Paris, France — Parmi les 1000 praticiens français ayant répondu au dernier sondage de Medscape sur la rémunération et la satisfaction professionnelle, 15% envisagent très sérieusement d’aller exercer à l’étranger.
Pour quelles raisons des médecins souhaitent-ils quitter la France? Quels sont les avantages à en tirer? Pour le savoir, nous avons recueilli les témoignages de trois médecins, deux spécialistes et un généraliste, ayant franchi le pas. Ils travaillent aujourd’hui dans le service public ou en cabinet privé, au Canada (Québec), en Suisse et en Belgique.
Sont-ils satisfaits de leur choix? En quoi ce changement a-t-il modifié leur pratique et leurs conditions de travail?
Dr Fabien Touzot, immunopédiatre au CHU Sainte-Justine, Montréal (Canada)
C’est en 2016 que le Dr Fabien Touzot, immunopédiatre, quitte son poste de maître de conférence universitaire et patricien hospitalier en immuno-hématologie à l’hôpital Necker enfants-malades de Paris. Il part alors s’installer, avec sa femme et ses deux jeunes enfants, à Montréal, au Québec, où il exerce actuellement dans sa spécialité au CHU Sainte-Justine.
« En France, j’ai assisté à une dégradation des conditions de travail de manière continue ». Après avoir intégré l’hôpital Necker en 2009, deux ans après sa thèse, le praticien constate une diminution des ressources humaines, essentiellement du côté des paramédicaux, ainsi qu’un manque croissant de reconnaissance de la part de l’administration. Il évoque un état de « schizophrénie », dans un hôpital « qui veut soigner, tout en réduisant les moyens de le faire ».
La suppression de postes d’infirmiers et d’aides-soignants a été particulièrement délétères pour les services. « Nous en étions à assumer des tâches qui ne relevaient pas de nos fonctions, juste pour maintenir le bon fonctionnement des services. On nous demandait de maintenir les lits et l’activité, mais avec moins de personnel. Et lorsque nous obtenions des résultats conformes aux attentes de l’administration hospitalière, il n’y avait pas de reconnaissance ». Le Dr Touzot évoque avec étonnement des échanges « surréels » pendant les réunions avec l’administration hospitalière. Le poids du système hiérarchique en place à l’hôpital a fini de le conforter dans sa volonté de prendre le large.
« Le problème est que le système de santé français ne repose aujourd’hui que sur la bonne volonté du personnel soignant. La plupart ont choisi cette voie par vocation. Or, nous nous retrouvons finalement à compenser des défaillances générées par une administration purement comptable de la santé. À un moment, les soignants n’en peuvent plus : ça fini par craquer », analyse le praticien. « Beaucoup de mes amis médecins hospitaliers restés en France partent vers le privé ou loin des grandes villes. Il y a un état d’épuisement évident. »
En 2015, il commence à rechercher un poste combinant à la fois recherche et pratique médicale dans une spécialité qui reste assez peu représentée. Séduit en partie par la perspective d’émigrer avec sa famille dans un pays francophone, il postule en 2016 au CHU Sainte-Justine de Montréal, qui a aussi l’avantage de disposer de l’une des plus importantes activités en pédiatrie d’Amérique du Nord, avec des besoins en immunopédiatrie.
Admis au poste, il bénéficie d’un recrutement par sélection qui le dispense d’un stage non rémunéré de trois mois au Québec pour obtenir une équivalence à son diplôme. Une fois au CHU Sainte Justine, « j’ai retrouvé plusieurs anciens collègues français, ainsi que des praticiens ayant participé à ma formation en France ». Beaucoup d’entre eux avaient quitté la France quelques années plus tôt, « essentiellement pour des problèmes avec la hiérarchie », plus que pour des questions de moyens, précise le Dr Touzot.
D’un point professionnel, « je ne regrette absolument pas d’être parti ». « Nous disposons d’excellentes conditions de travail et nous sommes très bien rémunérés. » Le système en place au Québec pour assurer le fonctionnement du système hospitalier « est très protecteur pour les praticiens », qui exercent avec « très peu de pression hiérarchique ». Il n’y a pas de distinction entre médecins. « Ici, le titre de professeur est purement universitaire. Il a peu de valeur honorifique et, surtout, n’implique pas de subordination entre les praticiens ».
