Art et prise en charge de la douleur : quelles sont les données actuelles ?

Dr Pierre Lemarquis, Pr Pierre Clavelou

Auteurs et déclarations

9 août 2021

Des études et des expériences récentes démontrent le rôle que peut jouer l’art dans le traitement de la douleur. Des soins du prématuré aux soins palliatifs, l’OMS recommande désormais d’intégrer les arts dans la démarche thérapeutique. Le Pr Pierre Clavelou (neurologue, CHU de Clermont-Fd), interroge le Dr Pierre Lemarquis (neurologue, Toulon) sur les expériences auxquelles il a participé dans ce domaine.

TRANSCRIPTION

Pierre Clavelou – Bonjour, c’est avec beaucoup de plaisir que l’on va évoquer ensemble, avec Pierre Lemarquis (neurologue à Toulon), l’art et de la douleur et plus spécifiquement les différentes approches, puisque beaucoup de données sont apparues récemment. Il est intéressant de faire le point avec Pierre Lemarquis, dont tout le monde connaît l’immense culture artistique.

Un intérêt précoce pour l’art et l’algologie

Pierre Clavelou – Tout d’abord Pierre, qu’est-ce qui t’a amené à t’intéresser à ce sujet de la prise en charge de la douleur à travers l’art ?

Pierre Lemarquis – L’intérêt pour les effets de l’art est venu de la prime enfance, avec des interactions précoces. J’ai grandi dans un café-restaurant en face duquel il y avait l’école des Beaux-Arts. Ma mère était en sanatorium, donc toutes les étudiantes des Beaux-Arts étaient un peu des mères de substitution pour moi. J’avais mes entrées à cette école des Beaux-Arts d’Épinal et cela m’a donné un goût pour l’art. En même temps, il y avait l’église, derrière, où j’étais enfant de chœur et où je badais devant l’orgue : cela m’a donné aussi ces interactions initiales. Par la suite, je me suis dirigé vers la médecine, initialement la psychiatrie, puis la neurologie. J’ai colligé des articles qui sortaient sur les effets de l’art. À un moment j’ai pensé à l’algologie et donc à l’intérêt de l’art dans la douleur, et après une collection d’articles, est venue l’idée de le mettre en pratique. [L'art qui guérit P. Lemarquis ed Hazan, 2020] Donc cela vient de la prime enfance, comme beaucoup de choses.

Les données de la littérature

Pierre Clavelou – Nous allons parler ici de la douleur physique, voire de la douleur neuropathique, qui nous intéressent, nous, les neurologues. Qu’as-tu pu ressortir des études récentes sur la douleur et l’art ? Tu peux étendre sur d’autres troubles neurologiques qui te captivent, bien entendu.

Pierre Lemarquis – Je crois que le plus gros travail fait récemment est celui de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui a sorti une méta-analyse le 11 novembre 2019. [1]Ils ont colligé 900 articles médicaux montrant les effets de l’art sur le bien-être, sur la santé, tout autant dans la prévention et la promotion, que dans le soin. Donc c’était très intéressant. Et il y a beaucoup d’articles qui concernent la neurologie. Cela concerne la douleur à tous les stades de la vie ― on va du prématuré aux soins palliatifs. Quelques détails :

  • chez les prématurés, la musique leur permet d’être moins stressés, de sortir plus facilement de la couveuse,

  • chez les enfants, les dyslexiques, les dyspraxiques, il y a des études menées sous l’impulsion de Michel Habib, entre autres, et de chercheurs comme Daniele Schön, à Marseille, qui rééduquent la dyslexie par le rythme ou par la danse.

  • il y a aussi tout ce qui touche à l’anxiété, la dépression

  • et plus spécifiquement dans la neurologie, il y a une étude qui a été faite sur la douleur de la sclérose en plaques ; il y a même des concours de photographie, de peinture, dans la sclérose en plaques. Dans la maladie de Parkinson, la danse (notamment le tango) est maintenant devenu un grand classique, alors qu’il y a 10-15 ans, cela balbutiait. On a montré les effets dans les démences, puisque je crois que la plus grande découverte faite pour prévenir ou traiter les démences, est d'avoir une vie culturelle, une vie sociale bien remplie. Dès lors, les activités artistiques sont ce qui est de mieux pour une démence débutante, même une démence évoluée.

