Créteil, France –Indien, brésilien, sud-africain, californien, anglais et même breton ou bordelais…les craintes de voir la vaccination devenir inefficace face à l’émergence des nouveaux variants du SARS-CoV2 se sont renforcées. Faut-il s’inquiéter de cette évolution de l'épidémie? Y a-t-il un risque de voir un variant échapper à la réponse immunitaire ? Quelle stratégie vaccinale est envisagée pour lutter contre les variants ?
Pour apporter un éclairage sur la répercussion des variants sur la vaccination, nous avons interrogé le Pr Jean-Daniel Lelièvre, responsable du service d’immunologie clinique et maladie infectieuses de l’hôpital Henri-Mondor (AP-HP, Créteil). Le virologue rappelle que les variants ne peuvent pas échapper complètement à la réponse immunitaire et que les dernières données sur l’efficacité des vaccins restent rassurantes.
C’est d’ailleurs ce que l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a affirmé jeudi dernier lors d’une conférence de presse en ligne. « Tous les variants du virus Covid-19 qui sont apparus jusqu’à présent répondent aux vaccins disponibles et approuvés », a souligné Hans Kluge, directeur de l’OMS Europe. Il a toutefois appelé à la vigilance, notamment pour empêcher la propagation des nouveaux variants.
Medscape édition française: Quelle est la situation en France actuellement concernant les variants du SARS-CoV2 et faut-il s’en inquiéter?
Pr Jean-Daniel Lelièvre: Le variant anglais B.1.1.7 est devenu la souche virale prédominante à circuler sur notre territoire. Que ce soit avec le variant anglais, sud-africain, brésilien, indien ou autres, leur apparition pose problème puisque les mutations ont apporté un avantage sélectif. Celui-ci peut être lié à l’apparition de mutations sur le domaine RBD (Receptor-Binding-Domain) de la protéine Spike du virus qui lui sert à se fixer sur les récepteur cellulaire ACE2 et qui est également visé par les anticorps neutralisants. Dans le cas du variant sud-africain B.1.351 et du variant brésilien P1, qui ont plusieurs mutations sur la protéine spike, ce problème semble plus important. Concernant le variant indien B.1.617, on ne dispose pas encore de données suffisantes. L’apparition de ce variant n’est toutefois pas la cause majeure de la catastrophe en cours en Inde.
Quels variants majoritaires en France ?
Selon le dernier point épidémiologique de Santé publique France (SPF), daté du 13 mai 2021, la proportion de suspicions de variant anglais 20I/501Y.V1 (lignée B.1.1.7) est de 79,5%, faisant de ce variant la souche de virus SARS-CoV2 majoritairement en circulation en France. La proportion est de 5,6% pour les variants sud-africain 20H/501Y.V2 ou brésilien 20J/501Y.V3, « avec une hétérogénéité départementale », précise SPF. Le variant indien B.1.617 est observé depuis « une quinzaine de jours », mais sa diffusion n’est pas encore jugée préoccupante.
Qu’en est-il du risque de voir un variant du SARS-CoV2 échapper à l’immunité acquise et d’avoir alors un vaccin inefficace?
Pr Lelièvre: Tout d’abord, il faut bien comprendre que la réponse immunitaire à ces variants est aussi bonne que celle dirigée contre l’ancienne souche. Si une hausse de mortalité est constatée avec certains variants [voir notre article Variant britannique du SARS-CoV-2 : 64% plus meurtrier], c’est en raison de leur virulence, pas forcément de la réponse immunitaire.
Un variant ne peut pas échapper complètement à la réponse immunitaire. On n’assiste pas à de nouvelles contaminations par milliers chez des personnes infectées l’an dernier. Les cas sont marginaux. Des variants peuvent effectivement être moins sensibles à une réponse immunitaire préexistante ou post-vaccinale et induire une réinfection. On peut avoir une perte d’efficacité des anticorps neutralisants. Mais, en aucun cas, il y aura une absence de réaction. Et puis, l’immunité ne se limite pas à la réponse humorale. Il y a d’autres types de réponse, par le biais des lymphocytes cytotoxiques T CD8 par exemple.
Concernant l’efficacité des vaccins, il semble qu’elle ne soit pas beaucoup diminuée face aux variants, du moins pour les vaccins à ARN et le vaccin Janssen (Johnson & Johnson). De récents résultats ont montré une efficacité de 64% à 28 jours avec le vaccin Janssen chez des patients sud-africains, malgré la présence majoritaire de la souche sud-africaine [1]. La baisse d’efficacité est légère. Et, le taux de protection contre les formes sévères de Covid-19 reste excellent. Des résultats encourageants ont également été rapportés avec le vaccin ARN Pfizer/BioNtech, associé à une efficacité à deux semaines de 75% contre le variant sud-africain B.1.351 et de 89,5% contre le variant anglais B.1.1.7 [2]. Ces données obtenues après une vaccination de masse au Qatar, où ces deux variants sont majoritaires, montrent également une efficacité de plus de 97% contre les formes sévères de Covid-19.
