Professionnels de santé en colère : un référendum d'initiative partagée pour sauver l'hôpital public

Jean Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

16 juin 2021

Paris, France — Le Ségur n'aura calmé la colère des professionnels de santé qui sont descendus dans la rue mardi dernier (le 15), et ce dans toute la France, pour réclamer une revalorisation des rémunérations, des recrutements et l’arrêt des fermetures de lits à l’hôpital.

Depuis quelques jours, les actions se multiplient, grève des infirmiers de bloc opératoire le mardi 25 mai à Sète, manifestation devant le CHU de Nimes le 8 juin, grève aux urgences de l'hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis) le 11 juin…

Aussi, depuis le 3 juin dernier, une association est née. Son nom ? "Notre hôpital, c'est vous." Son but ? Lancer une proposition de loi référendaire sur l'hôpital public. Ses moyens d'action ? Le référendum d'initiative partagée. L'un des initiateurs de ce projet, le Dr Matthieu Lafaurie (AP-HP), nous détaille le pourquoi du comment de cette association, qui se fixe pour tâche ultime de sauver l'hôpital public.

https://twitter.com/CollectInterHop/status/1402939472245895172

 

Qui a créé cette association et quand ?

Dr Matthieu Lafaurie : C'est une association qui a été mise sur pied essentiellement par des soignants de l'hôpital public déjà impliqués dans des collectifs (collectif inter-hôpitaux, collectif inter-urgences...), des usagers et des citoyens.

Je l'ai proposé à la fin de l'année dernière. Puis, il a fallu ensuite rédiger une proposition de loi et ça c'est un boulot de fou, surtout lorsque l'on est soignant, nous ne savons pas du tout faire cela.

Pouvez-vous nous présenter ce projet de loi ?

Techniquement dans un référendum d'initiative partagée, nous ne pouvions aborder de manière directe les questions de financement, qui sont tout juste évoquées dans notre proposition de loi : ainsi nous avons demandé à ce que la tarification à l'acte ne dépasse pas 50% du financement. Pour rappel, c'était une mesure du candidat Macron mais rien n'a évolué sur cette question.

Nous avons demandé à ce que la tarification à l'acte ne dépasse pas 50% du financement.

Nous abordons deux autres points essentiels : nous tenons à donner à l'hôpital public l'égalité d'accès aux soins. De manière précise, nous demandons un ratio entre le nombre de patients et le nombre de soignants affectés, en fonction du nombre de patients et des spécialités. Cela existe déjà en réanimation, en soins continus de cardiologie...

Deuxième point : la fermeture des lits. Plus de 100 000 lits ont été fermés en 25 ans et cela continue, y compris dans les nouveaux projets hospitaliers en cours : à La Réunion, à Rennes, Nantes, sur la région parisienne avec la fusion entre Bichat et Beaujon qui devrait faire disparaitre 30% de lits... Nous demandons que les capacités en lits soient déterminées selon les besoins de soins, au niveau territorial. Cela, nous pouvons le déterminer. 

Nous demandons un ratio entre le nombre de patients et le nombre de soignants affectés

Quels sont les autres thématiques abordées dans votre projet de loi ?

Nous abordons aussi la question de la démocratie sanitaire dans la gouvernance hospitalière et nous demandons d'associer les soignants - infirmiers, aides-soignants... -, personnels médico-techniques et usagers, aux décisions hospitalières.

 

Nous demandons que les capacités en lits soient déterminées selon les besoins de soins, au niveau territorial.

Pourquoi ne pas avoir pris cette initiative au sein d'un collectif ou d'un syndicat ?

Nous travaillons avec les collectifs et les syndicats, mais nous constatons que sur les points évoqués, fermeture de lits, gouvernance, les choses n'ont pas évolué. Il y a eu un Ségur de la santé, qui a permis quelques avancées notamment sur les salaires, mais qui n'a pas permis de faire évoluer les points évoqués ci-dessus. Le référendum d'initiative partagée est inscrit dans la constitution mais n'a pas encore été utilisé, sinon pour l'avenir de l'aéroport de Paris. C'est donc la première fois que l'on met en place une pareille initiative, et c'est un vrai parcours du combattant.

Vous vous êtes fait aider par des juristes ou des députés ?

