Dans cette 2e partie, Gilles Montalescot (hôpital de la Pitié-Salpêtrière) et Gabriel Steg (hôpital Bichat) commentent 4 études qui auront selon eux un impact sur la pratique en cardiologie :
SSaSS [NCT02092090] : ''Elle est peut-être à mes yeux l'étude du congrès'' 2021, pour le Pr Montalescot. Remplacer le NaCl par du KCl ? Très simple. Et les bénéfices de ce substitut du sel sur les événements cardiovasculaires (CV) et la mortalité sont majeurs dans cette étude australo-chinoise.
IAMI [NCT02831608] : essai randomisé sur l’impact du vaccin contre la grippe dans la survenue d’accidents cardiovasculaires athéroscléreux chez les patients convalescents d'un infarctus du myocarde. Bien qu'intérrompue prématurémenet en raison de l'épidémie de COVID-19, l'étude montre un bénéfice statistiquement significatif et majeur (réduction de moitié des évènements) de la vaccination antigrippale chez ces patients. ''Le niveau de preuve est fort... c'est l'étude qui va changer la pratique'', selon le Pr Steg.
EMPEROR-Preserved [NCT03057951] : ''Il n'y a plus d'ambiguité'', l’empagliflozine réduit le critère combiné de mortalité CV et d’hospitalisation pour insuffisance cardiaque (IC) chez des patients atteints d’IC à fraction d’éjection préservée, avec ou sans diabète. Les prochaines recommandations devront en prendre compte.
RIPCORD 2 [NCT02892903] : aucun bénéfice de la mesure de la réserve coronaire (FFR) dans l’angiographie pour la prise en charge des patients atteints de coronaropathie.
Voir la 1ère partie consacrée au traitement anti-thrombotique (études MASTERDAPT, STOPDAPT-2 ACS, ENVISAGE-TAVI AF et LOOP)
TRANSCRIPTION
Gilles Montalescot – Bonjour à tous, je suis Gilles Montalescot de la Pitié-Salpêtrière et je suis avec Gabriel Steg de l’hôpital Bichat, et nous faisons le tour des études qui nous ont marqués au congrès de la European Society of Cardioloy (ESC 2021).
SSaSS : NaCl vs du KCl
Gilles Montalescot – Parmi les études il y a eu SsaSS[1] qui peut être, en tout cas à mes yeux, l’étude du congrès, parce que les résultats sont impressionnants.
Gabriel Steg – Oui. C’est une étude qui teste une question assez simple et qui, étonnamment, n’avait pas été vraiment testée jusqu’ici. Cela fait des années qu’on dit que nous avons tous collectivement, à l’échelon planétaire, une alimentation trop salée et que cette alimentation trop salée est un facteur de risques d’accidents vasculaires cérébraux et d’autres complications cardiovasculaires, et qu’il faut réduire la charge en sel. Les collègues australiens et chinois qui ont conçu cette étude ont dit « pourquoi ne pas remplacer le sel, le NaCl, le chlorure de [sodium], par un substitut du sel moins riche en chlorure de sodium et plus riche en chlorure de potassium – 30 % de KCl et 70 % de NaCl ? » Et pour tester cela, ils ont recruté une très grande population – 20 000 sujets dans des centaines de villages chinois. C’est une étude en cluster, donc c’est le village qui randomisé et non pas le sujet. Il y a des villages qui ont reçu du sel normal et des villages qui ont reçu du sel de substitution. Ensuite, ils ont compté les évènements.
Résultats : ils ont montré une réduction très significative et majeure des évènements cardiovasculaires et notamment des accidents vasculaires cérébraux. Le message est donc très simple et, à mon avis, il est très généralisable, je ne crois pas qu’il est très particulier à la Chine : remplacer le sel de table par un substitut de sel qui contient du KCl, c’est quelque chose d’extraordinairement simple et efficace pour réduire la morbi-mortalité cardiovasculaire et notamment le risque d’accident vasculaire cérébral. Un des éléments qui est frappant, c’est que la sécurité de ce traitement est très bonne – il n’y a pas d’excès de kaliémie dans le groupe qui prend le substitut riche en KCl. Donc je me suis précipité sur la liste des substituts de sel disponibles en France pour voir quel est celui ou ceux que je vais conseiller à mes patients dès la semaine prochaine.