  • l’intérêt dans les soins palliatifs et les soins anticancéreux a été bien prouvé : s’il y a de la musique, c’est mieux, s’il y a un musicien sur place (plutôt que de la musique enregistrée), les perfusions passent mieux. Il y a aussi des images extraordinaires, comme celle d’une femme qui va mourir, qui est amenée sur son lit d’hôpital devant un Rembrandt : ce sont ses derniers instants, et elle les vit avec Rembrandt. Il y a quelque chose qui aide dans le soin qui est fantastique.

Les mécanismes d’action de l’art-thérapie

Pierre Clavelou – Ce que tu décris est l’art-thérapie qu’on voit effectivement de plus en plus apparaître dans la prise en charge des pathologies chroniques. Est-ce qu’à l’instar d’autres processus de type rééducatif, il y a des éléments qui permettent de penser qu’il existe des mécanismes d’action, notamment au niveau cortical, sur cette thérapie par l’art, indépendamment du fait que les patients pensent un peu moins à leurs symptômes – c’est un peu les mécanismes d’autohypnose, si on veut s’en rapprocher – ? Est-ce que par l’art-thérapie, on peut penser avoir, déjà, des cibles particulières dans notre cerveau ? Est-ce qu’il y a eu des études à ce titre ?

Pierre Lemarquis – Oui, tu as tout à fait raison. Il y a déjà ce que tu viens de souligner, le détournement de l’attention. On pense au roi Hussein de Jordanie, qui mourait de douleurs épouvantables et qui a regardé Austin Powers en boucle à la télé – cela le faisait rire, cela lui faisait passer un peu sa douleur. Et puis, des études sérieuses – au moins deux – nous montrent, à la fois pour la musique et pour les arts visuels, une action sur le système du plaisir, de la récompense, donc une sécrétion de dopamine. Cela a été démontré en 2009 au Brams, au Canada, par Robert Zatorre, qui a vraiment montré que même si on imagine une musique dans notre tête, on peut stimuler la dopamine, et donc par-là aussi des endorphines.[2]Puis cela a été montré par une autre équipe avec les arts visuels [3]; si on regarde la Joconde, on va allumer notre cortex visuel, ce qui est logique, mais on allume aussi le système du plaisir, de la récompense. C’est le lien, peut-être, entre l’art et la séduction chez les animaux, mais en tout cas cela fait du bien. Si on secrète des endorphines grâce à l’art, il y a un côté biochimique peut expliquer pourquoi on peut diminuer les doses d’antalgiques.

L’expression de la douleur par l’art ?

Pierre Clavelou – À ce titre, que penser de certains artistes comme Munsch, avec « Le cri », qui est l’expression d’une anxiété envahissante, ou Frida Kahlo, cette artiste mexicaine qui peignait ses derniers instants extrêmement douloureux seule dans son lit (elle avait été multiopérée du dos, avait des séquelles de polio et une gangrène), en faisant des autoportraits à travers un miroir au-dessus du lit ? Est-ce aussi un élément de thérapie de pouvoir exprimer par l’art l’intensité des symptômes que l’on vit et d’être un peu moins submergé par l’importance de ces symtômes ?

Pierre Lemarquis – Oui, tout à fait, tu as raison. À ce titre, je vais te montrer la première image de consultation de télémédecine de l’Histoire. lbrecht Dürer a envoyé ce dessin à son médecin et dit « voilà où est ma douleur, j’ai mal là. » C’est de la télémédecine avant l’heure. Et quand on regarde bien, c’est Dürer, donc il y a vraiment un sens caché – qu’est-il en train de nous montrer ? Il nous montre sa rate, et sa rate, c’est le spleen, il nous vante sa mélancolie. Il est déjà dans la « Melencolia » qui le rendra célèbre. Là, c’est une douleur morale, mais le fait de la montrer, il a déjà avancé.… Il nous donne d’ailleurs le traitement : dans l’image, on voit qu’il y a plein d’éléments pour traiter la mélancolie, et notamment un carré magique. Et ce carré magique, il est fait pour attirer Jupiter. Jupiter, c’est la jovialité, et la douleur morale, la tristesse, c’est Saturne. Ici, Jupiter nous rend joyeux… Il a trouvé, déjà, quelque chose pour combattre la mélancolie.

Albrecht Dürer envoit ce dessin à son médecin : « Voilà où est ma douleur, j’ai mal là. »

La musique, art majeur dans la prise en charge de la douleur

Pierre Clavelou – Selon toi, à partir de toute cette somme d’informations, est-ce plus à travers la musique, l’art pictural ou alors la littérature que les choses sont le plus exprimées ?