Oui tout à fait. Un constitutionaliste a mis en forme notre texte, semaine après semaine. Mais comme il s'agit d'un référendum d'initiative partagé, qui doit être porté par des élus, nous nous sommes mis en contact avec des parlementaires, pour savoir si l'initiative les intéressait.

Le référendum d'initiative partagée est inscrit dans la constitution mais n'a pas encore été utilisé, sinon pour l'avenir de l'aéroport de Paris.

On peut connaître les parlementaires qui vous ont soutenus ?

Nous avons eu un premier contact avec le sénateur Bernard Jomier, qui est médecin et connait bien l'hôpital public. Mais c'est une initiative transpartisane, nous avons besoin de 20% des parlementaires pour soutenir cette initiative.

Et actuellement vous en êtes où ?

En termes d'associations, AIDES, Oxfam, Le collectif Alerte contre la pauvreté, nous suivent. De nombreux parrains et marraines nous aident : Patrick Chamoiseau, Arnaud Desplechin, Marie Darrieussecq, Robert Guediguian, Gilbert Montagnier... Sinon nous en sommes à la première étape, qui est l'obtention du soutien de 20% des parlementaires. Il nous en faut 185 et ce matin (le 10 juin, NDLR), nous en avons engrangé 179. Nous avons bon espoir d'avoir le compte en milieu de semaine prochaine. Ensuite ces 185 parlementaires déposeront le projet de loi auprès du conseil constitutionnel, qui doit valider le projet de loi. Si la proposition de loi est validée, le gouvernement ouvre une consultation citoyenne de 9 mois, à l'issue de laquelle nous devons obtenir le soutien de 10% du corps électoral, soit 4,7 millions de personnes.

Si la proposition de loi est validée, le gouvernement ouvre une consultation citoyenne de 9 mois, à l'issue de laquelle nous devons obtenir le soutien de 10% du corps électoral, soit 4,7 millions de personnes.

Malgré tous les collectifs mis en place ces deux dernières années pour alerter sur la situation de l'hôpital public, on a l'impression que le gouvernement reste sourd. Comment l'expliquez-vous ?

Bonne question. On peut se demander s'il y a encore la volonté de maintenir une offre de service public hospitalier, ou de l'abandonner... Je ne sais pas, mais c'est incompréhensible. Pourtant, la pandémie de Covid a mis en exergue cette problématique-là...

La tutelle vous a-t-elle contacté à propos de votre initiative ?

Non, pas encore. Tant que l'on n'a pas les 185 parlementaires, il ne faut pas s'attendre à des réactions politiques. Mais nous avons envoyé notre initiative à l'ensemble des parlementaires y compris ceux de la majorité, nous ne sommes pas partisans.

Combien êtes-vous au sein de l'association ?

Il y a un noyau central de 7 personnes (praticiens hospitaliers, infirmières, professeurs, citoyennes) et un groupe de 25 personnes qui s'occupent principalement de logistique. Nous espérons qu'une fois que nous aurons nos signatures, les associations, les partis politiques prendront le relais, pour collecter les promesses de signature.

Les académies de médecine et pharmacies inquiètes pour l'avenir des CHU

Dans un communiqué commun, les Académies nationales de médecine et de pharmacie expriment leur préoccupation quant au devenir des centres hospitalo-universitaires (CHU). « Les Académies se sont récemment alarmées de façon plus générale des évolutions dans l’organisation et la gouvernance de la recherche en biologie-santé et des CHU, guidées principalement par des impératifs budgétaires aux dépens de la part universitaire et de la recherche », rappellent-elles en préambule. Elles déplorent ensuite le recul de la France en recherche médicale et innovation, passant « en termes de production de la 5ème place en 2000, à la 6ème en 2010 et la plaçant actuellement en 17ème position pour l’indice global en innovation dans les biotechnologies ». En cause : une chute de l'investissement, qui trouve son origine dans « le sous-financement chronique de cette recherche en France, l’intégration insuffisante à la gouvernance hospitalière du volet universitaire et du volet recherche, la complexité de nos organisations, l’attractivité déclinante des positions universitaires dont la mission de recherche devrait être dominante au sein des hôpitaux universitaires et le contre-sens scientifique qui dissocie la recherche d’amont, dite fondamentale et la recherche d’aval, en particulier la recherche clinique ».

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