Gilles Montalescot — Et, pour être provocateur : est-ce l’absence de sel de sodium ou la substitution par du potassium qui fait le résultat ? Parce qu’on pourrait imaginer qu’il est bénéfique d’avoir un peu plus de potassium pris par les patients.
Gabriel Steg – Il a des arguments pour les deux, pour dire qu’il faut à la fois manger moins de NaCl et qu’il y a d’une façon générale une corrélation inverse entre les effets bénéfiques du KCl et les effets délétères du NaCl dans une zone physiologique. Donc il n’est pas du tout exclu que les deux participent au bénéfice. L’étude n’est pas vraiment équipée pour le dire, mais, par contre, l’ampleur du bénéfice est vraiment tout à fait spectaculaire pour une mesure hygiénodiététique très simple, et probablement assez acceptable par les patients.
Gilles Montalescot – Oui. On a eu beaucoup de débats sur la prise de sel dans le passé et je pense que cela va mettre les choses en place.
IAMI : vaccination antigrippale et évènements CV chez les patients convalescents d'un IDM
Gilles Montalescot– Une autre étude, sur la vaccination cette fois : la vaccination antigrippale – quels sont les effets versus l’infarctus du myocarde ? C’est l’étude IAMI.[2]
Gabriel Steg — C’est vraiment le sujet d’actualité, puisqu’on est en plein débat sur les vaccins en général et la vaccination, sur le rapport bénéfice-risque. Cela fait des années que traîne en cardiologie l’idée que la vaccination antigrippale pourrait être bénéfique par des effets non spécifiques sur l’immunité, sur le plan des maladies cardiovasculaires. Et il y avait déjà eu deux petites études randomisées, dont une étude de notre regretté collègue Enrique Gurfinkel, que tu connais bien, qui avait testé la vaccination antigrippale chez les convalescents de syndrome coronarien aigu et qui suggérait un bénéfice peut être important. Et puis il y a eu beaucoup de données observationnelles (avec toutes les difficultés d’interprétation) qui suggéraient un bénéfice potentiel, mais sans, évidemment, pouvoir le démontrer. Donc tout le monde attend une grande étude randomisée, prospective. Et nos collègues suédois, Ole Fröbert et coll., ont mené dans huit pays la grande étude qu’on attendait – plus de 4 000 sujets randomisés entre vaccination ou pas de vaccination au décours immédiat d’un infarctus du myocarde chez les sujets qui sont en période d’épidémie grippale. Et c’est un élément important, c’est-à-dire qu’ils ont randomisé au moment des épidémies hivernales et donc pas au même moment dans l’hémisphère nord et dans l’hémisphère sud.
Résultats : l’étude a été interrompue prématurément à cause de la pandémie COVID, qui a failli la faire dérailler. Donc le schercheurs n’ont pas pu inclure le nombre de patients prévus, ils n’ont pas pu avoir la durée de suivi prévue. Et pourtant, malgré ces difficultés, l’étude, bien qu’interrompue prématurément, montre un bénéfice absolument majeur – il est tellement majeur que malgré le manque de puissance, l’étude est statistiquement significative avec une réduction, en gros, de moitié des évènements cardiovasculaires, réduction qui est drivée par la réduction de mortalité totale et de mortalité cardiovasculaire.
Je pense que cela devient incontournable dans une étude randomisée prospective, une réduction de mortalité et de mortalité cardiovasculaire statistiquement significative associée à un traitement finalement bénin et peu coûteux comme la vaccination antigrippale ; c’est quelque chose qui va faire grimper encore d’un niveau dans les recommandations internationales la proposition de vacciner tous les convalescents d’infarctus du myocarde contre la grippe. C’était déjà quelque chose qui figurait dans les recommandations, malgré le niveau de preuve faible. Là, maintenant, on a un niveau de preuve fort et je crois que c’est l’étude qui va changer la pratique.
