
Pr Boris Hansel
Paris, France ― Les patients sont orientés vers la chirurgie bariatrique lorsqu’ils sont en situation d’échec d’un traitement médical de l’obésité. Alors que le taux d’échec de la chirurgie bariatrique est lui-même relativement élevé (30-50% des patients auront repris leur poids dans les 10 ans), les recommandations insistent sur un suivi multidisciplinaire à vie des patients opérés. Le Pr Boris Hansel, diabétologue et nutritionniste à l’hôpital Bichat, remet en question la stratégie la plus courante qui consiste à insister sur le suivi post-chirurgical et à considérer la période préopératoire comme une simple « préparation ». Selon lui, c’est « avant que tout se joue ». Le patient doit en effet être en situation de « réussite » de changement comportemental et de perte de poids, avant de pouvoir bénéficier d’un traitement complémentaire par chirurgie bariatrique. Entretien :
Medscape ― Vous êtes un fervent partisan d’une intervention pré-chirurgicale plutôt que d’un suivi post-chirurgical intensif. Quels sont vos arguments ?
Boris Hansel ― À mon sens, beaucoup de patients sont adressés ou s’orientent eux-mêmes vers un chirurgien de l’obésité dans de mauvaises conditions ― un peu comme si on allait voir un chirurgien cardiaque sans avoir au préalable consulté un cardiologue. Le patient est ensuite souvent adressé par le chirurgien bariatrique à un nutritionniste et à un psychiatre pour avis. Ce que le patient comprend, c’est qu’il faut lever une contre-indication, que l’essentiel, pour maigrir, est l’opération et que le suivi post-opératoire permettra la stabilisation…
Cette vision n’est pas celle de notre équipe médicale. Je suis convaincu que le « suivi » médical pré-chirurgical est trop négligé ou en tout cas mal compris, et qu’il faut repréciser sa place auprès des patients et des soignants. Je ne considère pas le suivi préopératoire comme une « préparation », et encore moins, comme les patients le formulent souvent, comme un « parcours du combattant », donnant « droit » à la chirurgie. Cette vision est, selon moi, à l’origine de nombreux échecs à moyen et long termes. Ma conviction, et je précise que ce n’est pas une vérité scientifique mais une opinion, est basée sur mon expérience mais aussi sur le principe que l’obésité est une maladie comportementale chronique qu’on ne sait pas guérir. Sa prise en charge nécessite, qu’il y ait ou non chirurgie, un changement de mode vie au préalable.
De nombreux patients, demandeurs d’une chirurgie rapide, affirment : « Ne vous inquiétez pas, une fois que j’aurai bien perdu, je ferai attention… Je ne suis pas prêt à regrossir ». Après quelques mois de perte de poids, malheureusement, on sait ce qu’il advient de cette motivation. Dans mon expérience, un patient qui ne change pas avant la chirurgie ne changera pas non plus après. Je rencontre beaucoup de malades qui ont été opérés dans une logique de parcours quasi-administratifs, avec au mieux un passage obligé par un programme d’éducation thérapeutique multidisciplinaire, mais non franchement investi par le malade. Ces patients sont pour moi les plus difficiles à suivre, souvent perdus de vue et fréquemment en échec après deux ou trois ans. Bien évidemment, il n’y a pas de règle absolue et on rencontre aussi des malades qui ne changent rien ni avant, ni après, et qui par le simple fait de l’effet de la chirurgie ne reprendront jamais le poids perdu !
Quel serait le message pour les patients dans ce contexte ?
Boris Hansel ― L’offre de soins de notre équipe est basée sur trois messages:
En premier lieu nous informons clairement le patient : « Si vous êtes venu nous voir, c’est que votre maladie, qui est indépendante de votre volonté, nécessitera une chirurgie pour obtenir une perde de poids durable de plus 5 à 10% ».
