Insuffisance cardiaque : le parcours de soins complètement repensé

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

5 juillet 2021

France — Comment optimiser le parcours des patients atteints d’insuffisance cardiaque alors que le nombre de personnes concernées par cette maladie chronique, ponctuée d’épisodes aigus, ne fait que croitre ?

Cette question a fait l’objet d’une réflexion globale de la part des professionnels de santé, sociétés savantes et associations de patients réunis au sein d’un Comité national et de 6 Comités régionaux pendant six mois*. Lors du colloque Optim’IC qui s’est tenu le 22 juin 2021, des propositions concrètes ont été présentées sous forme d’un programme[1].

« Il y a urgence en la demeure, le nombre de patients atteints d’insuffisance cardiaque en France est de 1,5 million et ce chiffre augmente de 25 % tous les 4 ans en raison du vieillissement de la population. La filière de soins n’est pas clairement visible, les patients encombrent les urgences et sont aiguillés dans des services qui ne sont pas forcément spécialisés en IC. Ils ne rentrent pas dans une filière de soins adaptée. Pour sauver la vie d’un patient insuffisant cardiaque, il faut pouvoir optimiser son traitement. Pour cela, il faut pouvoir le revoir en consultation tous les 15 jours. Malheureusement, notre système de soins ne permet pas d’avoir toutes ces consultations et cela va aller de mal en pis avec la chute de la démographie médicale et l’augmentation du nombre de patients », a indiqué le Pr Thibaud Damy, Président du programme institutionnel Optim’IC (cardiologue, CHU Henri Mondor, Créteil) lors de la conférence de presse de présentation du programme.

 
La filière de soins n’est pas clairement visible, les patients encombrent les urgences et sont aiguillés dans des services qui ne sont pas forcément spécialisés en IC
 

Un parcours de soins pour le médecin généraliste a été actualisé en 2014 par la Haute Autorité de Santé (HAS) en première ligne pour coordonner et optimiser le traitement, a-t-il rappelé. Mais, l'absence de médecins dans certains territoires est un frein à cette organisation. Aussi, l'assurance maladie a revu le parcours de soins récemment, en établissant de nouveaux indicateurs. Et, des expérimentations sont en cours (réseaux territoriaux, programme Prado pour le retour à domicile, ETAPES pour la télésurveillance, dossier médical partagé…). Mais, la portée de ces différentes mesures est encore trop limitée.

« L’insuffisance cardiaque est la première cause d’hospitalisation avec hébergement des plus de 60 ans et cela ne fera qu’empirer si rien n’est fait pour assurer la soutenabilité, l’universalité et la pérennisation du modèle de prise en charge », a souligné le Dr Michel Fanget, cardiologue et député de la quatrième circonscription du Puy-de-Dôme, membre de la commission des Affaires étrangères et Conseiller régional Auvergne-Rhône-Alpes.

Comment optimiser le parcours des patients insuffisants cardiaques ?

Les différents acteurs du programme Optim’IC ont identifié 4 pistes d’orientation qu’ils proposent de concrétiser par la mise en œuvre de 11 propositions :

1)     Systématiser le dépistage précoce de l’IC et de ses comorbidités ;

2)     Optimiser le parcours autour des filières territoriales ;

3)     Mieux partager l’information ;

4)     Faire du financement au parcours un succès.

Systématiser le dépistage précoce

La première proposition du programme préconise de systématiser le dépistage précoce de l’insuffisance cardiaque en présence de certains facteurs de risques cumulatifs (âge, antécédents familiaux, surpoids, essoufflement, œdèmes, etc.) ou de risques CV (Haute pression artérielle, IDM, diabète, cardiopathie congénitale etc.). Certains lieux comme les EHPAD pourraient être systématiquement associés à des campagnes de dépistage. Et tout dossier ALD de personne âgée devrait inclure des indicateurs de suivi de l’IC.

Aussi, il serait particulièrement utile que les données de la caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) concernant les pathologies des assurés puissent faire l’objet de croisements (patients sous furosémide, avec comorbidités, ALD…) pour repérer les patients à risque, créer un registre et informer automatiquement le médecin généraliste ou le cardiologue, indique la note de position Optim’IC.

Autre approche recommandée, l’Assurance Maladie pourrait envoyer une ordonnance à tous les patients en ALD pour IC pour qu’ils bénéficient d’un test NT-proBNP, plus accessible qu’une échographie cardiaque. Les résultats seraient là encore automatiquement transmis à leurs médecins.