Gilles Montalescot – Donc on se prépare un automne avec une double vaccination en post-infarctus.
Gabriel Steg – Absolument.
EMPEROR-Preserved : l’empagliflozine réduit la mortalité CV et l’hospitalisation pour IC chez des patients avec IC à FEVG préservée
Gilles Montalescot— Une autre étude qui était très attendue, même si on avait eu des bruits de couloir – EMPEROR Preserved[3] dans l’insuffisance cardiaque.
Gabriel Steg –EMPEROR Preserved est une grosse nouvelle, même si elle avait déjà été éventée par un communiqué de presse de l’industriel qui commercialise les médicaments. C’est la première fois qu’on a un traitement, en l’occurrence l’empagliflozine, un inhibiteur de SGLT-2, qui améliore le pronostic de l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. On avait déjà eu des espoirs avec le sacubitril valsartan, mais c’était juste non significatif. On avait eu des espoirs avec les minéralocorticoïdes, mais c’était juste non significatif et probablement teinté ou tâché par des problèmes de recrutement et de qualité du diagnostic dans certains pays qui participent à l’étude.
Résultats : il n’y a pas d’ambiguïté : le traitement est bénéfique. Il est bénéfique avec une réduction des évènements liés à l’insuffisance cardiaque dans cette population. Les inhibiteurs de SGLT-2, on peut dire qu’à tous les coups « ça marche », puisqu’on a l’impression que dès qu’ils sont testés en cardiologie, il y a une étude très positive. Est-ce que cela va être confirmé? Est-ce que c’est un effet lié à l’empagliflozine ou est-ce que cela va être un effet de classe? On peut penser que ce n’est pas que l’empagliflozine. Nous avions, dans SCORED et de SOLOIST, lorsqu’on avait poolé les résultats et regardé les patients qui avaient une fraction d’éjection préservée, vu un résultat assez similaire avec la sotagliflozine. Donc il y a déjà des données pour deux médicaments de la classe et on peut penser que les autres études avec d’autres inhibiteurs de SGLT-2 dans l’insuffisance cardiaque à fonction systolique préservée seront également positives. C’est vraiment une bonne nouvelle pour les patients, parce que cela reste une affection fréquente pour laquelle on n’a aucun traitement prouvé et je pense que cela va devenir un traitement de classe 1a dans les futures recommandations sur l’insuffisance cardiaque. C’est un peu dommage puisqu’elles sont sorties cette année, juste avant EMPEROR Preserved, donc elles ne donnaient pas la recommandation pour l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée. À l’avenir, à mon avis, cela va être modifié, d’autant plus que c’est un traitement qui, comme à chaque fois, est globalement relativement bien toléré.
Gilles Montalescot – J’ai une question : le 40 % de fraction d’éjection qui était autorisée pour entrer dans l’étude, est-ce de la fraction d’éjection préservée?
Gabriel Steg – C’est une très bonne question parce qu’on se rend compte que ce qu’on appelle « l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée » est un spectre qui est très large, qui va de sujets qui ont des fractions d’éjection normales, voire hyper normales et de l’insuffisance cardiaque – des gens qui ont des troubles de la compliance majeurs – à des sujets qui ont une fraction d’éjection modérément abaissée, voire notablement abaissée. Être, effectivement, à 41 % de fraction d’éjection, ce n’est pas avoir une fraction d’éjection normale. Et l’analyse poolée d’EMPEROR Preserved et EMPEROR Reduced a permis de voir que le bénéfice est vraiment confiné aux gens qui ont une fonction systolique altérée et que lorsque la fonction systolique est complètement préservée et que la fraction d’éjection et complètement normale, le bénéfice n’est peut-être pas au rendez-vous. Il y a donc quand même un grain de sel à mettre dans cette analyse et cet enthousiasme qu’on a pour l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée – ceux qui ont une fraction d’éjection complètement normale, il n’est pas sûr qu’ils tirent exactement le même bénéfice de ce médicament, comme d’autres, d’ailleurs. Et cela nous rappelle l’hétérogénéité considérable de cette entité qu’est l’insuffisance cardiaque à fraction d’éjection préservée, qu’il va peut-être falloir démembrer pour pouvoir trouver des traitements qui marchent de façon spécifique sur les différents composants de ce syndrome.
