EMDR : quelle place aux urgences ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

16 juillet 2021

Virtuel – Y-a-t-il une place pour la thérapie EMDR « Eye Movement Desensitization and Reprocessing » aux Urgences ? Au congrès Urgences 2021 , le Dr Cédric Gil-Jardiné (PH-Urgences adultes, CHU Bordeaux) a présenté un état des lieux des connaissances sur ce sujet [1].

« L’utilisation de l’EMDR (voir encadré) dans la prise en charge des troubles de stress post-traumatiques (TSPT) est reconnue, mais ce qui émerge depuis quelque temps c’est l’idée d’utiliser l’EMDR comme un moyen de prévention du traumatisme. En situation de psychotrauma potentiel, une intervention précoce pourrait permettre de diminuer la survenue des symptômes à distance », indique le Dr Gil-Jardiné.

L’existence de protocoles utilisables dans les suites immédiates du traumatisme permettent désormais d’envisager cette intervention au plus proche de l’événement traumatique, c’est-à-dire au sein des services d’urgence.

En préambule de son intervention, l’urgentiste a rappelé que 20 à 25 % des patients qui se rendent aux urgences, suite à un accident ou à des blessures, ont des symptômes aspécifiques 3 mois plus tard [2,3].

Il peut s’agir de syndromes post commotionnels (Post-Concussion Syndrome, PCS), une entité clinique définie par un ensemble de symptômes apparaissant dans les semaines ou mois suivant un traumatisme crânien léger à modéré. Ces symptômes incluent céphalées, troubles de concentration, de mémoire, de personnalité, intolérance au stress, irritabilité, vertiges, vision floue.

Mais peuvent aussi survenir des syndromes post-traumatiques dont les symptômes clés sont l’intrusion (l'événement envahit les pensées de manière répétée et de façon incontrôlable), l’évitement, l’hyperstimulation/hypervigilance et les cognitions négatives.

Ces deux syndromes ont une part de chevauchement importante et très récemment, il a été mis en évidence un rôle du stress ressenti aux urgences sur le développement de ces deux types de syndrome [4].

Premières évaluations

Si l’idée d’instaurer l’EMDR aux urgences pour prévenir le développement de syndromes traumatiques est séduisante, l’intervention d’un psychologue pendant une heure aux urgences au milieu des multiples examens à réaliser peut toutefois s’avérer complexe et l’intérêt de cette démarche préventive se doit d’être validée, a souligné le Dr Gil-Jardiné.

« Nous avons donc conduit un certain nombre d’études avant d’envisager la mise en place de psychologues aux urgences », a précisé l’orateur.

Une première étude réalisée en 2018 a montré qu’à trois mois, l’EMDR comparée à la réassurance ou à un groupe contrôle était efficace. Dans le groupe EMDR, seulement 6 patients sur 34 ont développé des PCLS contre 24/37 dans le groupe contrôle (p<0,0001) et 14/38 dans le groupe réassurance. Les mêmes tendances étant observées pour les troubles de stress post-traumatique.

« L’efficacité était assez surprenante mais il fallait une étude de plus grande envergure que nous avons conduite entre le CHU de Bordeaux et les Hospices Civiles de Lyon », a expliqué le Dr Gil-Jardiné.

Dans cette nouvelle étude, sur 1865 patients s’étant présentés aux urgences de janvier à juillet 2018, 313 ont été randomisés, 156 pour participer à une séance unique d’EMDR selon le protocole R-TEP et 157 dans un groupe contrôle. Le taux de réponse était de l’ordre de 65 %.

L’objectif était de comparer l’effet de la thérapie EMDR aux soins usuels sur l’apparition à trois mois d’un passage aux urgences d’un syndrome post-commotionnel.

L’étude n’a pas démontré d’efficacité de l’EMDR pratiquée aux urgences mais elle a soulevé un certain nombre de questions.

Selon l’intervenant, plusieurs paramètres ont pu expliquer ces résultats négatifs. Le premier est que dans cette étude, par rapport à l’étude précédente, la plupart des psychologues étaient peu expérimentés en EMDR.

Aussi, la cible dans cette étude était l’événement possiblement traumatique récent alors que dans la première étude l’événement ciblé était plus ancien.

Enfin, plus globalement, se pose la question du rôle physiologique joué par le stress sur la bonne évolution des patients. Dans ce contexte, l’EMDR est-il équivalent à l’intervention précoce de « psychological debriefing » qui peut s’avérer délétère si elle est mal réalisée et « qui est tant décriée ? », s’interroge l’orateur.

Une nouvelle étude devrait être mise en place d’ici la fin de l’année et prendre en compte ces différentes problématiques. « Elle intègrera des professionnels très habitués au protocole d’EMDR. Les psychologues seront très sensibilisés au rôle du stress ressenti à l’entrée aux urgences. L’EMDR ne sera plus la seule technique proposée par les psychologues et les patients ne seront pas sélectionnés, ce afin de refléter la réalité du terrain », a précisé le Dr Gil-Jardiné.

« L’idée d’intervenir aux urgences pourrait être un outil performant au niveau communautaire. Cela pourrait aussi réduire les inégalités sociales car les séances avec un psychologue sont nombreuses et coutent cher. Une séance précoce aux urgences pourrait avoir un impact majeur de santé publique », a conclu l’orateur.

La technique de l’EMDR a été inventée par Francine Shapiro en 1987. Elle s’appuie sur un processus physiologique naturel qui se déroule au cours de la nuit, pendant le sommeil paradoxal, lorsque le cerveau classe les informations. Pendant ce traitement de l’information, les yeux bougent de droite à gauche (mouvements oculaires rapides).

Lorsque des personnes ont été confrontées à un traumatisme, elles subissent un choc émotionnel qui va empêcher le cerveau de traiter l’information de cette manière. L’objectif de l’EMDR est de remettre en route ce processus de traitement de l’information pour « redigérer ces souvenirs enkystés, ces phénomènes traumatiques pour les intégrer de manière plus physiologique et diminuer les souffrances », indique le Dr Gil-Jardiné.

En pratique, la thérapie EMDR utilise une stimulation sensorielle bi-alternée (droite-gauche) qui se pratique par mouvements oculaires. Pour cela, le patient suit les doigts du thérapeute, écoute des stimuli auditifs ou le thérapeute tapote alternativement les genoux du patient ou le dos de ses mains.

Au début de la séance, le praticien demande au patient de se concentrer sur le souvenir traumatique.

Le praticien pratique alors des séries de stimulations bilatérales alternées rapides pendant lesquelles le patient reste silencieux. Entre chaque série, le patient dit ce qu’il a ressenti (image, son, odeur, sensation physique).

Le praticien continue les stimulations jusqu’à ce que le souvenir ne génère plus de perturbations, ait perdu sa vivacité.

Ensuite, toujours avec des stimulations bilatérales alternées rapides, il aide le patient à associer à ce souvenir une pensée positive, un lieu sûr. Il s’agit de la phase de stabilisation.

Une séance d’EMDR dure généralement plus d’une heure, pendant laquelle le patient peut traverser des émotions intenses.

Crédit photo : Janie Airey via Getty images

 

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