Des différences s’observent également dans l’organisation des services hospitaliers. « En France, dans un hôpital universitaire, le chef de service a une position directrice très forte. Il y a peu de renouvellement. Ici, il est choisi de manière collégiale par les membres du service, qui l’évaluent ensuite tous les cinq ans avec le responsable du département » Un mode de fonctionnement qui allège le poids de la hiérarchie.
Du côté de la recherche, « les possibilités sont beaucoup plus importantes qu’en France, même s’il y a toujours ce risque de voir ses financements interrompus du jour au lendemain ». La recherche permanente de fonds pour soutenir ses recherches représente aussi un point négatif. « Ceci dit, si mon activité de laboratoire s’arrête, j’ai toujours celle de médecin. Je trouve mon équilibre entre les deux. »
La reconnaissance exprimée par les patients, aspect le plus gratifiant de la profession pour beaucoup de praticiens interrogés dans notre sondage, représente également un point positif. « Au Québec, il existe davantage de respect vis-à-vis des médecins qu’en France. C’est probablement lié à l’influence de la culture anglo-saxonne, qui encourage un respect mutuel, très présent dans ce pays. »
Concernant la rémunération, les conditions sont aussi nettement plus favorables. En tant que pédiatre hospitalier, le salaire de base est de 740 dollars canadiens brut par journée (510 euros brut), soit environ 120 000 dollars canadiens annuels (81 600 euros brut). S’y ajoute une rémunération à l’acte qui porte l’ensemble de la rémunération brute annuelle à 350 000 dollars en moyenne pour la spécialité de pédiatrie (238 000 euros bruts). Le taux d’imposition se situe entre 40 et 50%.
Parmi les aspects négatifs, l’immunopédiatre évoque l’accès aux traitements médicamenteux qui est égalitaire mais non équitable entre les patients. Si l’hospitalisation et les soins sont pris en charge par l’Etat via la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ), la prescription de certains médicaments doit souvent être justifiée auprès des assurances privées. « En cas de prise en charge, elle ne s’applique qu’au-delà d’une franchise de 900 à 1000 dollars. »
Un retour en France est-il envisageable ? « Je ne me vois pas retourner en France faire de la médecine. Je pense finir ma carrière au Québec. J’ai une qualité de vie ici que je n’aurais pas ailleurs. Mes enfants sont ravis. Ma femme, infirmière, a fini par trouver son équilibre. » Pour autant, s’expatrier si loin de son pays d’origine « n’est pas une expérience facile » et il faut savoir s’y préparer, surtout lorsque le déménagement se fait en famille. « Chacun doit pouvoir y trouver son compte. »
Dr Stéphane Lambert, médecin généraliste à Savigny (Suisse)
Alors qu’il exerçait près de Nancy en tant que médecin généraliste dans un cabinet médical partagé avec un associé, le Dr Stéphane Lambert se lance dans l’aventure de l’expatriation en 2011 et part s’installer en Suisse. D’abord seul, il est rejoint trois ans plus tard par sa femme et deux de ses enfants.
« J’ai senti venir progressivement un ras-le-bol. À cette époque, l’Assurance maladie nous rajoutait constamment des tâches, avec des compensations minimes, alors que la valeur de la consultation stagnait. Il y avait aussi de plus en plus de contraintes administratives. Il fallait installer de nouveaux logiciels pour accompagner le développement de la carte vitale. On enchainait les heures de travail. »
Le praticien perçoit également une déconsidération, voire même « un mépris » de la part des autorités sanitaires « Les médecins libéraux étaient responsables de tous les maux. Si la caisse d’Assurance maladie était mal en point, c’est vers eux qu’on se tournait pour récupérer de l’argent. » Les relations avec les autorités se compliquent lorsque le Dr Lambert, alors représentant syndical, s’oppose à des réquisitions de médecins ordonnées, selon lui, de manière abusive.
En parallèle, « avec la hausse des impôts et des charges sociales », il voit ses revenus diminuer. « Chaque année, je devais prendre un peu plus sur mes économies pour faire face à mes dépenses. J’avais alors un chiffre d’affaire annuel de 125 000 euros et un bénéfice net de 54 000 euros. »
Pour sortir d’une situation devenue insatisfaisante, un choix s’est imposé: « soit je sortais du cabinet et je prenais un poste de médecin salarié, soit je quittais le pays ». Avec déjà une préférence pour la Suisse, pays d’origine de sa femme, dans la région francophone (Suisse romande), où la famille a ses habitudes.
Étant marié à une Suissesse, il demande la nationalité suisse « pour faciliter les démarches », avant de concrétiser un éventuel départ. Alors qu’il est toujours en exercice dans son cabinet français, il commence à rechercher des opportunités, suit des formations dans les urgences hospitalières suisses et se porte candidat pour plusieurs postes de médecins salariés, sans succès.