Le recours aux analyses biologiques concernant ces patients à risque pourrait être généralisé. Les médecins ayant des patients âgés devraient être encouragés à prescrire des analyses biologiques ciblées (ferritinémie et du CST pour la carence martiale, anémie, albumine, CRP, CRP ultrasensible) et multiplier les dosages NT-ProBNP.  Pour les marqueurs BNP ou pro-BNP, une uniformisation des techniques d’analyse semble toutefois souhaitable, tout comme une uniformisation des seuils d’alerte proposés par les différentes sociétés savantes.

Enfin, mieux repérer les comorbidités de l’IC qui aggravent les symptômes , allongent les hospitalisations et impactent la qualité de vie des patients est une priorité mise en avant par le programme Optim’IC. Les experts rappellent que 16 comorbidités touchant à l’IC ont été dénombrées par l’ESC en 2016 et encouragent notamment à surveiller la plus fréquente, à savoir la carence martiale (même sans anémie).

Mieux partager l’information

En complément du dépistage systématique, la feuille de route préconise d’améliorer la prévention des décompensations et donc des hospitalisations. Elle propose notamment de remettre un livret individuel de l’insuffisance cardiaque au patient lors du diagnostic qui soit informatif, qui recueille les données du patient et qui soit partageable avec les différents acteurs du parcours de soins.

Elle ajoute que les outils numériques, notamment la télésurveillance pourraient être plus développés. « L’outil de télésurveillance le plus efficace est certainement la balance connectée (coût modique). Une prise de poids trop importante peut déclencher une téléalarme et sans doute éviter 30% à 40% des hospitalisations », précise le Pr Damy.

A ce titre, « le programme ETAPES (lire encadré en fin de texte), qui positionne la France parmi les pays leaders de la télésurveillance dans l’IC, devrait être pérennisé au terme de son expérimentation, si possible en étendant son périmètre d’intervention à l’amont des décompensations alors qu’il est souvent encore limité à l’aval.

 
L’outil de télésurveillance le plus efficace est certainement la balance connectée
 

Enfin, la sortie de l’hôpital devrait être mieux préparée avec la possibilité de suivre un programme d’accompagnement thérapeutique insistant notamment sur la surveillance de la prise de poids. Ces programmes « devraient pouvoir bénéficier de financements ad hoc », selon OPTIM’IC.

En termes de communication et de formation, la création de campagnes nationales et locales de sensibilisation/communication, mais aussi de documentations, d’ateliers et de formations (type MOOC…) sont autant de leviers pour contribuer à une meilleure prise en charge de l’IC.

D’autres pistes consisteraient à créer des hot-lines qui préciseraient les étapes du parcours et les bonnes pratiques à suivre à chaque niveau.

Sur le plan national, la création d’une base de données biologiques permettrait d’avoir facilement accès aux résultats de laboratoire. Et, au niveau local, des bases de données telles que des annuaires pourraient s’avérer précieuses.

Le programme insiste enfin sur l’importance de l’interopérabilité des différents supports d’échange et de communication.

Adapter les approches au maillage des territoires

Si la mise en place d’une politique de santé publique nationale de l’insuffisance cardiaque est primordiale, le programme Optim’IC met aussi l’accent sur l’importance de l’organisation locale de chaque bassin/territoire de santé. Pour cela, il insiste sur la nécessité d’un diagnostic territorial avec identification des besoins et des ressources locales disponibles et la mise en place d’un schéma directeur adapté aux réalités épidémiologiques.

Il est préconisé d’identifier des référents IC formés dans chaque territoire (médecin, infirmier.e., pharmacien…) mais aussi d’optimiser les liens ville-hôpital/clinique-domicile à travers des schémas régionaux de parcours. Le principe serait de faire suivre les patients insuffisants cardiaques dépistés précocement ou ayant déjà fait une décompensation en ville afin de réserver les ressources hospitalières pour les cas les plus complexes. « La filière de soins ville-hôpital doit être identifiée et visible. Les patients doivent arrêter d’errer », insiste le Pr Damy.

