Après des mois de crise sanitaire : quel est l’état de la recherche en oncologie?

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

28 mai 2021

France — Après 3 mois de confinement strict l’an passé, et une crise sanitaire qui persiste, quel est l’état actuel de la recherche sur la cancérologie ? Deux experts, le Pr Jean-Yves Blay, président d‘Unicancer et directeur général du Centre Léon Bérard de Lyon, et le Pr Thomas Aparicio, gastro-entérologue et hépatologue à l'hôpital Saint-Louis (AP-HP) et président de la Fédération francophone de cancérologie digestive (FFCD) ont répondu à ces questions lors d’une conférence organisée le 21 avril dernier par l’Université du Change Management en Médecine (UC2M). Le bilan est contrasté.

Un nouvel engouement pour les recherches sur la technologie ARN en oncologie ?

L’une des conséquences positives de la pandémie de Covid-19 pourrait être la suivante : la recherche sur les vaccins ARNm, évaluée en oncologie bien longtemps avant l’arrivée du SARS-CoV-2, pourrait être boostée. L’idée des chercheurs étant d’utiliser des vaccins à ARNm pour dresser nos défenses immunitaires contre les protéines mutées exprimées spécifiquement par les tumeurs.

L’engouement pour les technologies ARNm pourrait faire partie des « retombées positives de la pandémie », selon le président d‘Unicancer. Pour le Pr Blay, « l’arrivée de la technologie ARN pourrait être une solution efficace pour traiter le cancer. Elle commence à être testée et va arriver dans le domaine de la cancérologie. Elle répondra à de nombreuses situations pour lesquelles on n’avait pas tellement de solutions ».

Des propos en partie relativisés par le Pr Thomas Aparicio qui a rappelé que « les chercheurs ayant mis au point le vaccin contre le Covid travaillaient sur la technologie ARN dans une vision de traitement anticancéreux. Cela n’a pas eu beaucoup de succès jusqu’à présent, mais j’espère que l’engouement autour de cette approche ARNm va nous permettre d’avoir des résultats. » En effet, jusqu’ici, si dans les premiers essais en oncologie, la technologie ARNm a induit une réaction immunitaire et donc, atteint son but, elle n’a pas pu empêcher les tumeurs de devenir résistantes au traitement et de se propager.

 
J’espère que l’engouement autour de cette approche ARNm va nous permettre d’avoir des résultats. Pr Thomas Aparicio
 

Immunothérapie : les recherches ont repris

En dehors de l’impact positif sur la recherche « vaccin ARNm », », la pandémie a eu un impact non négligeable sur la recherche clinique en générale et à la recherche en oncologie notamment. Le Pr Blay se réjouit aujourd'hui que l’activité ait repris.

Après un passage à vide en recherche clinique lors du premier confinement, les recherches, notamment sur l’immunothérapie « repartent de manière significative »,  a-t-il souligné. Il y a en effet des progrès. « De nouveaux inhibiteurs de checkpoint semblent procurer des résultats intéressants en combinaison avec les anti-PD1, voire même pour certains en monothérapie », d’après l’oncologue qui estime que l’immunothérapie « a sauté une marche ». Selon lui, « de nombreux succès sont encore à venir, qu’il s’agisse de l’utilisation de plus en plus précoce de ce traitement, mais aussi de l’utilisation sur de nouvelles cibles ». Pour résumer, « la période a été compliquée sur le plan scientifique mais pas infructueuse : la production reste assez intacte », conclut-il.

 
La période a été compliquée sur le plan scientifique mais pas infructueuse. Pr Jean-Yves Blay
 

Recherche française en berne

Un optimisme tempéré par le Pr Aparicio qui se dit « très inquiet » par la mauvaise place occupée par la France dans la recherche clinique en oncologie. Car, non seulement, « on n’a peut-être pas assez d’investissements des industriels français », mais il n’y a pas non plus « assez d’encouragement [des pouvoirs publics] pour développer suffisamment la recherche en France », estime le président de la FFCD. Un article récent des Echos sur le sujet était assez éloquent. Quand on regarde le top 20 des entreprises mondiales, dans la part qu’elles consacrent à la recherche et développement, le seul français du classement, Sanofi, arrive en vingtième position. Loin derrière Roche, Johnson & Johnson, Merck ou Novartis...

« On peut donc se demander si Sanofi a raté quelque chose dans ses politiques de R&D ces dernières années, compte tenu de ces piètres résultats que l’on retrouve aussi aujourd’hui dans la lutte contre les vaccins », a observé Dominique Maigne, président de l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP).

Anticorps monoclonaux pour les patients Covid + fragiles

L’accès précoce à un premier traitement thérapeutique du Covid à base d’anticorps monoclonaux a été évoqué pendant la conférence de presse car les patients cancéreux, particulièrement à risque, sont des candidats potentiels. En Europe, une dizaine de pays dont la France ont décidé de permettre un tel accès, en particulier chez les patients adultes les plus fragiles. Quatre anticorps monoclonaux ont obtenu une autorisation temporaire d’utilisation (ATU) pour le traitement des formes symptomatiques de Covid-19 chez les adultes, présentant un risque élevé d'évolution vers une forme grave de la maladie. En l’absence d’alternative thérapeutique, ils sont mis à disposition de quelques établissements de référence pour une administration du traitement sous étroite surveillance. Huit CLCC (Dijon, Lille, Lyon, Nancy, Nice, Paris, Rouen et Toulouse) proposent désormais ce traitement innovant à leurs patients, indiquait récemment un communiqué Unicancer.

Interrogé sur le sujet, le Pr Jean-Yves Blay a indiqué que « certaines études de petite taille ont rapporté une activité significative des anticorps monoclonaux dirigés contre des composantes du virus ». Mais le médecin estime que l’on a pour le moment « peu de recul ». Une chose est sûre : « ces médicaments sont à disposition sous forme de bithérapies sur le territoire national sous la forme d’une ATU ». Ils sont utilisés « pour les formes de Covid qui démarrent et les patients atteints de cancer qui sont des candidats particulièrement bons car ils sont à haut risque ».

 

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