« On considérait que je n’avais pas les compétences suffisantes ou que je n’avais pas assez d’expérience. Il faut savoir qu’en Suisse, comparativement à la France, la formation de troisième cycle en médecine générale compte 18 mois supplémentaires en milieu hospitalier. Le diplôme de médecine générale français n’est pas pleinement reconnu. »
Le Dr Lambert décide alors de s’installer en tant qu’indépendant et trouve en quelques mois un cabinet à reprendre à Savigny, une petite ville située à 12 km de Lausanne, dans un bassin de population de 11 000 à 12 000 habitants. Le cabinet étant équipé pour effectuer des analyses de routine (formule sanguine, cholestérolémie…) et des examens de radiologie, une particularité retrouvée dans beaucoup de cabinets médicaux suisses, le praticien a dû suivre au préalable une formation spécifique de quelques mois.
Pour l'appuyer, le médecin a embauché deux assistantes médicales exerçant à 130% équivalent temps plein. Leur fonction, qui n’a pas d’équivalent en France, va au-delà de celle d’une secrétaire médicale puisqu’elles ont la capacité d’effectuer des prises de sang et d’apporter une assistance technique pour les examens médicaux.
Bilan après plus de dix ans d’exercice en Suisse: « Je me suis senti très bien accueilli. J’ai une qualité de vie incomparable. Tout d’abord, je travaille moins. Mon activité est en hausse depuis quelques mois, mais je continue de travailler quatre jours par semaine. Et d’un point de vue médical, je peux exercer pleinement mon métier de médecin généraliste grâce à mon plateau technique qui m’apporte une vraie satisfaction. »
Concernant la rémunération, « elle a quasiment triplé ». Tout acte est associé à un tarif remboursable référencé dans le catalogue de tarifications médicales TARMED, même la rédaction d’un courrier destiné à un confrère spécialiste ou l’émission d’une ordonnance, et le temps consacré à chaque consultation est pris en compte. S’y ajoutent également les actes liés aux analyses et à l’imagerie médicale de la plate-forme technique.
Néanmoins, certains actes ne sont pas accessibles aux médecins généralistes étrangers s’ils ne font pas les 18 mois de stage hospitalier requis dans la formation médicale suisse, prévient le Dr Lambert. C’est le cas notamment pour des petits examens cliniques, pratiqués quasiment quotidiennement, dont le tarif devrait normalement être ajouté à celui de la consultation.
« Des médecins mal informés se retrouvent à devoir rembourser des trop perçus après des contrôles des assureurs qui deviennent de plus en plus fréquents. » Un projet de loi est toutefois prévu pour faire reconnaitre les années de pratique des médecins étrangers avant leur expatriation et donner éventuellement accès à ces cotations, a précisé le praticien.
Dr Benoit R.*, médecin spécialiste dans un hôpital public de Belgique
Dans le cas du Dr Benoit R., l’opportunité d’exercer sa spécialité en Belgique a été vécue comme un soulagement après environ 10 années d’expérience en France, en milieu hospitalo-universitaire, puis en exercice libéral. « J’avais l’impression de ne pas trouver ma place dans le système de santé français », confie le praticien. Ainsi, lorsque se présente l’opportunité de passer de l’autre côté de la frontière pour exercer sa spécialité, il n’a pas eu d’hésitation.
Dès la fin de sa formation, alors qu’il était interne dans un CHU, le Dr R. n’a pas souhaité poursuivre son activité dans cet hôpital. « Je n’étais pas pleinement satisfait de l’organisation du système hospitalier universitaire français. Le modèle est très hiérarchique et peut se montrer assez lourd. » Souhaitant devenir chef de clinique, il n’est pas non plus séduit par l’idée de passer un concours aboutissant à une année supplémentaire en internat dans « un statut précaire », puis d’attendre plusieurs années avant d’espérer avoir un poste.