Pierre Lemarquis – Dans la méta-analyse de l’OMS, ils étudient tous les types d’art, même les arts numériques, donc c’est vaste – ce sont 900 articles, ils ont le temps de tout étudier, tout montrer, mais c’est vrai que quand on regarde la littérature scientifique, c’est la musique qui sort en premier. C’est la plus connue, la plus étudiée, c’est grâce à elle qu’on a étudié la plasticité cérébrale. C’est celle qui a le plus servi en neuroscience, qui est la mieux étudiée, et peut-être en tout cas la plus importante, elle va directement à l’intérieur de nous… D’ailleurs elle a été longtemps considérée comme la mère de toutes les muses. Maintenant, les arts visuels sont très étudiés aussi. La danse également. Tous les arts peuvent être intéressants, mais la musique est la plus étudiée. Peut-être aussi la plus facile à utiliser. Mettre de la musique dans les oreilles, on peut le faire avec un patient Alzheimer. Le faire peindre, c’est déjà un peu plus compliqué.

Admirer ou pratiquer un art : quelle différence ?

Pierre Clavelou – Une question peut-être un peu difficile : soit il y a un côté passif, on reçoit ces éléments qui nous touchent, il n’y a qu’à aller visiter une galerie pour être arrêté devant un tableau plus qu’un autre et voir arriver de temps en temps, pour certains, des attitudes extatiques ; soit c’est pratiquer l’art qui est l'élément d'une plus grande efficacité. Est-ce qu’il y a des différences particulières entre le fait de ressentir et le fait de produire ?

Pierre Lemarquis – Les deux sont importants, mais c’est vrai qu’à partir du moment où il y a production, on va sortir quelque chose de l’intérieur de nous. On peut penser à Jung qui faisait dessiner des mandalas (d'ailleurs pour les Tibétains, dans le mandala il y a tout ce qu'il y a dans le monde). Quand on fait un dessin, quand on produit une œuvre d’art quelle qu’elle soit, toute notre personnalité est à l’intérieur, donc on fait ressortir des choses qu’on ne voit pas, c’est un miroir. Cela nous permet de voir notre personnalité, peut-être de voir ce qui ne va pas. J’avais vu une belle exposition à Monaco : un géronto-psychiatre avait fait faire des peintures à ses patients et quand on visitait l’exposition, devant chaque tableau, il pouvait nous dire lequel de ses patients avait fait la peinture. Ils étaient pourtant dans un état de détérioration intellectuelle avancée, mais leur personnalité transparaissait encore. De manière générale, on voyait si c’était un Alzheimer ou une démence frontale – il y avait des différences – puis il y avait la personnalité qui s’impliquait. Donc dans le fait de produire, il y a une dimension en plus.

Maintenant, le fait de recevoir, c’est déjà énorme, parce qu’on va activer tous nos sens, c’est de l’esthésie, puis on arrive à l’esthétique et on stimule notre imagination, on va comparer tout cela avec notre mémoire. Donc il y a déjà un énorme travail qui se fait. Et puis pour nous, neurologues, c’est quand même quelque chose d’extraordinaire : on passe notre temps à dire que notre cerveau fabrique de l’esprit et là, c’est un cas particulier où c’est l’esprit d’un artiste, une pensée, qui vient sculpter notre cerveau puisque nos connexions sont modifiées, et le « caresser » puisqu’il agit sur le système du plaisir/récompense. Donc c’est vraiment un esprit qui s’incarne en nous. Proust l’avait bien vu – quand il se décrit Rembrandt, il dit parfois qu’il faut plusieurs vies, qu’il rayonne. Regarde Léonard de Vinci, cinq siècles après, il est encore là. Cela a bien été démontré en neuroscience : encore une fois, quand on regarde la Joconde, certes on a un système de récompense, mais on a aussi le gyrus fusiforme qui s’allume – c’est-à-dire qu’on est devant la Joconde comme si on était devant la vraie Mona Lisa. C’est un artefact, mais on se comporte un peu comme si on était réellement devant une femme. Ce n’est pas une peinture, c’est quelque chose de biologique.

