Le Pr Christophe Leclercq (président de l’EHRA, vice-président de la SFC) et le Dr Walid Amara (rythmologue, Monfermeil) commentent 4 points marquants en rythmologie présentés à l’ESC 2021:
APAF-CRT , qui a été l’étude « coup de cœur » du congrès pour de nombreux rythmologues, montre une réduction de la mortalité de plus de 70% chez les patients insuffisants cardiaques avec une FA qui ont reçu une ablation du nœud atrioventriculaire + une resynchronisation.[1]
DECAAF II : le ciblage de la fibrose auriculaire lors de l'ablation des patients atteints de FA persistante n’apporte pas de bénéfice en terme de récidive. [2]
LOOP AF : chez les patients à haut risque de FA, la détection par enregistreur sous-cutané implantable permet certes d’améliorer le dépistage, mais l’intervention subséquente (traitement anticoagulant) ne permet pas d’améliorer le pronostic.[3]
Un point sur les nouvelles recommandations ESC de stimulation cardiaque et resynchronisation.[4]
TRANSCRIPTION
Walid Amara – Bonjour et bienvenue sur Medscape. Je suis Walid Amara et j’ai le grand plaisir d’avoir avec moi Christophe Leclercq, qui est vice-président de la SFC et président de l’EHRA, pour parler d’actualité en rythmologie au congrès l’ESC 2021.
APAF-CRT : ablation du NAV + resynchronisation chez les patients IC avec une FA
Walid Amara – Le congrès était assez riche pour un rythmologue et mon coup de cœur, c’était l’étude APAF-CRT. Est-ce que tu peux nous dire les messages-clés à retenir?
Christophe Leclercq – Bonjour, Walid. En effet, c’était un ESC assez riche en rythmologie et, comme toi, j’ai eu le même coup de cœur pour APAF-CRT, et pour 2 raisons : d’abord, c’était une étude extrêmement positive, et, comme tu le sais, elle est dédiée à la resynchronisation cardiaque, ce qui est, quand même, un peu mon dada.
APAF-CRT est en fait la deuxième phase d’APAF-CRT. La première phase avait été présentée par Michele Brignole il y a trois ans et avait montré une amélioration de la qualité de vie et des symptômes, chez les patients qui avaient une indication, non pas de CRT, mais d’ablation de la jonction atrio-ventriculaire avec une histoire d’insuffisance cardiaque dans l’année qui précédait l’inclusion et, surtout, des QRS qui étaient fins, puisque le critère d’inclusion était 110 ms (mais ils avaient des QRS encore plus fins, en moyenne, ils étaient de 95 ms). Donc il y a trois ans déjà, on savait qu’il avait un impact net sur la qualité de vie, les symptômes. Et puis là, il y avait une deuxième phase qui étudiait un critère fort, qui est la mortalité – on ne peut pas faire plus fort.
Résultats : cette étude a été interrompue prématurément après 29 mois de suivi, lors de la troisième analyse intermédiaire, parce que dans le groupe resynchronisation + ablation de la jonction, il y avait une réduction hautement significative de la mortalité de 75 % par rapport au groupe qui était traité médicalement. L’étude a été d’ailleurs publiée simultanément dans l’European Heart Journal[1] et confirme, chez les patients qui sont en fibrillation atriale permanente ou persistante de longue durée et qui n’ont pas d’indication d’ablation de la FA, l’intérêt de l’ablation de la jonction atrio-ventriculaire et de la resynchronisation cardiaque.
Walid Amara – J’ai noté que la fraction d’éjection moyenne a été de 40 % et la fréquence cardiaque était environ de 100 par minute, et les auteurs terminaient la présentation en disant « l’ablation de la jonction auriculo-ventriculaire doit être envisagée comme stratégie de première intention devant une FA permanente mal contrôlée avec de l’insuffisance cardiaque, une hospitalisation dans l’année, à condition bien entendu qu’il n’y ait pas d’indication d’ablation de la FA. »
DECAAF II: ciblage de la fibrose auriculaire lors de l'ablation des patients avec FA persistante
Walid Amara – La 2e étude concerne, justement, l’ablation de la FA. C’est DECAAF II. Est-ce que tu peux la résumer ? Parce qu’elle n’est pas simple à retenir…
Christophe Leclercq – DECAAF II est une très belle étude qui a été présenté par Nassir Marrouche, que les gens qui pratiquent l’ablation de la FA connaissent bien, puisqu’il a publié il y a cinq ans un concept qui montrait que plus il y avait de fibrose au niveau de l’oreillette gauche, plus il y avait un risque de récidive d’arythmie atriale et que, surtout, le pourcentage de fibrose résiduelle après l’ablation était un des critères majeurs, selon lui, de récidive de fibrillation atriale. Plus de 800 patients ont été inclus dans cette étude multicentrique, menée sur plusieurs continents. [2] Ils ont d’abord visualisé la fibrose chez tous les patients, et refait l’IRM à 3 mois, puis à 6 mois. Cette étude s’attachait à montrer que l’identification et la destruction de la fibrose par les techniques d’ablation pouvait marcher chez les patients qui ont une fibrillation atriale persistante, chez qui on sait que l’ablation ne marche pas si bien parce qu’on a des taux de récidive de 50 % à 60 %.
