Cancer du rein et de la prostate : deux études majeures à l’ASCO 2021

Dr Yann Vano, Dr Manuel Rodrigues

Auteurs et déclarations

16 juin 2021

COLLABORATION EDITORIALE

Medscape &

Yann Vano (HEGP) et Manuel Rodrigues (Institut Curie) commentent 2 études positives présentées à l’ASCO 2021 :

  • KEYNOTE-564, qui montre un bénéfice de l'immunothérapie adjuvante par pembrolizumab dans le carcinome rénal post-néphrectomie, et

  • VISION, portant sur l'efficacité du lutécium 177Lu-PSMA-617 en association au traitement de référence dans le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration.

TRANSCRIPTION

Manuel Rodrigues — Bonjour et bienvenue sur Medscape. Je suis le Dr Manuel Rodrigues, oncologue médical à l’institut Curie à Paris, et je vous accueille dans le cadre du partenariat entre la Société Française du Cancer et Medscape, avec le Dr Yann Vano, qui est oncologue médical à l’hôpital européen Georges Pompidou et spécialiste en uro-oncologie. Nous allons débriefer deux études présentées à l’ASCO 2021 et qui ont particulièrement plu au Dr Vano, la première étant sur les cancers du rein. Pouvez-vous nous en dire plus ?

KEYNOTE 564 : bénéfice de l'immunothérapie adjuvante dans le cancer du rein post-néphrectomie

Yann Vano Oui. Bonjour et merci beaucoup pour l’invitation. J’ai retenu que c’était une année assez riche et particulièrement portée sur le cancer du rein et de la prostate à l’ASCO.

L’étude que j’ai retenue, elle est évidente, puisqu’elle a été présentée en session plénière, en late breaking abstract, c’est la KEYNOTE-564. Cela s’adresse aux cancers du rein en adjuvant, c’est-à-dire chez des patients qui ont une grosse tumeur du rein et qui ont été opérés. Quand je dis une « grosse » tumeur du rein, je veux dire de stade pT2 grade 4 ou pT3, voire pT4 ou, parfois, avec une atteinte ganglionnaire. Il y a aussi une cohorte de patients métastatiques qui ont pu avoir une résection de leurs métastases et qui ont pu participer à cette étude.

Globalement, l’étude compare le pembrolizumab (un anti-PD1) toutes les trois semaines au placébo, pendant un an, avec un critère principal de survie sans récidive et un critère secondaire de survie globale. C’est la première fois que cette étude a été présentée ; il y a un suivi d’environ 24 mois. Ce qu’on peut dire dans les caractéristiques des patients — et c’est très intéressant pour interpréter, après, les résultats de cette étude —, c’est qu’environ 87 % d'entre eux sont « de risque intermédiaire/haut risque », c’est-à-dire pT2 grade 4 ou pT3 – donc ce n’est pas forcément les plus à « haut risque », c’est-à-dire que les pT4 ou les N+ étaient de l’ordre de 8 % et, de façon intéressante, on avait 6 % environ de patients qui avaient des métastases, qui ont eu une métastasectomie sans signe de maladie au scanner après et qui ont pu rentrer dans l’étude.

Résultats : l'étude était versus placébo et le critère principal de survie sans récidive a été rempli, avec une différence statistiquement significative, avec une médiane qui n’est pas atteinte dans les deux bras mais un hazard ratio à 0,68 en faveur du pembrolizumab avec un p à 0,001. C’est significativement supérieur au placébo, donc c’est un hazard ratio très intéressant. On a déjà des données de TKI [tyrosine kinase inhibitors] en adjuvant – et je ne sais pas si vous le savez, mais c’est vrai que ce n’est pas recommandé, en tout cas au niveau européen, et cela ne se fait pas en France, même si on a une étude positive en survie sans récidive, mais pas en survie globale, c’est l’étude S-TRAC dans laquelle on avait un hazard ratio de l’ordre de 0,76. Ici, on a 0,68 avec, après 24 mois de follow up, un bénéfice dans tous les sous-groupes. Et de façon très intéressante, dans le sous-groupe de patients qui ont eu une métastasectomie – donc peut-être les plus à haut risque, les plus à même de récidiver – on avait un hazard ratio à 0,29 en faveur du pembrolizumab versus placébo, contre 0,68 sur l’ensemble de la cohorte. Donc c’est vraiment très intéressant chez ces patients très à haut risque.