 
La Joconde : ce n’est pas une peinture, c’est quelque chose de biologique. Dr Pierre Lemarquis
 

Cela a aussi été démontré tout récemment avec la musique [4] – on fait écouter de la musique à des patients et ils doivent dire si c’est un ordinateur qui l’a composée ou si c’est un compositeur. Ils mettent alors en jeu tout le système, tous les neurones du circuit de la théorie de l’esprit, le temporal, l’orbito-frontal, etc. Donc devant une musique, on se comporte exactement comme si on était en train de dialoguer avec quelqu’un. Ce sont quand même des artefacts qui pénètrent notre esprit comme si on était en train de discuter tous les deux, donc on se retrouve changés tous les deux. Il y avait des phénoménologues qui disaient que l'œuvre d’art est un peu comme quelqu’un de vivant, et ils retournaient la situation en disant que nous, puisqu’on est sculpté par notre entourage, on est un peu des œuvres d’art. Cela fait plaisir, quand même, quand on apprend ça !

 
Devant une musique, on se comporte exactement comme si on était en train de dialoguer avec quelqu’un. Dr Pierre Lemarquis
 

En pratique : l’expérience lyonnaise

Pierre Clavelou – Il faut quand même que cela débouche éventuellement sur des attitudes pratiques puisque cette prise en charge n’est pas la prise en charge classique allopathique. On voit, dans les consultations, dans les salles d’attente de certains hôpitaux ou dans les structures de soins palliatifs, qu’il y a de la musique extrêmement apaisante et largement diffusée, voire des toiles qui apparaissent de plus en plus dans nos hôpitaux qui sont beaucoup plus personnalisés. Je pense que cela participe pleinement au fait que les patients se sentent mieux. C’est compliqué, parce que chaque pathologie a sa spécificité, mais est-ce qu’on pourrait proposer à des patients d’accéder à l’art comme une vertu potentiellement thérapeutique ? Sans aller jusqu’au tableau de Monet peignant sa femme dans ses derniers instants, d’une noirceur atroce, mourant d’un cancer du col de l’utérus ! Que conseillerais-tu aux patients ?

Pierre Lemarquis – On a pu faire une expérience l’année dernière à Lyon. J’ai la chance de faire partie d’une association qui s’appelle L’invitation à la beauté, qui a été créée par Laure Mayoud, une psychologue lyonnaise qui est enseignante à l’Université catholique de Lyon. Elle est très convaincante – elle a réussi à convaincre une doyenne, Carole Burillon, qui est par ailleurs chirurgienne ophtalmologiste. Donc un chef de service de médecine interne et un directeur d’hôpital, cela fait beaucoup de monde. Grâce à cela, on a pu mettre, dans un service de médecine interne, des photos et des toiles qui nous ont été prêtées par des artistes, notamment Big Ben, qui est un street artist de Lyon. Donc les patients sortaient ― il y en a qui ne sortaient jamais de leur chambre ― pour voir l’exposition, et ils apprenaient que si une toile ou une photo leur plaisait, on l’accrocherait dans leur chambre. Ils avaient donc la toile qu’ils avaient choisie dans leur chambre et la psychologue venait étudier les interactions avec le personnel, avec les patients, et elle a montré que tout était transformé. C’est-à-dire que les patients ne parlaient plus de leur maladie ou des perfusions, ils parlaient de la toile qui était dans leur chambre comme si c’était un compagnon, quelqu’un qui était avec eux. Les infirmières parlaient aussi des toiles. On a vu une chose inouïe : des infirmières qui après leur service revenaient discuter avec les patients de la toile qui était dans la chambre. Donc tout le monde était content – les patients, le personnel, et la doyenne parce que cela lui a fait un beau papier ; cela a montré que quelque chose se passait. Il y a peut-être d’autres doyens qui peuvent être intéressés par des expériences similaires.

 
Les patients ne parlaient plus de leur maladie mais de la toile qui était dans leur chambre, comme si c’était un compagnon. On a vu une chose inouïe : après leur service, les infirmières revenaient discuter avec les patients de la toile. Dr Pierre Lemarquis
 

Pierre Clavelou – La culture vinicole peut être aussi un élément de découverte artistique – c’est ce qu’on fait actuellement dans le service de soins palliatifs où, justement, il y a pour ceux qui viennent la possibilité de s’ouvrir vers des plaisirs du goût (alors bien sûr à de toutes petites doses), de l’odeur, ce qui peut aider certains patients. C’est une autre forme pour que le patient qui n’a pas forcément cette culture, puisse découvrir autre chose et détourner un peu ce qui est complètement centré autour de lui, la pathologie, et en particulier la fin de vie. C’est pour les accompagner avec des éléments de plaisir. 