Résultats : cette étude est malheureusement négative parce que lorsqu’on regarde le taux de récidive dans les deux groupes, il est exactement identique, les courbes se superposent de manière tout à fait identique. Quelles en sont les raisons? La première raison qu’on peut évoquer est que tous les centres n’ont peut-être pas attaché la même énergie à ablater la fibrose, puisque même dans le groupe qui était ablaté par la fibrose, il y n’avait qu’à peu près 50 % des gens qui avaient une fibrose qui était vraiment bien « altérée ». L’autre question qu’on peut se poser est : « ce concept d’identification de la fibrose par l’IRM au niveau de l’oreillette est-il vraiment très pertinent ? » On sait que c’est très pertinent dans le ventricule. Dans l’oreillette, là, on peut se poser la question. Enfin, il y a toute une analyse qui va être faite avec toutes les images, parce qu’ils ont réussi à collecter une bibliothèque incroyable d’IRM de patients (plus de 800 patients), et je crois qu’aujourd’hui on peut dire que par rapport à l’isolation des veines pulmonaires classique, le fait d’essayer d’altérer la fibrose dans l’oreillette gauche n’apporte pas de bénéfice en termes de récidive. Et on reste toujours à des taux qui sont assez importants – 50 % de récidive.
Walid Amara – Moi, ce que j’ai aimé, c’est qu’effectivement la bonne nouvelle est que la référence va rester l’isolation des veines pulmonaires plutôt pour des procédures simples, celle qui est en classe 1 dans les recommandations d’ablation. Et le deuxième message est que les meilleurs résultats étaient notés chez les patients qui avaient moins de 20 % de fibrose. C’est-à-dire que cela garde l’intérêt de l’évaluation de la fibrose, peut-être pour identifier les patients les moins atteints, qui bénéficieraient peut-être le plus de l’ablation de la FA, quelle que soit la méthode.
Christophe Leclercq – Je suis tout à fait d’accord et je crois que c’est un commentaire très pertinent. Moins les patients avaient de fibrose, plus importante était l’altération de la fibrose chez ces patients et plus cela semblait marcher. Il est aussi important de dire que c’est dans le bras interventionnel, donc avec beaucoup plus de lésions qui étaient réalisées, qu'il y a eu six AVC, alors qu’il n’y en avait pas du tout dans le groupe isolation pulmonaire. Donc, pas de bénéfice, plus de complications… Je crois qu’il ne faut pas enterrer la technique, mais je pense qu’il y a besoin de beaucoup d’analyse…
LOOP AF : dépistage de la FA par moniteur implantable et traitement subséquent
Walid Amara – Tu as modéré une session late breaking où a été présentée LOOP AF, qui est une étude sur le Holter implantable et sur le dépistage de la FA. Peux-tu nous en dire les points clés?
Christophe Leclercq – C’est une étude de dépistage, mais aussi une étude d’intervention. Et c’est une des premières qui a été publiée, dans le Lancet. [3] Il s'agissait de patients de plus de 70 ans, avec un facteur de risque d’AVC, insuffisance cardiaque, antécédents d’AVC, diabète, ou hypertension – donc une population quand même à risque. Ils ont pris 6 000 patients – une étude danoise menée avec la rigueur que l’on connaît – randomisés en groupe ILR. ; pour un patient avec un Holter implantable, il y avait 3 patients qui étaient suivis de manière classique.
Résultats : on a trouvé 30 % de plus de FA chez les patients qui étaient dans le groupe moniteur implantable. Ces patients ont été anticoagulés et ce qui était un peu surprenant, c’est que le critère primaire qui était la survenue d’un AVC ou d’un accident thromboembolique était réduit de 20 %, certes, mais de manière non significative. Donc cette étude permet de diagnostiquer plus de FA dans une population sélectionnée, mais le fait de traiter les patients par anticoagulants ne diminuait pas de manière significative le risque d’AVC ou d’accident thromboembolique.
Walid Amara – Mon hypothèse est qu’il n’y avait peut-être pas assez de puissance, tout simplement, parce que c’est très difficile à démontrer.
Nouvelles recommandations ESC de stimulation cardiaque et resynchronisation
Walid Amara – Tu as été parmi les personnes qui ont présenté les recommandations de la Société européenne de cardiologie de stimulation cardiaque et de resynchronisation. [4] Il est impossible de les résumer en deux minutes, mais on aura largement le temps, dans d’autres vidéos, de les aborder. Mais pourrais-tu peut-être donner un ou deux messages-clés en attendant qu’on les lise en détail ?
Christophe Leclercq – D’abord, il y a 8 ans qu’elles n’avaient pas été republiées. Il y a deux messages-clés.
Chez les patients qui ont une indication de bloc atrio-ventriculaire, on insiste bien sur le fait qu’il ne faut pas simplement implanter un stimulateur, mais il faut réfléchir, notamment chez les patients jeunes : faire de l’imagerie, ne pas hésiter à faire de la génétique et essayer de trouver une cause.
Les recommandations de l’insuffisance cardiaque ont été publiées en même temps et cette fois-ci la stimulation et l’insuffisance cardiaque se sont mises tout à fait d’accord sur les recommandations pour la resynchronisation cardiaque, et je crois que c’est une avancée majeure.
Walid Amara – J’encourage notamment les plus jeunes de bien les lire en détail parce que vous avez même les protocoles d’antisepsie lorsque vous devez mettre un stimulateur, les choix des stimulateurs, les choix des prothèses, c’est passionnant.
Merci beaucoup, Christophe. C’était un énorme plaisir pour moi d’être avec toi aujourd’hui. Merci à tous d’avoir été avec nous. À très bientôt sur Medscape.
LIENS
FA persistante : la technique d'ablation de la fibrose guidée par IRM échoue de peu dans DECAAF II
ESC : focus sur les traitements anti-thrombotiques
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Citer cet article: Rythmologie : l’essentiel de l’ESC 2021 - Medscape - 3 sept 2021.
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