Les populations précaires sont-elles les oubliées de la vaccination anti-COVID ?

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

15 juin 2021

France – Quid de la vaccination des populations défavorisées, voire même des sans-domiciles fixes ? Si la campagne de vaccination connait une montée en charge, elle a aussi laissé de nombreux Français, plus fragiles, moins bien équipés ou moins éduqués (notamment à l’outil informatique), de côté. Comment « aller chercher » les personnes les plus éloignées de la vaccination ? Au travers d’initiatives locales, des communes et des associations se mobilisent partout en France.

Saint-Denis (93) : des bus et des « ambassadeurs » pour inciter à la vaccination

Le 26 mai dernier, la Seine-Saint-Denis était le troisième département de la région Ile-de-France en nombre de personnes vaccinées (475 634 personnes), se réjouissait la préfecture de Seine-Saint-Denis et l’ARS d’Ile-de-France, dans un communiqué. Dans le détail, 61,2% des résidents de 65 à 74 ans et 70,1% des 75 ans et plus, avaient été vaccinés le 26 mai dernier. Une campagne vaccinale qualifiée de « succès », puisque les chiffres ont dépassé la campagne « record » menée contre la grippe saisonnière en 2020-21 où 50,3% des plus de 65 ans avaient été vaccinés.

Et la préfecture et l’ARS de se féliciter d’avoir déployé 1 des solutions innovantes pour faciliter la vaccination des Séquano-dionysiens : maillage des centres de vaccination le plus dense d’Île-de-France, dispositifs d’aide à la prise de rendez-vous, opérations « d’aller-vers » (avec la mise à disposition d’un bus), de sensibilisation à la vaccination menées par les « ambassadeurs »… La municipalité de Saint-Denis a en effet recruté quatre volontaires arpentant les rues de la ville pour convaincre les habitants de se faire vacciner, expliquait Le Parisien . Des ambassadeurs qui peuvent les inscrire directement sur des créneaux au vaccinodrome du Stade de France.

Seule véritable ombre : la part de résidents de Seine-Saint-Denis vaccinés, même si considérée comme importante par l’ARS et la préfecture, est jugée « très en retrait par rapport au reste du pays, notamment pour les 65-74 ans et les personnes plus jeunes déjà éligibles ». En effet, les taux de primo-vaccinations des 65-74 ans en Seine-Saint-Denis (ou dans les Bouches-du-Rhône) étaient près de 10 % inférieurs à la moyenne nationale, fin mai dernier, selon le nouveau collectif « Nos services publics » qui milite contre les dysfonctionnements institutionnalisés de nos administrations. Dans une note récente, il considère que la politique vaccinale a « laissé de côté une fraction importante des plus fragiles », tout en rappelant qu’en France le taux de couverture moyen (une injection) était, fin mai, de 76 % chez les 80 ans et plus (contre 86 % chez les 75-79 ans), soit une personne sur quatre non-vaccinée. Un plafonnement de la couverture vaccinale qui s’ajoute au ralentissement « inquiétant » de la vaccination des 75 ans et plus 1. À ce rythme, à peine « 80 % de cette tranche d’âge » pourrait être vaccinée, craignait le collectif.

 
Les taux de primo-vaccinations des 65-74 ans en Seine-Saint-Denis (ou dans les Bouches-du-Rhône) étaient près de 10 % inférieurs à la moyenne nationale, fin mai dernier.
 

1 : en partenariat avec les élus locaux et les centres de vaccination.

Plateformes en ligne : un obstacle à la vaccination pour les moins éduqués

Selon lui, la stratégie du gouvernement, qui a consisté à miser sur une couverture rapide et massive, a conduit à « négliger la question des inégalités d’accès à la vaccination par une absence explicite de priorisation sociale ». Et d’ajouter que le système d’écoulement des doses à « flux tendus » aurait poussé les institutions à « mobiliser des dispositifs de vaccination figés, peu accessibles aux populations les moins mobiles ».

Le collectif fait notamment référence à une affaire qui a fait couler beaucoup d’encre en début d’année. En Seine-Saint-Denis, l’ouverture des créneaux sur les plateformes en ligne (Doctolib, Maiia ou Keldoc), sans critère de résidence, aurait favorisé les seniors les plus connectés, notamment les CSP + d’autres départements d’Ile-de-France. Si l’on prend l’exemple de La Courneuve, en janvier, à peine 20 % des bénéficiaires étaient Courneuviens, contre 30 % de Parisiens, sur les 756 premières doses administrées en quinze jours. « Déjà peu intuitives pour les personnes de plus de 75 ans, ces plateformes le sont encore moins pour des publics précaires, souvent moins informés », expliquait L’Obs . Conscient de cette problématique, un centre de vaccination  de La Courneuve avait alors court-circuité les plateformes de rendez-vous en ligne pour privilégier les rendez-vous auprès des médecins et de la mairie. Cette initiative, suivie par plusieurs villes,  avait déclenché la colère du préfet qui jugeait alors le principe de Doctolib plus équitable.