Toutefois, notre second message insiste sur la nécessité première de la prise en charge hygiéno-diététique incluant une approche comportementale, voire psychologique. Mais le message au patient est, chez nous, bien différent de ce qui est proposé habituellement. Il est : « Je vous adresserai au chirurgien, non pas quand vous serez en échec des mesures hygiéno-diététiques, mais au contraire, lorsqu’il y aura réussite ». Les patients obèses ont souvent un contrôle difficile et des troubles plus ou moins marqués de l’appétit, mais il est toujours possible d’obtenir un changement durable du mode de vie. C’est ce changement auxquels les patients ne pensent même plus, tant ils sont convaincus d’avoir « tout essayé », que nous visons, celui qui permettra de perdre 5% voire 10% du poids sans chercher davantage. Nous insistons sur le fait que perdre davantage n’est pas un objectif et que cela pourrait témoigner de la mise en place de règles trop strictes non souhaitables car transitoires, comme elles l’ont déjà a été chez eux.
Enfin, notre troisième message concerne l’activité physique. L’objectif est d’introduire un véritable traitement de type sport thérapeutique. Le mot « sport » est assumé car il se réfère à l’existence de règles bien précises. Notre rôle de soignant n’est pas simplement de recommander au patient de chercher une activité physique qui lui fera plaisir ou de prendre les escaliers plutôt que l’ascenseur, mais de prescrire et d’éduquer le patient, à l‘aide d’enseignants en activité physique adaptée et/ou de kinésithérapeutes ou psychomotriciens, à pratiquer ce sport thérapeutique pour atteindre les recommandations. Bien évidemment, de nombreux patients annoncent d’emblée qu’ils ne peuvent pas faire de sport en raison de leur poids, de leurs douleurs ou d’une dyspnée, et que c’est une fois qu’ils auront maigri qu’« ils s’y mettront ». Au cours de mes 15 années d’expérience clinique, à l’exception des patients de plus de 200 kg, je n’ai pas le souvenir d’un seul patient obèse qui n’ai pas pu mettre en place le sport thérapeutique, bien expliqué par un spécialiste, à cause de son poids ! Notre message est donc le suivant : « Ce n’est pas votre poids qui vous empêche de pratiquer une activité physique; c’est le déconditionnement lié à votre sédentarité qui en est le principal frein ». Il suffit généralement de quelques semaines de sport thérapeutique adapté, sans perte de poids majeure, pour constater une réduction de la dyspnée et des douleurs mécaniques !
En clair, notre vision est que le moment optimal de la chirurgie est celui où le patient est en situation de succès et non d’échec, c’est-à-dire lorsque la mise en place des mesures hygiéno-diététiques est effective et se traduit par la perte de 5% du poids. Dans notre expérience, c’est dans cette situation que les chances de réussite à long terme sont les meilleures…
Quel est le programme de suivi pré-chirurgical bariatrique dans votre service ?
Boris Hansel ― Le programme médico-chirurgical de notre unité est adapté pour répondre à une forte demande. Parmi les 50 demandes de prise en charge chirurgicale de l’obésité, nous recevons entre 20 et 30 personnes par mois, à l’occasion d’une réunion d’information mensuelle qui a désormais lieu en visioconférence. Les autres patients ne donnent pas suite à notre proposition de rendez-vous. Plutôt que de proposer un rendez-vous individuel avec de long délais d’attente, nous souhaitons que le premier contact ait lieu rapidement. Nous savons que les patients sont souvent désespérés, qu’ils recherchent de l’aide et il est de notre devoir de prendre le temps de les écouter et de leur parler sans tarder. En revanche, dès le départ, nous mettons les choses au clair sur ce qu’on va faire ou ne pas faire.
Les patients qui le souhaitent viennent ensuite à l’hôpital pour procéder à un bilan médical (évaluation des comorbidités, préparation à une éventuelle chirurgie etc.). Un plan d’accompagnement multidisciplinaire personnalisé est proposé et nous collaborons pour cela avec des soignants libéraux le plus possible, sans dépassements d’honoraires. Schématiquement, trois parcours sont proposés en parallèle mais de façon coordonnée : accompagnement psycho-comportemental, suivi diététique et enseignement du sportif thérapeutique adapté. Aujourd’hui l’essentiel se fait en visio-conférence, ce qui a augmenté considérablement la participation et l’adhésion des patients. Nous avons développé des outils connectés qui nous permettent d’établir un lien étroit avec le patient tout au long de son suivi.
Combien de temps dure ce programme préparatoire ?
