Etudiants en santé : mobilisation générale pour maîtriser les risques psycho-sociaux

Stéphanie Lavaud

27 mai 2021

France – Un plan d’action pour maîtriser les risques psycho-sociaux qui touchent les étudiants des formations médicales a été dévoilé hier par le Pr Patrice Diot, président de la conférence des Doyens. Son but : faire en sorte que l’apprentissage se déroule dans un environnement bienveillant, favoriser le signalement le cas échéant, renforcer les sanctions contre les encadrants aux comportements fautifs (retrait d’agrément de stage, par exemple), améliorer le repérage des difficultés psychiques des étudiants et proposer un accompagnement. Un programme bâti en concertation avec tous les acteurs de la formation en santé (140 participants), avec le soutien des Ministères concernés, dans un esprit de « tolérance zéro et d’engagement total » comme a tenu à le préciser Frédérique Vidal, la Ministre de l’enseignement supérieur, lors de la présentation du Plan (disponible ici[1].

Un plan d’action, « victoire sur le silence, le déni et la banalisation des faits »

Horaires de travail à rallonge, discrimination, violence exercée par l’environnement professionnel, et pire les formateurs…la souffrance des étudiants en formation médicale est une réalité. Sous la pression des associations étudiantes qui rappellent régulièrement le non-respect des conditions, les agissements délétères des encadrants et le mal-être qui en découle, une prise de conscience s’est faite en haut lieu, comme en témoignent le rapport sur la qualité de vie des étudiants en santé de Donata Marra en 2018 et la création du Centre National d’Appui en 2019. Des initiatives louables mais insuffisantes à en croire les associations étudiantes qui continuent à alerter sur la souffrance étudiante. Et la crise sanitaire n’a rien arrangé, bien au contraire. Les étudiants en santé ont été en première ligne en permanence, et les chiffres ont montré « une dégradation assez nette de la santé mentale des étudiants durant la première vague de Covid-19 avec une aggravation des dépressions, des signes d’anxiété et des idées suicidaires » a reconnu le ministre de la santé, Olivier Véran[1].

Il était plus que temps d’agir, et c’est bien là, la raison d’être de ce Plan d’action pour maîtriser les risques psycho-sociaux des étudiants en santé, élaboré sous la houlette du Pr Diot, président de la conférence des doyens. Ce plan fait suite à une réunion de concertation inédite ayant réuni le 29 mars l’ensemble des acteurs des formations en santé, associations étudiantes et Ministères concernés compris*. La série de mesures à « laquelle nous avons abouti est un compromis mais pas de l’eau tiède » a considéré le Pr Diot lors de sa présentation à la presse [1], ce Plan s’inscrit dans une « stratégie de co-construction » avec des « partenaires ». Tandis que Frédérique Vidal a dit y voir un « travail collectif de grande qualité qui témoigne d’une première victoire sur le silence, et parfois même le déni, une victoire sur la minimisation et la banalisation des faits, et une victoire sur la division et sur cette notion d’impuissance qui semblait nous animer. »

Que contient ce Plan ?

1er axe : Instituer une Conférence annuelle de concertation avec un comité de pilotage et des groupes de travail thématiques (traitement règlementaire des signalements ; amélioration du fonctionnement des stages ; éthique et formation) comme l’a été celle du 29 mars 2021. Une mesure qui peut paraître « formelle » mais qui est importante, considère le Pr Diot, car elle permettra « d’installer un temps d’évaluation et de suivi de nos actions ».  Son comité de pilotage inclura, comme lors de la Conférence inaugurale, tous les acteurs de la formation en santé, à savoir une représentation étudiante, une représentation des conférences hospitalières CH et CHU ainsi que des Ordres des professions médicales, du Centre national d’appui (CNA) et de l’observatoire national de la qualité de vie au travail (ONQVT).