En pédiatrie : l’art et le jeu

Pierre Clavelou – C’est probablement chez les enfants que cela a commencé très tôt, notamment en oncohématologie – j’ai trouvé extraordinaire la prise en charge des leucémies. Il y a un investissement autour de l’ouverture vers le jeu, bien sûr, mais aussi vers l’art.

Pierre Lemarquis – Oui. Là, notre expérience va se poursuivre, justement, à l’hôpital mère-enfant de Lyon, cela va commencer dans les jours qui viennent. Il y a une artothèque, il y a aussi des poèmes. Je rappellerai cette anecdote de Marcel Rufo quand il était jeune chef de clinique à La Timone : il avait été voir… un chef de service d’oncologie parce qu’il avait constaté que les enfants, quand les pompiers arrivaient, regardaient tous à la fenêtre l’hélicoptère. Donc il avait été demandé aux pompiers de mettre des cercles noirs sur l’hélicoptère pour que cela fasse comme si c’était une coccinelle qui allait se poser. Je ne sais pas s’il a été reçu – à l’époque personne ne savait qui c’était, mais il a eu l’idée de le faire et c’était une bonne idée.

Pierre Clavelou – Tu sais maintenant que les enfants vont au bloc opératoire avec des voitures à pédales (ils sont accompagnés). Donc ils sont vraiment acteurs du soin, puisque ce sont eux qui décident d’aller se faire opérer avec la voiture à pédales. Alors là on s’éloigne un peu de l’art, on arrive au caractère ludique, mais l’objectif est de ne plus être envahi par cette maladie, la crainte, l’angoisse, et de pouvoir apporter un élément qui calme. Et comme tu dis, la sensation de plaisir est souvent absente dans nos hôpitaux.

Pierre Lemarquis – Cela nous donne un côté humain qui est très important pour les patients. Le Clézio, quand il avait une trentaine d’années et était déjà célèbre, est allé vivre parmi des amérindiens du Panama. Il y restait plus de 6 mois par an pendant plusieurs années. Et il ne pensait pas du tout découvrir des formes artistiques telles qu’on les connaît. Il a cité une rencontre (notamment dans son discours du prix Nobel) dont il se souvenait 40 ans après, celle d’une femme cancéreuse au dernier degré. Notre médecine ne pouvait plus rien faire pour elle, elle était retournée dans son village, et dans les soirées avec les shamans, les chants, les activités artistiques, elle souriait. Donc ces derniers jours ont été adoucis par tout ce qu’elle a vu autour d’elle, et il a eu cette phrase : « Un jour on saura peut-être qu’il n’y avait pas d’art, mais seulement de la médecine. » C’est une belle constatation. Et puis Charcot nous dit que la médecine et l’art dérivent d’Apollon tous les deux, donc ils sont faits pour s’entendre.

Pierre Clavelou – Charcot était un très grand neurologue, mais aussi un excellent acteur : dédramatiser une situation et la rendre encore plus compréhensible avec l’accès à la connaissance, en mettant en scène, justement, ces pathologies comme on savait très bien le faire à une période où il n’y avait que l’art clinique qui existait et la vérification anatomique.

Pierre Lemarquis – Oui. On est les descendants de Charcot.

Pierre Clavelou – Et on le revendique – c'était le premier neurologue universitaire au monde. À sa demande, il y a eu la première chaire de neurologie au monde.

Conclusion

Pierre Clavelou – Pierre, j’ai été tout à fait intéressé par ce sujet. Ce document que l’OMS a publié, je vais essayer très vite de l’acquérir, parce que je crois que c’est quelque chose d’important dans notre prise en charge. Je crois qu’il faut effectivement peut-être s’ouvrir aussi aux patients et essayer de retrouver chez eux ce qui les fait vibrer, pour essayer de les reconduire vers ces passions et en particulier ces passions artistiques. Ce n’est pas toujours facile, mais c’est un élément important dans nos consultations et je crois que les neurologues ont encore beaucoup de choses à faire à ce titre. Peut-être qu’on est les plus ouverts sur ce plan-là parce qu’on est convaincu de l’efficacité de ces thérapies alternatives dans l’amélioration de la prise en charge des patients et de leurs familles.

Pierre Lemarquis – Merci, Pierre. Tu verras à la fin, dans la quatrième de couverture du catalogue de l’OMS, il y a une phrase de Braque qui nous dit : « L’art est une blessure qui devient lumière. »

Pierre Clavelou – C’est un très beau mot de fin. Merci beaucoup pour tout ce que tu nous as apporté aujourd’hui. Comme d’habitude, c’est captivant. Merci.

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