Boris Hansel ― En moyenne 6 mois, mais c’est variable d’un patient à l’autre. Pour certains, tout se met en place rapidement car ils avaient déjà entamé une démarche similaire ; pour d’autres, cela peut être plus long car le patient n’adhère pas au programme. C’est pourquoi le délai avant la chirurgie peut être de 3 mois… comme infini ! Les recommandations stipulent la nécessité d'être en échec après un traitement médical, nutritionnel, diététique et psychothérapeutique bien conduit pendant 6-12 mois, avant d’opérer. Dans les faits, nous les appliquons… Mais nous ne formulons pas les choses de cette façon ; nous adressons le malade au chirurgien lorsqu’il est en situation de réussite de la prise en charge hygiéno-diététique et cela prend généralement 6 à 12 mois. Nous n’évaluons pas les choses en mois, mais en termes de progression et de meilleur moment pour la réussite du traitement.
Quid des patients qui doivent perdre du poids en raison d’une opération chirurgicale urgente et dont l’objectif n’était pas forcément de changer de mode de vie ?
Boris Hansel ― Dans le cas où une perte de poids importante est indispensable à court terme lorsqu’il existe un risque vital, nous avons bien entendu des moyens d’y parvenir. Qu’il s’agisse d’une chirurgie bariatrique, d’un ballon gastrique ou d’un régime restrictif, il y a urgence et on ne se préoccupe pas de la reprise pondérale qui est attendue par la suite.
Quel est le profil type du patient qui « réussit » ce parcours pré-chirurgical ?
Boris Hansel ― Il y a quelques critères qui sortent dans la littérature, mais à mon sens rien de très robuste. Il semble que l’adhésion du patient au suivi soit un critère important. C’est toutefois une association, la relation de causalité n’est pas établie. Pour ma part, j’émets l’hypothèse que la mesure du VO2 max pourrait être un bon facteur prédictif. C’est un marqueur global de la condition physique et de l’état de santé. L’American Heart Association (AHA) a publié il y a déjà plusieurs années une revue sur les indicateurs globaux de la condition physique qui sont à mon sens insuffisamment utilisés. Nous pourrons bientôt examiner notre hypothèse. En effet, depuis 2014 dans notre service, nous mesurons le VO2 max chez tous nos patients. Cette mesure, associée à celle des seuils ventilatoires, est utilisée d’une part pour évaluer l’état de santé des patients, et d’autre part pour ajuster la prescription de sport thérapeutique adaptée.
De plus en plus de centres de soins privés dédiés aux personnes obèses et en surpoids voient le jour et proposent un suivi pré- et post-chirurgical, parfois de type VIP avec hébergement. Qu’en pensez-vous ? En quoi leur offre de soins diffère-elle de celle des unités hospitalières ?
Boris Hansel ― Ce n’est pas quelque chose de nouveau. Ces programmes structurés, souvent sous forme de séjours en centre de santé, offrent effectivement une prise en charge pluridisciplinaire avant et après chirurgie bariatrique, le plus souvent remboursée par la sécurité sociale ou les mutuelles. Mais je n’ai pas d’éléments pour penser que ces structures privées ont une offre de soins qui soit meilleure que celle proposée aujourd’hui par les centres publics. À l’hôpital, vous aurez des services qui sont plus ou moins spécialisés en fonction du type de patient, mais à ma connaissance, il n’y a pas de données indiquant que ces maisons privées ont un taux de réussite supérieur. Il n’y a pas non plus d’argument pour penser qu’il soit inférieur… Donc si ces offres de soins correspondent aux attentes de certains patients, je n’y vois pas d’inconvénient. Pour ma part je crois beaucoup à l’optimisation du parcours de soin ville-hôpital. C’est précisément sur ce sujet que nous travaillons : renforcer les liens ville-hôpital en utilisant les technologies de l’information et de la communication, le tout centré autour du patient.
Medscape © 2021 WebMD, LLC
Les opinions exprimées dans cet article ou cette vidéo n'engagent que leur(s) auteur(s) et ne reflètent pas nécessairement celles de WebMD ou Medscape.
Citer cet article: Chirurgie bariatrique : c’est avant l’opération que tout se joue - Medscape - 21 juin 2021.
Commenter