2ème axe : Réorienter le cadre juridique de traitement des signalements, de façon à lever l’impunité sur des comportements fautifs. Un point très attendu des étudiants et qui vise « à dessiner le parcours à suivre à partir du signalement » explique le président de la conférence des Doyens. « Le signalement doit donner lieu à une enquête administrative, éventuellement une phase de conciliation, et dans certains cas une saisine du ministère de tutelle, voir du procureur de la république en cas de suspicion sérieuse de faute à caractère pénal », a-t-il résumé. Tout cela peut aboutir à suspendre de manière conservatoire le lien hiérarchique le temps de la caractérisation des faits par l’enquête indépendante, entrainer des suspensions d’agréments de stage et conduire à une ré-affectation des étudiants. Le plan stipule par ailleurs que des « sanctions disciplinaires en cas de maltraitance avérée doivent pouvoir être mises en place de manière suffisamment accessible, connue et réactive pour ne laisser aucun doute quant à l’absence d’impunité à l’égard de comportements fautifs ». Frédérique Vidal a, quant à elle, annoncé la mise en place d’un groupe de travail chargé de produire un « vademecum pour dresser les grandes lignes des circuits de signalement de demain, un signalement complet, opérationnel de bout en bout, du recueil de la parole jusqu’à l’éventuelle réparation pénale du préjudice subi, en passant par l’orientation du jeune vers un spécialiste ». Même fermeté du côté d’Olivier Véran : « nous demandons aux Universités et aux établissements de santé de prendre des mesures conservatoires dès qu’une situation est signalée et de retirer l’agrément de stage quand les faits sont avérés ».

3ème axe : Améliorer le fonctionnement et le déroulé des stages. C’est là encore un point extrêmement sensible. « Les étudiants évaluent leur terrain de stage, et les informations – souvent très précieuses – ne remontent pas toujours vers les doyens, par exemple, et encore moins vers les chefs d’établissement, comme les directeurs d’hôpitaux (universitaires ou non) et les directeurs de CME. L’idée est donc de diffuser plus largement l’évaluation des stages de façon à prendre des mesures correctives quand des défauts apparaissent » a exposé le Pr Diot. Autre sujet cher aux associations étudiantes : la durée du temps de travail. « Les 48 heures hebdomadaires sont inscrites dans la loi, et ne doivent pas être discutées, des outils de mesure de ce temps doivent donc être appréhendées » considère Patrice Diot. Dans son intervention, le ministre de la santé a lui aussi tenu à rappeler « qu’on ne peut pas parler de qualité de vie sans parler du temps de travail », appelant à un « rappel aux responsables des obligations réglementaires du temps de travail pour les internes. » Indiquant que « les jeunes ne doivent pas être la variable d’ajustement d’un hôpital, d’une machine à compresser », Olivier Véran a annoncé le lancement cet été d’une grande enquête sur le temps de travail des internes, menaçant de « sanctions financières les établissements qui ne le respecteront pas ».

4ème axe : Sensibiliser à l’éthique et à la prévention des risques psycho-sociaux dans le cadre de la formation pédagogique. Le Pr Diot a insisté sur la nécessité de mettre en place des « formations internes de sensibilisation à la maitrise des risques psycho-sociaux pour les responsables de stage et les encadrants dans les hôpitaux ». En pratique, « il s’agit de professionnaliser davantage la formation initiale des futurs enseignants, en systématisant, par exemple, des modules de simulation managériale, a détaillé le directeur de la conférence des doyens. Mais comme rien n’est jamais définitivement acquis, nous devons aussi proposer des formations continues – comme cela se fait pour l’exercice médicale – à la sensibilisation aux risques psycho-sociaux des étudiants. Mais aussi – et ce n’est pas anecdotique – mettre en place des chartes de bienveillance, comme cela se fait déjà dans certaines facultés ». Olivier Véran a considéré, pour sa part, que le Ségur de la santé avait confirmé la nécessité d’améliorer la formation au management pour les responsables d’équipes médicales et de terrain de stage. « J’y suis très sensible car c’est un facteur essentiel de la qualité des stages » a-t-il ajouté.

