Pour ou contre la vaccination obligatoire des soignants : résultats du sondage Medscape

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

13 juillet 2021

Paris, France  Depuis plusieurs semaines, la perspective d’une vaccination obligatoire des soignants et plus largement de tout le personnel travaillant dans les centres de soins, se dessinait. C’est désormais chose faite, ou en tout cas annoncée, depuis le 12 juillet par le président Emmanuel Macron. Dès le 7 juillet, tous les représentants des professionnels de santé s’étaient déjà déclarés favorables à une telle mesure. Qu’en pensent les médecins eux-mêmes ? Quelles conditions associées à cette obligation leurs paraissent acceptables ?

Nous avons interrogé les professionnels de santé inscrits sur Medscape pour connaitre leur opinion. 1550 ont répondu à un sondage en ligne entre le 9 et le 13 juillet 2021*. Près de 730 d’entre eux exercent en France métropolitaine (473 médecins, et 257 autres professionnels de santé dont 106 infirmières). Le Dr Benjamin Davido, infectiologue à Garches et directeur médical de crise à l’AP-HP a commenté les résultats et donné son opinion sur cet enjeu de santé publique.

Les médecins majoritairement en faveur de la vaccination obligatoire

À l’AP-HP, près de 95% des médecins sont déjà vaccinés. Il n’est donc pas surprenant que les praticiens soient en accord avec la vaccination obligatoire des soignants qui n’ont pas de contre-indications : dans notre sondage, 74% ont répondu par l’affirmative.

Pour le Dr Benjamin Davido, les mesures sur la vaccination obligatoire des soignants sont acceptables car elles sont annoncées dans le contexte d’une extension du pass sanitaire : « le vrai problème est celui de la vaccination générale de la population, et non pas seulement des soignants, qui représentent moins de 5% de la population. Je suis donc ravi de ces mesures incitatives à la vaccination pour tous. »

Chez les autres soignants, les résultats sont plus contrastés. 58% des infirmières sont contre la vaccination obligatoire versus 36% des autres professionnels de santé (non-médecins).

Face au refus de la vaccination obligatoire : il faut convaincre

Parmi les médecins qui sont contre la vaccination obligatoire, 45% indiquent ne pas vouloir l’imposer à leurs collègues, « ce serait contraire à la liberté individuelle ». 27% estiment qu’il est encore trop tôt pour légiférer, et qu’il faut essayer de convaincre les réfractaires. 60% d’entre eux ― ainsi que 56% des infirmiers et 63% des autres professionnels de santé ― déclarent avoir des  doutes sur la sécurité des vaccins. 42% des médecins ayant répondu ‘non’ doutent également de leur efficacité, pourtant démontrée dans la vraie vie. Enfin, pour 12% d’entre eux, l’obligation ne devrait s’appliquer qu’à certaines spécialités en contact étroit avec des patients fragiles.

« Il va falloir accompagner le personnel pour ne pas faire face à des démissions par centaines », prévient le Dr Davido. « Déjà, à l’issue de la 3e vague, près de 40% des paramédicaux, épuisés, avaient déclaré vouloir changer de métier. Il ne faudrait pas qu’il y ait une levée de bouclier, car on a encore besoin de tout le monde à l’hôpital. Mais la proportion de refus catégoriques  à la vaccination parmi les soignants hospitaliers est très résiduelle – c’est moins de 5%. Le vrai travail doit se concentrer sur ceux qui hésitent, et ce sont souvent des jeunes femmes inquiètes d’un risque sur la fertilité [ndlr. ce qui pourrait expliquer le taux d’hésitation plus élevé observé chez les infirmières]. Nous allons donc continuer, comme nous le faisons depuis mars, d'expliquer et de tenter de convaincre le personnel ».

Dans notre sondage, 11% des répondants déclarent avoir été convaincus de la nécessité de la vaccination obligatoire au vue des données scientifiques (gravité de la maladie, évolution de pandémie, émergence des variants etc.). Ils ont donc changé d’avis.

