Zoonoses : le point sur l’actualité

Dr François Moutou, Dr Benjamin Davido

Auteurs et déclarations

5 juillet 2021

Avec la pandémie de COVID-19, le sujet des zoonoses est de nouveau dans l’actualité. L’occasion de faire le point sur l’évolution de ces pathologies, parfois très graves. Quelles sont les zoonoses actuellement les plus fréquentes ? Quelles précautions doivent être prises, notamment concernant les animaux exotiques ? Interview de François Moutou, médecin vétérinaire, qui rappelle que l’humain reste un mammifère comme les autres et qu’il partage toujours de nombreux antigènes, bactéries, virus et parasites avec les autres animaux… 

 

TRANSCRIPTION

Benjamin Davido – Bonjour et bienvenue sur Medscape. Aujourd’hui nous allons discuter d’un sujet d’actualité : les zoonoses, ces maladies transmises par les animaux. Peu de gens le savent, mais c’est justement le cas de beaucoup de maladies infectieuses, comme le virus SARS-CoV-2. Pour en parler, j’ai l’honneur de recevoir le Dr François Moutou qui est médecin vétérinaire. Pourriez-vous vous présenter ?

François Moutou – Bonjour, je suis médecin vétérinaire, épidémiologiste, et je travaillais ― parce que maintenant j’ai la chance d’être à la retraite ― à l’Agence nationale de sécurité sanitaire pour l’alimentation, l’environnement et le travail au laboratoire de Maisons-Alfort, dans le laboratoire d’épidémiologie.

Benjamin Davido – Pour donner un ordre de grandeur, peut-on avoir une idée plus précise de l’évolution de ces différentes zoonoses au cours du temps, classiquement, sur le dernier siècle? Qu’a-t-on a vu émerger et quelles sont les interactions directes ou indirectes entre l’animal et l’homme ?

François Moutou – Les zoonoses sont les maladies infectieuses dont l’agent circule entre des animaux vertébrés – mammifères et oiseaux le plus souvent – et les humains. Mais cela peut marcher dans les deux sens : les animaux peuvent nous contaminer et nous pouvons contaminer les animaux, et cela s’est déjà passé dans l’Histoire. Je préciserais qu’on a certaines maladies, comme la rage, où chaque cas humain correspond à un contact avec un animal, et on a des maladies – et on peut citer la COVID-19 – qui commence effectivement par un passage animal-humain, puis le virus semble s’humaniser et toute l’épidémie qui a suivi se passe sans retour à l’animal et devient entièrement une histoire intrahumaine. Donc on peut distinguer les zoonoses où l’agent circule et les maladies d’origine animale.

 
Cela peut marcher dans les deux sens : les animaux peuvent nous contaminer et nous pouvons contaminer les animaux. Dr François Moutou
 

Benjamin Davido — Quelles sont les zoonoses les plus fréquentes rencontrées chez l’homme?

François Moutou – Aujourd'hui il y a beaucoup de maladies fréquentes mais heureusement banales – et l’un n’empêche pas l’autre. On a par exemple des pasteurelloses : nos chiens et nos chats de compagnie hébergent dans leur cavité buccale des bactéries de type pasteurelles, et lors de morsures – parfois juste par jeu, ce n’est pas forcément une agression – il peut y avoir une érosion de la peau du propriétaire avec une pasteurelle qui passe dans la main. Et ce sont parfois des infections désagréables, mais heureusement pas trop graves.

Une zoonose assez commune est liée à un petit parasite : la toxoplasmose. C’est une maladie qui est par contre extrêmement sérieuse chez la femme enceinte – il faut l’éviter à ce moment-là – et la source la plus commune est la consommation de viande ruminante, souvent du mouton, parfois de la viande de bœuf insuffisament cuite. Et c’est vrai que les barbecues, qui sont plutôt récents dans notre pratique culinaire, font que souvent nous mangeons la viande moins cuite que quand elle est cuite dans la poêle, et le risque de toxoplasme est plus grand aujourd’hui qu’il ne l’était autrefois, paradoxalement.

Benjamin Davido — Je rappelle d’ailleurs que l’autre situation à risque est chez les grands immunodéprimés avec réactivation du toxoplasme, qu’on peut voir dans le VIH ; cela peut donner des toxoplasmoses cérébrales.

François Moutou – Absolument.

Benjamin Davido — Arrive-t-on à identifier des situations ou des zones de foyers à risque de ces zoonoses? Est-ce qu’il y a des professions qui sont plus exposées?

François Moutou — Je dirais que les vétérinaires sont plutôt bien placés pour être exposés à ces risques-là, puisqu’ils manipulent eux-mêmes les animaux. On a aussi tout ce qui est lié aux animaux de compagnie, comme les chiens et les chats. Il y a aussi tout ce qui est lié aux animaux d’élevage : on a deux maladies bactériennes assez classiques, mais qui peuvent toujours poser problème et dont il faut se méfier, même si l’incidence au niveau élevage est extrêmement maîtrisée – ce sont les brucelloses et les tuberculoses, deux maladies sérieuses. Quand j’étais étudiant et jeune vétérinaire, c’était vraiment des problèmes que les confrères rencontraient régulièrement. Aujourd’hui, la France est officiellement indemne de ces maladies, mais c’est un terme administratif qui dit simplement que la prévalence est en dessous d’un certain seuil, ce qui permet de faciliter les échanges commerciaux au niveau de la communauté européenne.