5ème axe : Mettre en place de nouveaux outils de prévention au service des étudiants. Il s’agit de répondre à la demande, on ne peut plus légitime, des étudiants d’être reçu par un psychologue dans telle ou telle situation où ils sont en difficulté, comme après les concours, ou un événement vécu sur les bancs de la faculté ou sur les terrains de stage ».

Les représentants des associations étudiantes attendent des actes

Si ce Plan a été élaboré et signé par un nombre considérable d’acteurs de la formation en santé*, ce qui est en soit inédit et a été reconnu comme une avancée notable et appréciée par l’ensemble des partenaires, il n’en reste pas moins que les représentants des étudiants attendent désormais des actes, et restent pour certains assez critiques, ou du moins, vigilants.

Ainsi, si Gaëtan Casanova de l’Isni parle d’un « moment essentiel », d’un « premier jalon au croisement de deux histoires, celle de la pandémie et du mouvement pour la protection et la dignité des soignants et des patients », il n’en tacle pas moins le ministre de la santé, lui reprochant son absence autour de la table, notamment sur la question du temps de travail des internes et appelle dès à présent à la grève. Morgan Caillault pour l’Isnar-IMG a, lui, assuré que son inter-syndicale s’assurerait de la « mise en place effective de la tolérance zéro promise dès la rentrée de la prochaine promotion d’internes ». Du côté des étudiants en pharmacie, Mathilde Castoldi pour la FNSIPBM s’est montrée solidaire de la position de Gaëtan Casanova en affirmant que « la qualité de vie passe en premier lieu par le respect du temps de travail ». Morgane Gode-Henric de l’Anemf a considéré qu’« après les paroles et les engagements, il est temps de passer aux actes ». Antoine Leroyer, représentant des étudiants en pharmacie au travers de l’ANEPF, a souligné que les étudiants n’ont souvent pas connaissance des aides existantes et considère que « l’ensemble des mesures prises ne pourront fonctionner que si une communication accrue et régulière sur les structures existantes est mise en place ». Pour sa part, Alexandre Vigne de l’UNECD a tenu à souligner la spécificité de certaines formations, dont la chirurgie-dentaire qui ne possède généralement qu’un seul terrain de stage. « Le retrait de l’agrément d’un des seuls terrains de stage pouvant accueillir les étudiants en santé est difficilement envisageable, a-t-il expliqué, c’est pour cela que nous insistons tous, sur la mise ne place de sanctions disciplinaires fortes et immédiates pour les auteurs de maltraitance avérées. » Du côté des études de sages-femmes, Bérénice Brazs pour l’ANESF a déploré le délai entre le rendu du rapport sur la santé mentale des étudiants en santé et le travail sur les mesures concrètes aujourd’hui, « un délai encore trop long. »

Ce plan d’action, premier acte d’une initiative de long terme portée en synergie par l’ensemble des acteurs, va-t-il être suivi d’effets ? Si, pour le Pr Diot, « la réunion de tous les acteurs est le point le plus important auquel nous sommes arrivés aujourd’hui », le président de la conférence des doyens se projette, dès à présent, dans le futur : « il va falloir décliner maintenant ce plan d’action de façon très opérationnelle, pour être capable, dès début 2022, d’évaluer les résultats et d’apporter des correctifs si nécessaire. »

La fermeté affichée portera-t-elle ses fruits ? On ne peut que le souhaiter, sachant que, comme l’a reconnu le ministre de la santé, ex-étudiant en santé : « on progresse mais on part de très loin ».

 

*Président.e de l’ANEMF, de l’ANEPF, FNSIP-BM, président.e de la conférence des doyens de médecine, des doyens de pharmacie, des doyens d’odontologie de maïeutique, des présidents d’université, des directeurs généraux de CHU, des présidents de CME de CHU, conférence des directeurs généraux de CH, des présidents de CME de CH

 

Source photo : Getty Images

 

 

 

 

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