RIPCORD 2 : FFR dans l’angiographie chez les patients atteints de coronaropathie
Gilles Montalescot — Je vais terminer avec RIPCORD 2 qui est une étude présentée par Nick Curzen. C’est une étude anglaise sur la FFR (Fractional Flow Reserve) et qui a le mérite de pousser le bouchon un peu plus loin en disant « c’est bien beau l’angiographie, mais si on faisait de la FFR comme on fait de l’angiographie, c’est à dire à tout le monde, dans toutes les artères, avant de décider quoi que ce soit ? » Et donc les Anglais se sont mis en ordre de marche comme ils savent le faire et ont pris des patients qui avaient les coronaires relativement stables, un peu de NSTEMI – 1100 patients – ils les ont randomisés pour faire de l’angiographie seule ou faire de l’angiographie avec de la FFR dans tous les vaisseaux, et prendre leurs décisions en fonction de cela. Le critère de jugement est le coût de l’hospitalisation et de la prise en charge, la qualité de vie pour les patients, et on voyait arriver les évènements cliniques en dernier.
Résultats : curieusement, cet outil moderne qu’on a tous accepté dans l’angioplastie coronaire, lorsqu’on le met au niveau de la coronarographie de manière systématique, cela ne marche pas. Il n’y avait aucun bénéfice en termes médico-économiques, de qualité de vie, ni d’évènements cliniques dans cette étude. Et c’est l’idée que d’être systématique avec un outil et l’appliquer à tout le monde, tout le temps, dans toutes les artères, cela ne marche pas. Et, finalement, on se dit que les cathétériseurs avaient un peu devancé les résultats de RIPCORD 2, parce que globalement, dans les salles de cathétérisme, qu’est ce qui se passe? On sort un guide de FFR quand on a un doute et qu’on veut évaluer une sténose intermédiaire – pas une sténose à 30 %, comme ils l’ont fait là pour un certain nombre de patients, mais plutôt des sténoses de 50 % à 60 %, et plutôt quand on a retenu l’idée d’une angioplastie, et pas pour prendre des décisions médicales ou de pontage. Et cela nous rappelle, bien évidemment, deux études françaises qui ont été, aussi, neutres ou négatives : l’étude FUTURE de Gilles Rioufol, qui va bientôt être publiée chez les patients un peu du même acabit pour prendre la décision du pontage/angioplastie/le traitement médical : on faisait de la FFR à tout le monde et cela ne marchait pas. Et puis l’étude d’Étienne Puymirat, FLOWER-MI, chez les patients qui avaient un infarctus du myocarde, et où on regardait des artères non coupables et, là encore, il n’y avait pas beaucoup de bénéfice à le faire de manière systématique. Donc le côté systématique de la FFR n’est probablement pas une bonne solution pour la pratique quotidienne, même si cela reste un très bel outil pour prendre d’autres décisions d’angioplastie coronaire.
Voilà, nous avons fait un petit résumé de quatre études. On aurait pu en prendre d’autres, mais j’espère que celles-ci vous ont intéressé. Merci, Gabriel, merci à tous de votre attention.
Voir la 1ère partie consacrée au traitement anti-thrombotique (études MASTERDAPT, STOPDAPT-2 ACS, ENVISAGE-TAVI AF et LOOP)
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Citer cet article: Les points forts de l’ESC avec G. Steg et G. Montalescot : 2e partie - Medscape - 31 août 2021.
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