Tunisie, Maghreb : le point sur la situation COVID avec le Pr Faouzi Addad

Pr Faouzi Addad, Dr Walid Amara

Auteurs et déclarations

28 juillet 2021

Frappés de plein fouet par une vague de COVID sans précédent, les Tunisiens font face en tentant de rattraper le retard sur la vaccination. C’est la « seule issue » contre le variant Delta, estime le Pr Faouzi Addad, interrogé par le Dr Walid Amara.

TRANSCRIPTION

Walid Amara – Bonjour et bienvenue sur Medscape. J’ai l’immense plaisir de recevoir le Pr Faouzi Addad, de Tunis, pour parler du COVID et de la vague qui touche la Tunisie et le Maghreb et essayer d’en tirer des leçons, et voir comment cette épidémie va évoluer. Faouzi, c’est un énorme plaisir de te recevoir.

Faouzi Addad – Merci Walid. Je suis très content d’être avec Medscape pour vous parler de la situation tunisienne. Effectivement, comme tu l’as souligné, c’est une situation qui est dramatique – on ne s’attendait pas du tout à cela, parce que si on se rappelle tous lors de la première vague (qu'on appellerait maintenant une "vaguelette'), entre le premier cas qui était aux alentours du 2 mars et jusqu’à la fin juin, on a eu 1000 cas détectés pour 50 décès. Donc cela ne représente rien du tout. Et puis on a eu la deuxième, et la troisième vague, et on a reçu une pleine flambée du variant Delta.

Des populations jeunes très touchées par le variant Delta

Un séquençage a été fait : quasiment 90 % du virus qui circule maintenant est le variant indien (Delta). Et ce variant Delta est caractérisé – on l’a vu maintenant sur le terrain – par une contagiosité très importante, parce que quand un membre de la famille est touché, toute la famille [est positive]. Et on a remarqué quelque chose – et là, c’est quand même assez intriguant et assez dangereux : cela touche beaucoup les jeunes. On a beaucoup d’enfants qui ont été atteints durant les dernières semaines. La Société tunisienne de pédiatrie a même tiré la sonnette d’alarme pour dire qu’il y avait des formes pédiatriques – il y a eu des décès chez des enfants.

 
90% du virus qui circule maintenant est le variant Delta. Beaucoup d’enfants ont été atteints durant les dernières semaines. La Société tunisienne de pédiatrie a tiré la sonnette d’alarme sur des formes pédiatriques.
 

L’âge moyen en réanimation est aux alentours de 40-45 ans, c’est donc une situation très grave – quasiment plus de 200 décès tous les jours. On est arrivé jusqu’à 10 000 cas détectés – je dis bien « détectés », puisque tu sais bien que si on multiplie par le nombre de gens qui ne viennent pas consulter ― quand il y a un membre de la famille qui est positif, tous ont des symptômes, mais ils ne font pas de PCR, parce que de toute façon, la PCR coûte très cher chez nous, en Tunisie. Donc tu peux multiplier ce chiffre de 10 000 par jour tranquillement par 4. C’est donc une situation très alarmante, une montée brutale. Personne n’a vu venir des choses, ce variant Delta qui est rentré, comme ça, très rapidement.

 
L’âge moyen en réanimation est aux alentours de 40-45 ans.
 

Retard dans la vaccination

Ce qui peut expliquer également, et malheureusement, cette flambée, c’est la vaccination qui a pris énormément de retard chez nous. Dans les pays où il y a une vaccination qui a été bien faite, je crois que l’entrée du variant Delta a peut-être été moins brutale. Mais nous, on a vécu quelque chose d’assez effroyable avec très vite, comme tu peux l’imaginer, une saturation du système de santé tunisien. L’épicentre a commencé dans la région de Kairouan et là il faut s’imaginer un hôpital complètement dédié au COVID-19. Très vite, ils ont dû évacuer des patients dans les régions à côté, que ce soit Sousse ou Monastir. À Kairouan, le taux de positivité dans les tests était de 80 % à 90 %. Maintenant ils sont à 12 %, ce qui veut bien dire que la vague est passée dans cette région, mais cela s’est transmis très vite.

Les Tunisiens « se sont crus protégés »

Comme je l’ai dit, c’est un variant qui, malheureusement, est très contagieux – c’est parti très vite dans les autres régions de la Tunisie. Voilà donc une situation très alarmante avec, je pense, beaucoup d’erreurs qui ont été réalisées sur le terrain. On n’a pas vu venir l’ampleur des dégâts. On a cru qu’on était protégé. Les Tunisiens, à un moment, ont dit « on est protégé par le BCG, par le beau soleil tunisien, par la chaleur », il y en a qui ont dit « c’est l’huile d’olive ! », « c’est la harissa tunisienne !! » Tu sais qu’on a beaucoup de bonnes choses culinaires, mais bon, on a très vite compris que, finalement, on n’était protégé par rien du tout. Au départ on avait fait une très bonne stratégie avec un confinement total, une stratégie 0 et du cas 0, puis là, effectivement, on a une situation très critique.

 
On n’a pas vu venir l’ampleur des dégâts.
 

La seule issue est la vaccination

Walid Amara – Où en est la vaccination ? Parce que, finalement, on a l’impression que la seule issue de secours, c’est la vaccination. 

