et l’analyse de la mortalité pouvait s’avérer limitée puisque basée sur des patients sélectionnés ayant une hémostase efficace évaluée dans les 48 heures – ce qui pouvait être une façon de passer à côté les décès précoces, notent les auteurs.
« La morbidité et la mortalité résultant d’un AVC ischémique secondaire à un traitement préventif insuffisant chez les patients ayant une FA continuent de minimiser la mortalité due aux hémorragies chez les patient recevant des AOD au cours de la FA, aussi la priorité numéro un est de traiter pratiquement tous les patients ayant une FA par les AOD » concluent les Drs Granger et Pokomey. « Autre outil dans notre arsenal, la disponibilité des inhibiteurs des AOD devrait rassurer les médecins lors de la prescription des AOD pour la prévention des accidents vasculaires cérébraux. »
Aucun financement/subvention n'a été reçu pour mener l'étude. Le coauteur Ramón Lecumberri a reçu des honoraires personnels de Boehringer Ingelheim et Bristol Myers Squibb en dehors du travail soumis. Tous les autres auteurs ne rapportent aucune relation financière pertinente. Le Drs Granger a reçu des honoraires de recherche et de conseil de Bristol Myers Squibb, Pfizer, Boehringer Ingelheim, Bayer, Janssen, Boston Scientific, Apple, AstraZeneca, Novartis, AbbVie, Biomed, CeleCor, GSK, Novartis, Medtronic, Merck, Novo Nordisk, Philips, Rho, et la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis. Pokorney a reçu un modeste soutien de conseil de Bristol Myers Squibb, Pfizer, Boston Scientific, Medtronic, Janssen et Zoll ; modeste soutien à la recherche de Gilead, Boston Scientific, Bristol Myers Squibb, Pfizer et Janssen ; et un important soutien à la recherche de la FDA.
L’article a été publié sur Medscape.com sous l’intitulé Reversal Agents Curb DOAC-related Bleeding but Deaths Still High. Traduit par le Dr Jean-Pierre Usdin.
Crédit photo : Getty Images
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Citer cet article: AOD: les antidotes réduisent les saignements mais les décès restent encore élevés - Medscape - 19 juil 2021.
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