Le Dr Davido se dit « confiant et convaincu que les personnels médicaux et paramédicaux vont accepter de se faire vacciner. Ils savaient que l’obligation allait être annoncée. Et c’est tout à leur avantage de se faire vacciner, non seulement pour se protéger sur le plan sanitaire ― rappelons que de nombreux soignants sont décédés du Covid ― mais aussi sur le plan légal et personnel en tant que citoyen Français. On voit de plus en plus de clusters émerger à l’hôpital et des procès intentés par des familles, qui doivent nous faire réfléchir en notre âme et conscience de soignant. On ne peut pas à la fois soigner les malades et être incriminés à tort de les avoir contaminés. C’est intenable. »

Bémol sur les sanctions

Le gouvernement a déclaré que les personnels des centres de santé qui refuseraient de se faire vacciner d’ici le 15 septembre serait licenciés, sans indemnité. Or dans notre sondage, seul 11% des médecins sont d’accord avec ce type de sanction et 16% sont pour une retenue sur salaire ou honoraires. La majorité des répondants sont en effet contre des mesures punitives financières ou de licenciement. 42% des médecins sont en faveur d’une mutation du personnel non vacciné vers des activités sans contact avec les patients (télémédecine, administratifs etc.) et 24% ne préconisent aucune sanction.

Pas seulement les professionnels/personnels de santé

Dans leur grande majorité (74%), les médecins sont pour étendre la vaccination obligatoire à d’autres professions qui sont en contact étroit avec le public (services sociaux, restauration, enseignement, tourisme etc.) « Et il est fort à parier que l’obligation s’appliquera très bientôt, en toute logique, à d’autres corps de métier », selon le Dr Davido. « D’ailleurs avec les nouvelles mesures concernant le pass sanitaire obligatoire dans les lieux recevant du public dès le 21 juillet et 1er août, la pression vaccinale est encore plus contraignante pour les travailleurs du secteur tertiaire que médical. Ils vont devoir se faire vacciner en un temps record. »

Des mesures d’urgences

Le président Macron a ainsi appelé « solennellement » tous les citoyens à se faire vacciner « au plus vite », et les nouvelles mesures concernant le pass sanitaire accentuent d’autant plus la pression sur la population. Pour le Dr Davido, « nous sommes face à une situation de crise inédite ― on nous parle bien de la ‘menace’ du variant Delta. Or pour y répondre dans les délais, il faut accélérer la vaccination. Et la meilleure façon d’y parvenir est d’abandonner la stratégie actuelle de 2 doses à 45 jours et d'établir un schéma accéléré de la 2e dose. Selon les données, on peut en effet administrer une 2e dose du vaccin Pfizer dès 17 jours. »

Autrement, la stratégie annoncée cette semaine, ne serait pas cohérente. « Pour assister à un spectacle, il sera plus facile de faire un test PCR que d’être complètement vacciné ! Ce n’est pas en pratique incitatif », fait remarquer le Dr Davido. « On a déjà perdu un mois parce qu’on attendait le pass européen début juillet. Il faut être réaliste : pour réussir ce pari il faudra raccourcir le délai entre les doses, et pour cela nous aurons besoin de plus de doses et de plus de personnels pour vacciner l’ensemble des français qui le souhaitent. »

L’annonce présidentielle ne mentionnait pourtant pas d’augmentation d’effectifs pour mener à bien cette nouvelle campagne de vaccination, alors même que le risque de démissions dans le monde médical est bien réel. Là aussi il y a urgence : « il va falloir bien réfléchir à la meilleure répartition des soignants par malade. Le Covid se rajoute à la pression déjà existante sur l’organisation du système de santé. Et si cette maladie perdure, il faudra vite se pencher sur le besoin en effectifs et la pénibilité de ce métier. Cela va bien au-delà de la vaccination obligatoire des soignants. »

*résultats mis à jour le 14 juillet 2021

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