Benjamin Davido — D’accord. Une question concernant les griffures et morsures des animaux : que faut-il penser de cette manie d’avoir des animaux exotiques? Moi, cela me rappelle le film Alerte ! avec Dustin Hoffman, où il y a la morsure du singe et ensuite une pandémie?

François Moutou – Exactement. C’est vraiment une très mauvaise idée. Et c’est curieux, parce que c’est toujours possible. On ne sait pas vraiment faire une liste positive où on pourrait dire « certains animaux sont autorisés et les autres, par principe, ne le sont pas. » Or, il y a beaucoup d’espèces qu’on trouve sur le marché en Europe, et en France en particulier, pour lesquels on ne connaît rien des risques sanitaires. En gros, on joue un peu à la roulette, on attend peut-être de voir émerger quelque chose, et à ce moment-là on dira « il faut l’interdire. »

En 2003 – ce n’est pas si vieux – on a eu un cas de pox avec un monkey pox, un virus de variole africain qui a débarqué aux États-Unis avec une importation de 800 rongeurs africains dont aucun n’avait été testé et qui ont transmis un virus africain à des personnes. Heureusement, cela s’est limité à des lésions cutanées avec parfois un peu de chirurgie et dégradations physiques qui étaient, sans doute, désagréables, mais on n’a pas eu d’explosion. Or, le monkey pox est un virus de variole et les gens qui s’occupent de santé publique s’interrogent : est-ce qu’un virus de variole de mammifère ne pourrait pas prendre la place de la variole humaine qui a été éliminée à la fin des années 70? Toutes les personnes qui ont moins de 30 ans ne sont pas vaccinées contre la variole. Est-ce un risque potentiel? À jouer avec ces rongeurs africains, on risque peut-être d’avoir un jour la réponse…

 
Il y a beaucoup d’espèces sur le marché en Europe et en France pour lesquels on ne connaît rien des risques sanitaires. En gros, on joue à la roulette. Dr François Moutou
 

Benjamin Davido – Finalement, à vous entendre, on a l’impression que toute maladie infectieuse est un peu une zoonose. Qu’est-ce que cela nous apprend sur ces écosystèmes, sur l’antibiothérapie du bétail et sur ces virus émergents? Que peut-on retenir de tout cela? Comment peut-on agir pour aller dans le meilleur des sens?

François Moutou — On peut le dire de plein de façons différentes, mais on peut dire simplement : « l’espèce humaine est une espèce parmi l’ensemble du monde vivant, du monde animal, et il n’y a aucune raison d’imaginer que nous sommes différents des mammifères. Nous sommes un mammifère et nous partageons avec eux beaucoup de choses, dont un certain nombre d’antigènes, de microbes, de bactéries, de virus, de parasites. » Et de ce côté-là, il n’y a aucune surprise à avoir. Simplement, il faut penser que les animaux auprès desquels nous vivons, comme les animaux domestiques, il faut bien s’en occuper et bien les suivre pour nous protéger. Mais cela va dans les deux sens. Par exemple, la tuberculose bovine qu’on peut trouver encore parfois chez des bovins, est une adaptation aux bovins de la tuberculose humaine après leur domestication. Donc c’est nous qui avons contaminé les bovins et de temps en temps ils nous rendent la bactérie.

 
L’espèce humaine est une espèce parmi l’ensemble du monde animal, et il n’y a aucune raison d’imaginer que nous sommes différents des autres mammifères. Dr François Moutou
 

Il n’y a pas de peur à avoir, ce n’est pas du tout le sens du propos, mais si on connaît mieux, on sait mieux comment se protéger et comment cohabiter. Il y a une notion assez intéressante en épidémiologie : une grande diversité, y compris de microorganismes, peut protéger de certains d’entre eux qui sont assez pathogènes. Il y a une protection croisée – on peut l’expliquer de plein de façons, par effet de dilution, par protection non spécifique – mais stériliser tout jusqu’à un point excessif peut être contre-productif par rapport au risque infectieux. Par exemple, il y a une discussion en cours en France sur les fromages au lait cru – c’est une tradition forte de manger des fromages au lait cru. On sait que de temps en temps on a des cas sérieux de listériose chez des patients humains. Faudrait-il stériliser tous les fromages? On sait que si on faisait cela, on pourrait mettre 25 % de la population face à des problèmes potentiels de maladie immunitaire auto-immune, voire d’allergie. Donc est-ce que l’enjeu pour quelques cas qu’il faut absolument empêcher mériterait de mettre en péril autant de personnes sur d’autres critères? C’est vraiment quelque chose qu’il faut discuter entre vétérinaires, entre médecins, avec des hygiénistes et des microbiologistes.

Benjamin Davido — C’est passionnant parce que finalement c’est l’effet domino et en quelque sorte l’histoire de la COVID-19. Je ne sais pas si on aurait pu mieux agir, mais cela nous montre que, comme vous l'avez bien résumé, l’homme reste un mammifère.

Je vous remercie beaucoup pour toutes ces précisions. À bientôt.

 

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