Le spécialiste se tourne vers une autre structure hospitalo-universitaire de plus petite taille. Alors qu’on lui avait promis une nomination après deux ou trois ans sur un statut de praticien hospitalier, son clinicat est prolongé et on lui explique que les finances de l’hôpital ne permettent pas de confirmer sa titularisation. « Quand on est jeune parent, se retrouver dans une telle situation de précarité ― après une dizaine d’années d’études, avec une charge de travail importante ― ne permet pas d’avoir les conditions sereines pour exercer. »
Il est finalement nommé avec des fonctions hospitalo-universitaires et se retrouve à cumuler les charges liées aux soins, à l’enseignement et à la recherche, « le tout avec des moyens limités ». Après s’être inscrit en thèse de sciences, sa situation professionnelle s’est vite avérée incompatible avec sa vie personnelle et familiale. « J’allais droit au mur. » Informés de la surcharge de travail imposée, le chef de service et la direction de l’hôpital ne cherchent pas à réduire son activité.
Pour retrouver un équilibre, le Dr R. décide alors d’abandonner la recherche et l’enseignement après six années de pratique pour se concentrer uniquement sur les soins. « Un déchirement », avoue le praticien. La rupture avec l’hôpital est alors inévitable. « Puisque la structure hospitalière n’est pas consciente de ce qu’elle demande à ses employés, on en vient malheureusement à prendre ce type de décision. »
Ouvrir son propre cabinet en ville devient son nouvel objectif. Il crée son activité dans sa ville de résidence et se met en lien avec des hôpitaux privés. L’activité démarre vite. Pour partager l’exercice, il recherche un associé exerçant la même spécialité. « J’ai cherché en vain pendant plus de deux ans. Personne ne voulait tenter l’aventure du libéral. Pour tenir, j’ai dû réorganiser mon activité et me focaliser notamment sur les traitements les plus légers. Pour les traitements plus lourds, les patients étaient envoyés à l’hôpital. Ce mode d’exercice ne me convenait pas. J’avais le sentiment de ne pas exercer la spécialité pour laquelle j’avais été formé. »
En parallèle, le médecin se confronte aux contraintes administratives et à l’Assurance maladie, qui oublie régulièrement de verser certaines prestations ou multiplie les pressions pour forcer à faire des économies. Il subit aussi les conséquences inattendues de la mise en place du prélèvement à la source. « Les charges correspondant à mes deux premières années d’exercice n’ont pas été étalées comme attendu, mais prélevées sur une période de six mois, pendant laquelle je n’ai pas pu me verser de salaire. La situation est devenue critique. »
Alors qu’il se retrouve désabusé et prêt à entamer une reconversion professionnelle, un recruteur vient lui proposer d’exercer sa spécialité dans un hôpital belge, en lui vantant notamment l’organisation spécifique de cet hôpital. « L’équipe de direction comprend un directeur administratif, et un directeur médical qui est forcément médecin. Celui-ci est garant du projet médical. C’est une vraie différence par rapport à l’hôpital français et c’est ce qui m’a motivé à venir ici. »
Le Dr R. exerce depuis plus d’un an avec un statut d’indépendant, une autre particularité de la Belgique. « L’hôpital me verse un montant fixe brut par demi-journée de travail, qu’importe le nombre de consultations effectuées. À moi de déclarer mes revenus et de payer mes charges auprès de l’équivalent belge de l’Urssaff. Je travaille quatre jours par semaine. À la fin du mois, je gagne l’équivalent de ce que je gagnais en tant que médecin libéral en France, mais avec moins de contraintes. »
Pour lui, le passage en Belgique s’est traduit par une amélioration de ses conditions de travail. Le praticien apprécie notamment l’appui de personnels paramédicaux d’accompagnement (infirmier spécialisé, psychologue, diététicien, kinésithérapeute…), plus représentés dans les hôpitaux belges, en comparaison avec ses expériences antérieures. Difficile toutefois, selon lui, d’apprécier le changement après un an et demi d’activité, surtout dans le contexte difficile de l’épidémie de COVID-19.
La pratique de la médecine en Belgique a aussi ses inconvénients. « Après un an et demi d’exercice, je ne suis toujours pas officiellement reconnu dans ma spécialité. Étonnamment, il n’existe pas de reconnaissance systématique de diplôme ». De plus, « la situation n’est pas forcément plus favorable en Belgique pour les soignants. Comme partout en Europe, il y a un manque de soignants, alors que les besoins augmentent. »
« On demande de travailler davantage. Certains évoquent un manque de reconnaissance, une perte de sens. Ici aussi, de nombreux soignants quittent l’hôpital, voire abandonnent la profession. Il faut espérer que la société et les pouvoirs publics prennent la mesure des enjeux afin d’assurer une qualité de soins pour les patients. »
* le nom a été modifié
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Citer cet article: Expatriation: trois médecins témoignent des raisons de leur départ - Medscape - 28 juin 2021.
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