Pour « Nos services publics »,  les prises de rendez-vous en ligne ont « profité aux personnes les plus autonomes » et donc « constitué un obstacle d’accès à la vaccination pour celles les moins éduquées au numérique et à la santé ». Des inégalités qui auraient pu être réduites si cet outil n’avait pas été « imposé par le gouvernement à tous les centres de vaccination », estime la note qui précise que certains représentants de l’État enjoignaient en février dernier les centres de vaccination à mettre en ligne 70 % des rendez-vous disponibles.

Des maraudes vaccinales pour les sans-abris dans le Bas-Rhin (67)

Pour remédier à ces dysfonctionnements, le collectif demande « un changement radical de méthode », « un changement de braquet social », ce qui passera par donner plus de marges de manœuvre aux acteurs locaux, considérés comme les plus à même d’« aller chercher » les personnes les plus éloignées de la vaccination.

Ce ne sont en effet pas les initiatives des acteurs locaux et des associations qui manquent pour faciliter l’accès à la vaccination. À Strasbourg, on utilise le dispositif Un Chez Soi D’abord, qui met en relation des bailleurs et des personnes en précarité, pour proposer à ces derniers de se faire vacciner contre le Covid-19 dans les locaux de l’association Alt, expliquait Rue89 Strasbourg . Et le site d’information d’ajouter que l’Hôtel de la rue, géré par l’association La Roue Tourne, qui accueille des personnes en situation de précarité depuis 2019, organise des sessions de vaccination à destination de tous les résidents majeurs 2. Quant à la Croix Rouge du Bas-Rhin, elle organise des maraudes vaccinales pour les sans-abris, avec son propre bus.

 
La Croix Rouge du Bas-Rhin, elle organise des maraudes vaccinales pour les sans-abris, avec son propre bus.
 

Les Restos du cœur veulent également faciliter l'accès des plus démunis à la vaccination. Une expérimentation dans la Somme et à Suresnes est en cours : les bénévoles ne proposent pas seulement des colis alimentaires aux bénéficiaires. Ceux-ci ont également accès à de l'information sur la nature des vaccins et obtiennent de l'aide sur les modalités d'inscription pour la vaccination. La barrière de la langue ou le manque d'accès à Internet et le sous-équipement informatique constituant autant d'entrave pour ces publics précaires, le président des Restos du cœur, Patrice Douret, expliquait sur France Inter qu’il aimerait mettre en place des lieux de vaccination éphémères et équipes mobiles pour faciliter l’accès à ses structures. Mais, pour cela, « nous avons besoin d'une mobilisation plus forte des ARS », conclut-il.

Ce devrait être le cas, à en croire les informations que Medscape France a recueilli ce jour auprès du ministère de la santé. « Nous avons de premiers éléments qui montrent que le taux de vaccination des populations précaires est inférieur à celui de la population générale, indique le gouvernement. Il faut booster cette vaccination. Des instructions ont été communiquées aux ARS et aux préfets pour augmenter la vaccination des populations précaires cet été. Un accent fort doit être mis. Ces populations souvent ne partent pas en vacances, c'est donc le moment de leur proposer la vaccination » nous a-t-il été précisé.

2 : avec des médecins de la Ville et Médecins du Monde.

Pour les plus âgées : le dispositif « aller vers » de l’Assurance maladie

Le 31 mars 2021, l’Assurance maladie a engagé l’opération d’« aller vers » en direction de toutes les personnes âgées de 75 ans et plus, n’ayant pas encore été vaccinées contre la Covid-19, afin de leur proposer (par téléphone, SMS et courrier) un rendez-vous pour se faire vacciner. Depuis début mai, elle intensifie et accélère son dispositif d’aide à la prise de rendez-vous en faveur des personnes les plus susceptibles de développer des formes graves de la Covid-19. En poursuivant deux objectifs. Premièrement, élargir ses actions à une nouvelle classe d’âge (les personnes non vaccinées âgées de 65 à 74 ans). Elles seront contactées pro-activement par SMS à partir du 11 mai les invitant à appeler un numéro coupe-file pour obtenir un rendez-vous de vaccination. Deuxièmement, une nouvelle campagne de contacts sera engagée début juin, cette fois par courrier, pour les personnes non vaccinées à la fin mai. Enfin, l’Assurance maladie engage une nouvelle campagne dite d’« aller vers attentionné » qui vise notamment à faciliter la vaccination à domicile.

Crédit Photo : THOMAS COEX/AFP via Getty Images

 

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....