Si la vaccination est plus efficace sur certaines souches, même légèrement, n’y a-t-il pas un risque à terme de favoriser les souches moins sensibles?
Pr Lelièvre: Soyons clair: l’apparition des variants fait partie de l’évolution naturelle d’une épidémie dans une population qui n’est pas immunisée et donc non vaccinée. Lorsque la vaccination sera suffisamment importante, elle pourrait éventuellement conduire à la sélection de certains variants. Mais ceci n’est qu’une hypothèse. Pour l’instant, rien ne le prouve. Et, il faudrait pour cela que les vaccins deviennent totalement inefficaces sur les variants.
Au Danemark, où le séquençage des souches virales de SARS-CoV2 est beaucoup pratiqué, les variants ne sont pas devenus majoritaires chez les personnes en échec vaccinal. Il n’y a pas de modification majeure dans la répartition des variants. Cette sélection des variants par la vaccination est une hypothèse qui relève pour le moment du fantasme.
Quelle stratégie vaccinale est envisagée pour s’assurer que l’immunité acquise après la vaccination reste efficace contre les variants?
Pr Lelièvre: Tout d‘abord, il faut garder en tête que la réponse immunitaire se module au court du temps après une vaccination ou une infection, en réaction notamment aux protéines virales qui sont conservées dans les cellules folliculaires dendritiques. En ce sens, il est possible qu’une immunité acquise après une infection par le virus d’origine permette une meilleure protection contre les variants.
Pour faire face aux variants, on peut procéder à un rappel de vaccin, pour améliorer la réponse contre les variants. On a pu récemment démontrer qu’un rappel avec un vaccin à ARN, sans modification de sa composition, permet la production d’anticorps contre les variants chez les personnes infectées auparavant par la souche originale du SARS-CoV2 [3]. La réponse immunitaire évolue en visant des domaines qui se trouvent conservés dans la protéine spike mutée.
De simples rappels de vaccination seront-ils suffisants pour faire face à l’émergence variants ou faut-il aller vers l’élaboration de nouveaux vaccins ?
Pr Lelièvre: La vaccination est amenée à évoluer, avec un rappel à six mois ou à un an en utilisant les mêmes vaccins ou des vaccins modifiés pour mieux cibler les variants. La réflexion est en cours et la décision dépendra des résultats obtenus dans les essais cliniques qui sont actuellement menés pour répondre à ces questions. Tous les vaccins actuellement à disposition peuvent être modifiés pour inclure de nouveaux variants, mais rien ne prouve pour le moment que ce soit nécessaire. Moderna a annoncé l’évaluation d’un vaccin multivalent incluant l’ARNm de la protéines spike de la souche originale et celui du variant sud-africain B.1.351. Pour autant, le besoin d’un tel vaccin n’a pas été démontré. Au contraire, comme je le disais précédemment, un simple rappel semble pour le moment suffisant.
Pensez-vous qu’il est encore possible d’atteindre une immunité collective ?
Pr Lelièvre: C’est une question complexe. Cela dépend de ce que l’on entend par immunité collective. Si celle-ci est envisagée comme un niveau d’immunité permettant à ceux qui ne sont pas vaccinés/infectés d’être protégés par ceux qui le sont, le pourcentage dépend notamment du R0, le nombre de reproduction de base, lui-même dépendant des différentes souches virales. Ce pourcentage est alors élevé et implique de vacciner largement les enfants. Il existe donc encore beaucoup d’inconnues et il est probable que nous n’atteindrons pas cette immunité collective, du moins pas à court terme.
Des variants préoccupants, d’intérêt ou sous surveillance
Parmi les virus SARS-CoV2 circulant en Europe, quatre variants sont considérés comme préoccupants par le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) en raison d’une transmissibilité plus importante ou d’une virulence accrue. Deux appartiennent à la lignée des variants anglais (B.1.1.7), les deux autres sont les variants sud-africain et brésilien.
L’agence européenne compte également neuf « variants d’intérêt », des souches virales dont l’impact sur la transmissibilité, la gravité de l’infection ou l’immunité est suspecté, mais non prouvé avec certitude. On y trouve des variants qui ont été détectés pour la première fois en France, au Nigeria, aux Philippines ou en Colombie. Y figure également le variant indien, toutefois classé comme préoccupant par l’OMS.
Enfin 17 variants sont « sous surveillance ». « Des indices suggèrent qu’ils pourraient avoir des propriétés similaires à celles des variants préoccupants, mais les preuves sont faibles ou n’ont pas encore été évaluées », précise l’ECDC.
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Citer cet article: COVID-19: faut-il craindre un impact majeur des variants sur la vaccination? - Medscape - 25 mai 2021.
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