 
Le pembrolizumab était significativement supérieur au placébo. Dr Yann Vano
 

Bien sûr, après 24 mois, les données de survie ne sont pas matures, avec un hazard ratio malgré tout à 0,54, avec une tendance, un p à 0,01, mais compte-tenu des tests et des analyses intermédiaires, ce n’est pas encore significatif. On a quand même une tendance avec une supériorité sur la survie globale du pembrolizumab.

En termes de tolérance, ce sont des choses très connues pour le pembrolizumab : 32 % de toxicité de grade 3 à 5, environ 19 % qui sont vraiment reliés au traitement, c’est très classique ; environ 20 % d’arrêts quand même pour toxicité.

C’est donc une étude très positive et on aura peut-être besoin de données de sous-groupes pour aller un peu plus loin, pour savoir si on adopte massivement cette pratique.

Manuel Rodrigues C’est effectivement une tendance qu’on observe ces dernières années. Les TKI, en sortant du monde de l’uro-oncologie, ont montré leur efficacité au stade métastatique, mais ont eu du mal à convertir l’essai en adjuvant. Par contre, on voit vraiment les anti-PD1 cartonner en première ligne, en adjuvant – on a eu l’exemple du mélanome cutané N+ avec le pembrolizumab qui a aussi révolutionné la prise en charge. Et pour une tolérance qui est sans comparaison, un TKI par rapport à un anti-PD1, dans la pratique clinique, effectivement, cela n’a rien à voir. Ce serait intéressant aussi sur les métastases parce que cela va dans ce nouveau paradigme de traitement qui se développe depuis de nombreuses années, beaucoup chez vous dans le rein et dans d’autres cancers, où un patient oligométastatique doit être presque traité aussi agressivement qu’un patient avec une tumeur localisée localement avancée. Et ces patients ne sont pas de si mauvais pronostic si on peut s’en donner les moyens. C’est très intéressant.

Yann Vano Oui, tout à fait. En fait, il y a deux choses qui s’opposent un peu, mais qu’on va faire se rencontrer. À la fois sur l’oligométastatique, on a des stratégies très agressives de traitements focaux, plus ou moins systémiques, pour rendre le patient en réponse complète — c’est vraiment un objectif, chez nous, dans cette pathologie particulière du cancer du rein — et à côté, chez les patients un peu plus plurimétastatiques, mais pas trop quand même, avec des métastases pulmonaires, on a aussi une autre tendance qui est de parfois attendre. Puisqu’on a parfois des maladies qui sont stabilisées sans avoir débuté le traitement. Donc on est un peu entre les deux, on a des patients qui n’ont plus de maladie visible sur un scanner — c’est la définition pour rentrer dans cette étude — mais on monte quand même qu’en les traitant plus tôt, de façon globale, disons sur 100 patients, il vaut mieux faire cette stratégie, on gagne en survie sans récidive. Attendons de voir les données de sous-groupes et les données de survie globale, parce qu’il faut quand même que cela impacte ; il ne faudrait pas qu’il y ait 9 % d’écart entre les deux groupes et qu’à la fin on rattrape tout le monde derrière en faisant de l’immunothérapie. Donc on a besoin d’autres endpoints pour aller très loin, mais c’est très prometteur.

Manuel Rodrigues Bien sûr, merci. Et pour la prostate, donc, le lutétium… ?

VISION : approche théranostique positive dans le cancer de la prostate métastatique résistant à la castration

Yann Vano Pour la prostate, une autre étude très intéressante [VISION] a été présentée en plénière. Vous savez qu’il y a tout un développement actuel de l’imagerie, en tout cas au PSMA [Prostate-Specific Membrane Antigen], qui est cette enzyme transmembranaire retrouvée sur la surface des cellules tumorales du cancer de la prostate. Donc on fait beaucoup d’imagerie au PSMA, et avec cette imagerie par TEP, il y a aussi un intérêt théranostique, puisqu’à la fois on peut, avec certains traceurs comme le gallium, aller regarder l’imagerie des métastases et également être thérapeutique. Et c’est le cas dans cette étude qui a été présentée par Michael Morris, où il a utilisé du lutétium-177, qui est un émetteur de particules bêta, accroché à une molécule de PSMA ; donc c’est un radio-ligand qui va se fixer sur le PSMA exprimé à la surface des cellules tumorales et qui va, par endocytose, détruire l’ADN des cellules tumorales par le rayonnement bêta qui pénètre 2 à 3 mm dans les tissus, donc quand même globalement assez limité, mais très ciblé.