Faouzi Addad – Effectivement, je crois qu’il y a eu un gros retard, il faut l’avouer. Si on regarde la situation, par exemple au Maroc, ils ont très vite pris les devants dans la région du Maghreb. Ils se sont liés avec les Chinois (Sinovac) et ils étaient même dans des essais cliniques. Donc ils ont eu très vite la possibilité d’avoir des vaccins. La Tunisie a choisi une autre voie : d’abord celle du programme de l’OMS – COVAX – pour avoir des vaccins gratuits, mis en place pour essayer d’équilibrer la vaccination – finalement, je n’ai pas l’impression qu’ils ont beaucoup équilibré les choses. Nous, on avait misé sur le vaccin Pfizer, mais qu’on le veuille ou pas, c’est une bataille géopolitique – les plus forts et les plus riches ont été les premiers servis, cela a créé un déséquilibre.

 
On avait misé sur le vaccin Pfizer, mais qu’on le veuille ou pas, c’est une bataille géopolitique: les plus forts et les plus riches ont été les premiers servis, cela a créé un déséquilibre.
 

On a eu beaucoup de retard. Pour donner un chiffre, en premières doses, on est à peu près à 13 % de la population tunisienne, ce qui ne serait pas mal, mais si on regarde en deuxièmes doses – et on sait aujourd’hui qu’avec le variant Delta, il n’y a que la deuxième dose qui protège – on est à moins de 5 %. Donc on est à moins de 800 000 doses en deuxième dose, deuxième injection – 800 000 vaccinés –, ce qui est très peu.

Il y a donc un retard, mais la bonne nouvelle est qu’il y a eu une journée portes ouvertes qui a été faite pendant les fêtes de l’Aïd et elle a eu un succès énorme, peut-être même trop, puisqu’il y a eu des bousculades. On a ouvert la vaccination aux jeunes, on leur a dit « tous ceux qui veulent se vacciner entre 18 et 40 ans, venez! ». Et les Tunisiens, tout d’un coup, ont pris conscience. Je pense que comme partout dans le monde, les gens étaient auparavant un peu méfiants vis-à-vis des vaccins. Mais je crois qu’avec le recul – tu sais, c’est très important le recul – les gens ont remarqué que la vaccination marchait. C’est la seule issue actuelle pour qu’on reprenne notre vie normale et je suis très content, parce que j’ai vu les Tunisiens vraiment faire la queue, venir de façon massive demander leur vaccin, et c’est de bon augure.

Walid Amara – Il y a un article dans le NEJM qui montre que les vaccins à ARN marchent sur le variant Delta – et ça, c’est une bonne nouvelle, comme tu le disais.

La situation dans le reste du Maghreb

Walid Amara – Tu nous as parlé un peu du Maroc, le bon élève du Maghreb qui a beaucoup vacciné très tôt – au début ils étaient même assez en avance sur les Français. La Tunisie, au milieu l’Algérie et du Maroc, où elle se situe-t-elle  ?

Faouzi Addad – L’Algérie, je dirais qu’elle se situe entre les deux. C’est à dire qu’en Algérie ils ont eu une première vague beaucoup plus forte que la nôtre, donc il y a quand même un peu plus d’immunité collective, mais il y a eu, quand même, un retard sur la vaccination et on a l’impression que le variant Delta commence à arriver aussi bien en Algérie qu’au Maroc. On est en train de voir l’augmentation des cas, que ce soit en Algérie ou au Maroc, et je pense que le fait que le Maroc a vraiment de l’avance sur la vaccination va jouer sur les formes graves. Parce que, finalement, tu es d’accord avec moi Walid que le COVID, si tu es vacciné et c’est une simple grippe, ce n’est plus un problème, mais si c’est une forme grave et que cela aboutit à la réanimation et au décès, c’est là l’enjeu.

Tout l’enjeu de la vaccination, aujourd’hui, est donc d’éviter ces formes graves, et je pense que l’Algérie – on va le voir dans les prochaines semaines – va avoir quand même des soucis à se faire et ils vont devoir accélérer la vaccination, parce qu’ils ont quand même du retard.

Walid Amara – Juste pour donner un peu de baume au cœur à tout le monde, tu m’as envoyé ce matin une courbe qui montre que le pic épidémique, vraisemblablement, est passé, en Tunisie. Que peux-tu nous en dire ?

Faouzi Addad – Je pense que oui. Les données qu’on a depuis quelques jours semblent être en train de montrer qu’on est peut-être derrière le pic, qu’il est peut-être derrière nous depuis 2-3 jours. C’est encore fragile, Walid, je ne te le cache pas, parce qu’il faut attendre encore plusieurs jours.

Mais je citerais quand même deux éléments positifs :

- il y a maintenant une prise de conscience des Tunisiens que la situation est grave, donc tout le monde commence à respecter un peu mieux les gestes barrières.

- la deuxième chose est qu’il y a un engouement pour la vaccination et je pense que la Tunisie a quand même une chance par rapport aux deux autres pays maghrébins. C’est une population de 12 millions. Si on considère la population de plus de 12 ans qu’il va falloir vacciner, c’est à peu près 7 à 8 millions de personnes et je pense que là, on pourra quand même vacciner très rapidement. D’ici deux mois on pourra atteindre, à mon avis, ce chiffre-là.

Walid Amara – Merci beaucoup, Faouzi, pour cette note positive. On est de tout cœur avec vous, on a vu aussi qu’il y a plusieurs mouvements de solidarité qui se sont organisés, y compris la mairie de Paris, j’ai vu aujourd’hui, qui a annoncé une aide.

Faouzi Addad – Tout à fait.

Walid Amara – C’est super d’avoir cette solidarité d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. J’ai vu que le Maroc allait également apporter son aide. On est de tout cœur avec vous, on est impatient, bien sûr, que tout cela passe et qu’on puisse se retrouver en présentiel.

Merci, Faouzi, merci à tout le monde d’avoir été avec nous. Je vous souhaite à tous un bon été, malgré le variant Delta. À très bientôt sur Medscape.

 

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

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