 
La filière de soins ville-hôpital doit être identifiée et visible. Les patients doivent arrêter d’errer
 

Le bon fonctionnement général en réseau pourrait être assuré par des cellules de coordination expertes (ex : Cellules d’Expertise et de Coordination de l’Insuffisance Cardiaque Sévère-CECICS et des systèmes de télésurveillance type COVIDOM), avec des protocoles de transfert de compétences aux infirmier.e.s, le cas échéant aux infirmier.e.s en pratique avancée (IPA) qui pourraient assurer le rôle de liaisons.

Une autre proposition serait de faire connaitre les ressources au sein d’espace collaboratifs, y compris en créant des cliniques de l’insuffisance cardiaque à l’échelle de chaque territoire.

Enfin, la HAD et les soins de suite et de réadaptation devraient être mieux intégrés aux parcours de soins, souligne le programme.

Comment financer ?

Partant du constat que le vieillissement de la population va entraîner une augmentation de la prévalence de l’IC qui dépassera la soutenabilité du système actuel, le groupe de travail insiste sur quelques mesures à mettre en place.

Pour les rapporteurs, le moyen le plus sûr de faire des économies est de réduire le nombre de patients pouvant évoluer vers un état grave ce qui signifie, un meilleur dépistage et une optimisation de la prise en charge des comorbidités et du suivi. L’un des objectifs est donc de « replacer l’hôpital dans son rôle d’exception et de sécurisation pour déléguer le suivi du patient à d’autres acteurs notamment l’HAD, les praticiens de ville et les EHPAD ».

Aussi, pour limiter les effets de la chute de la démographie médicale, le programme recommande d’intégrer de nouveaux acteurs dans la prise en charge de l’IC, notamment les infirmier.e.s de coopération ou de pratique avancée.

Concernant le financement, le groupe de travail propose que l’insuffisance cardiaque soit reconnue comme une maladie chronique et que le suivi du patient soit valorisé par des forfaits annuels qui pourraient bénéficier tant aux spécialistes qu’aux généralistes. Il préconise de mixer les financements populationnels et à l’acte/activité.

Enfin, pour inciter les professionnels de santé à s’investir dans ce parcours vertueux, il est préconisé que l’insuffisance cardiaque soit incluse, notamment, dans les ROSP.

Le programme ETAPES (pour Expérimentations de Télémédecine pour l’Amélioration du Parcours en Santé) dans l’IC a pour objectif principal de détecter précocement les décompensations pour réduire les risques d’hospitalisation.

En pratique, les données du patient sont lues quotidiennement. Le patient est suivi par une infirmière qualifiée qui assure un accompagnement thérapeutique. Les alertes sont gérées par l’opérateur de la plateforme qui élimine les faux positifs. Le médecin référent ne reçoit que les alertes pertinentes.

Les patients IC peuvent être inclus s’ils répondent aux critères d’inclusion de la télésurveillance suivants : une hospitalisation pour IC depuis moins de 30 jours, ou au cours des 12 derniers mois mais alors de classe NYHA ≥ 2, avec un taux de BNP > 100 pg/ml ou de NT -proBNP > 1000 pg/ml.

Le cardiologue ou le médecin généraliste disposant d’un DU d’IC peut s’inscrire comme médecin réalisant la télésurveillance. Il doit informer son ARS, la Cnam, le Cnom, la Cnil et son assureur. Puis, il établit une prescription médicale avec le dispositif de surveillance retenu et les moyens de former, et accompagner le patient.

Une rémunération de 110 euros par semestre par patient est prévue pour les médecins effectuant la télésurveillance grâce au dispositif ETAPES. Elle est majorée de 120 euros si le praticien réalise l’accompagnement thérapeutique de mise en place de la télésurveillance, soit au moins 3 séances durant les 6 premiers mois (possible à distance).

*Cardiologues hospitaliers et libéraux, médecins généralistes, gériatres, pharmaciens, infirmiers, biologistes, représentants de fédérations hospitalières, décideurs et institutionnels territoriaux, économistes; la Fédération hospitalière de France (FHF), le Collège national de biochimie-biologie moléculaire médicale (CNBBMM), le Collège de la pharmacie d'officine et de la pharmacie hospitalière (CPOPH), le Syndicat national des cardiologues (SNC), le Collège national des cardiologues français (CNCF), la Société française de gériatrie et gérontologie (SFGG); l'Alliance du coeur, France Rein, l'Association pour le soutien à l’insuffisance cardiaque (SIC), l’Association vie et coeur (AVEC) et l’Association pour les patients insuffisants cardiaques (ASPIC).

Crédit image : Jolygon via Getty
 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....