VISION est une étude de phase 3 randomisée, avec des patients prétraités par au moins une nouvelle hormonothérapie et par au moins un taxane. Les patients pouvaient avoir deux nouvelles hormonothérapies et recevoir deux taxanes. Ce qui est très particulier, c’est que les patients étaient randomisés entre lutétium-PSMA pour quatre cycles (ils pouvaient aller jusqu’à six cycles) toutes les six semaines contre le standard of care. Ce n’est pas très clair dans cette étude ce qu’il y a vraiment derrière ce standard of care. Toujours est-il que ce sont des patients qui ne pouvaient pas être éligibles à une autre chimiothérapie. Globalement, 45 % des patients avaient reçu deux taxanes et à peu près 50-55 % avaient reçu deux nouvelles hormonothérapies.

Donc les patients ont été randomisés standard of care versus lutétium avec un critère principal alternatif, c’est-à-dire de PFS radiologique ou de survie globale – quand je dis alternatif, cela veut dire que dès qu’un seul peut être positif, l’étude sera positive. Mais les deux peuvent être, aussi, positifs bien sûr. Et finalement, c’est ce qui a été le cas. Environ 900 patients ont été randomisés. Je précise que ce sont des patients dont les métastases devaient être PSMA-positives sur une TEP PSMA-gallium — ce sont 86 % des patients, donc on peut se poser la question de la sélection, c’est quasiment tous les patients...

Résultats : quand on regarde le critère principal de survie globale, on a un bénéfice avec un hazard ratio à 0,62, une médiane de l’ordre de 15 mois pour le lutétium et de 11 mois pour le bras contrôle. Pour la survie sans progression radiologique, c’est de l’ordre de 15 mois aussi versus 10 mois à un hazard ratio du même ordre, de 0,63. Donc c’est une étude vraiment doublement positive sur ces deux critères principaux, des analyses de sous-groupes qui montrent un bénéfice chez tous les patients. Voilà une étude très clairement positive, très intéressante, avec une toxicité tout à fait acceptable ― parce que c’est parfois ce qu’on peut reprocher aux émetteurs bêta : la myélosuppression. De mémoire, on avait de l’ordre de 17 % de grade 3-4 de myélosuppression, de suppression hématologique, au premier rang duquel l’anémie – environ 8 % grade 3-4 de thrombopénie, donc quelque chose de relativement acceptable chez des patients quand même assez prétraités.

 
C’est une étude doublement positive sur les deux critères principaux, avec des analyses de sous-groupes qui montrent un bénéfice chez tous les patients. Dr Yann Vano
 

Manuel Rodrigues Avec la question du standard of care qui était utilisé de l’autre côté… Il y avait 20 % de patients qui, après cette étude, avaient reçu le taxane. Donc on peut se poser la question… Parce que le taxane n’était pas autorisé en standard of care, c’était cela ?

Yann Vano C’est ça.

Manuel Rodrigues Alors que c’est quand même un médicament de classe majeure.

Yann Vano Il y a une étude qui s’appelle CARD et qui a comparé, après une hormono, un taxane, la deuxième hormono versus le cabazitaxel, et qui a montré qu’il fallait faire du cabazitaxel. Donc normalement, la troisième ligne quand on a reçu une hormono, un taxane, c’est forcément du cabazitaxel, donc là, ils n’étaient pas éligibles. Alors ce n’est pas très clair : pas éligibles ou en tout cas on ne devait pas leur proposer dans le bras standard of care. Ce n’est pas qu’ils n’étaient pas éligibles, c’est qu’on ne pouvait pas leur proposer. Soit ils l’avaient reçu, auquel cas c’est plus clair… Ce qui est embêtant, c’est qu’on n’a pas l’analyse de sous-groupes avec ces patients-là, ceux qui ont reçu deux taxanes et qui ont reçu deux hormonos. Si on avait une analyse en sous-groupes, particulièrement de ce petit groupe de patients, pour voir si on garde ce bénéfice-là, ce serait absolument merveilleux, puisqu’on aurait, du coup, une thérapeutique à un moment où on n’a plus de thérapeutique. Et là, vraiment, cela a du sens. Après, la question est : « est-ce qu’il ne faut pas l’intégrer plus tôt dans la stratégie, ce type de traitement ? »

 
Ce qui est embêtant, c’est qu’on n’a pas l’analyse de sous-groupes avec les patients qui ont reçu deux taxanes et deux hormonos. Dr Yann Vano
 

Manuel Rodrigues Merci beaucoup pour ce résumé de ces deux études et à bientôt sur Medscape.

Direction éditoriale : Véronique Duqueroy

Commenter

3090D553-9492-4563-8681-AD288FA52ACE
Les commentaires peuvent être sujets à modération. Veuillez consulter les Conditions d'utilisation du forum.

Traitement....