New York, Etats-Unis – D'après les observations de trois équipes de chercheurs, la prévalence du diabète de type 1 est plus élevée chez les patients transgenres que dans la population générale. Leur cohorte comportait des enfants dans deux études, et des adultes dans la troisième.
Un des articles publiés fait état d'un taux de diabète de type 1 (DT1) près de 5 fois plus élevé chez les jeunes ayant participé à un programme de prise en charge de la dysphorie de genre. Les résultats de cette étude, réalisée par Johsias Maru (service d'endocrinologie de l'hôpital pour enfants de Boston) et son équipe, ont été publiés en ligne le 15 février dernier dans la revue Transgender Health [1].
Un lien mentionné pour la première fois en 2017
Dans les deux études portant sur des cohortes de jeunes, certains éléments indiquent que le contrôle glycémique s'est amélioré au moins transitoirement après le début des soins liés au genre. « Les bénéfices psychologiques d'un traitement d'affirmation du genre sont bien connus et cohérents (…). Le simple fait d'écouter ces enfants, de reconnaître leur genre et d'utiliser leurs noms et pronoms exacts est très important, il procure des bénéfices énormes (…). Lorsque votre santé mentale est meilleure, vous êtes mieux en mesure de prendre en charge votre diabète », explique à Medscape Kate Millington, endocrinologue à l'hôpital pour enfants de Boston et deuxième auteure de l'étude.
Menée dans le Wisconsin et publiée par la revue Pediatric Diabetes en novembre 2019, la deuxième étude a également rapporté une augmentation de la prévalence du DT1 chez les patients diagnostiqués avec une dysphorie de genre [2]. La première étude à avoir mentionné ce lien a été publié en 2017 par la revue Sexual Medicine . Le Dr Justine Defreyne et ses collaborateurs de l'hôpital universitaire de Gand, en Belgique, y rapportaient une prévalence du DT1 2,3 fois plus élevée chez les patients transgenres adultes, en comparaison avec la population belge générale.
Les théories comprennent le "stress des minorités" et la proximité des soins
D'après Kate Millington, plusieurs hypothèses pourraient expliquer ce lien. L'une d'elles est le « stress des minorités », selon lequel le stress chronique liée au fait de se sentir différent de ses pairs pourrait servir de facteur déclenchant chez les personnes génétiquement prédisposées au DT1 ou à d'autres maladies auto-immunes. « Nous savons que les enfants appartenant à des minorités sexuelles ou de genre vivent un grand stress, indépendamment du moment où ils font leur coming out à leur famille. Ils peuvent vivre pendant des années en se sentant différents mais en ne sachant pas vraiment comment l'expliquer. Et cela peut avoir des répercussions sur l'organisme que nous ne sommes pas vraiment capables de mesurer. »
Comme un diagnostic de DT1 a été posé chez la majorité des participants de ces trois cohortes avant même leurs recherches de soins liés pour une transitoire potentielle de genre, les auteurs évoquent la possibilité que ces enfants aient eu plus d'interactions avec le système de santé, en particulier avec les endocrinologues. À l'hôpital des enfants de Boston, les services axés sur le diabète et sur les questions de genres se trouvent dans le même bâtiment. « Dans les grandes institutions, beaucoup de services pédiatriques qui s'occupent d'enfants diabétiques sont également très liés aux services s’occupant de dysphorie de genre, de sorte que les salles d'attente peuvent arborer le drapeau trans ou le drapeau arc-en-ciel, ou encore l'une ou l'autre symbole d'acceptation », ajoute Kate Millington.
La situation était différente dans le groupe d'adultes en Belgique. Les patients y ont reçu des soins de diabétologie par des diabétologues locaux, et non au centre de référence pour les transgenres à l'hôpital universitaire de Gand. « Cependant, le fait qu'une personne trans soit vue par un endocrinologue extérieur pour le suivi d'un DT1 peut augmenter la possibilité que cette personne soit orientée vers un endocrinologue spécialisé dans les soins aux transgenres », écrivaient Justine Defreyne et ses collaborateurs en 2017.
Une prévalence de la dysphorie de genre 5 à 10 fois plus élevée chez les enfants DT1
Parmi les 1 114 patients vus au service pluridisciplinaire de l'hôpital pour enfants de Boston au cours de la période 2007-2018, 10 avaient déjà été diagnostiqués DT1 tandis qu'un autre a été diagnostiqué dans les deux semaines suivant sa première consultation à la clinique du genre. Le taux de prévalence du DT1 s'élevait à 9,87 pour 1 000, soit 5,11 fois le taux de 1,93 pour 1 000 observé dans la population générale.
L'équipe dirigée par le Dr Santhi Logel, du service d'endocrinologie et de diabète pédiatrique de la faculté de médecine de l'université du Wisconsin à Madison, a extrait des données électroniques pour la période allant de novembre 2007 à novembre 2017. Parmi les jeunes âgés entre 10 et 21 ans, 315 ont été diagnostiqués porteurs d'une dysphorie de genre, et 2 017 ont été diagnostiqués DT1. Les taux de prévalence étaient respectivement de 0,42 et 2,69 pour 1 000. Huit patients ont été diagnostiqués à la fois dysphoriques de genre et DT1. La prévalence de l'association DT1 et dysphorie de genre était de 24,77 pour 1 000, soit 9,4 fois plus que la prévalence du seul DT1.
La cohorte belge, quant à elle, comprenait 1 081 patients transgenres adultes, dont 10 avaient déjà été diagnostiqués porteurs d'un DT1 ou d'un diabète auto-immun latent à l'âge adulte. Le taux était environ 2,3 fois plus élevé qu'attendu.
Des différences entre groupes, en fonction de l'âge et du type de dysphorie de genre
Dans le groupe de Boston, l'âge moyen au moment du diagnostic de DT1 s'élevait à 8,5 ans, ce qui est nettement inférieur à l'âge moyen de 14,5 ans dans la population générale des diabétiques de type 1 aux États-Unis. En revanche, l'âge moyen lors de la première visite au service du genre était plus élevé chez les patients DT1 que chez les non diabétiques (16 ans versus 13).
À la clinique du Wisconsin, l'âge moyen lors du diagnostic de DT1 était de 9,9 ans. Celui de la première consultation à la clinique du genre était de 13 ans, « bien que la plupart des adolescents aient commencé à ressentir une dysphorie de genre plus tôt dans la vie », notent Santhi Logel et son équipe.
L'âge moyen du groupe d'adultes belges était de 36,7 ans (19-53 ans), et il était de 15,7 ans au moment du diagnostic de DT1. Cinq patients se sont souvenus de l'âge qu'ils avaient au moment où ils ont ressenti pour la première fois une dysphorie de genre; cet âge moyen s'élevait à 6,8 ans (4-13 ans).
Kate Millington observe qu'un âge plus jeune au moment du diagnostic de DT va dans le sens de l'hypothèse d'un déclenchement : « Nous avons constaté que les enfants de notre cohorte ont présenté leur diabète plus tôt que prévu. » Elle ajoute cependant qu'il est difficile de déterminer à quel moment débute l'impression de dysphorie de genre. « Les enfants n'en ont pas toujours un souvenir précis. De plus, pour beaucoup d'entre eux, la dysphorie a constitué leur identité tout au long de leur vie. Nous essayons toujours de connaître cet âge mais il est très difficile d'en avoir une estimation fiable. »
La proportion de personnes auxquelles on a assigné le sexe masculin ou le sexe féminin à la naissance avant la transition différait entre les trois cohortes. À Boston, la majorité des patients – 9 sur 11 – avaient été considérés comme étant de sexe féminin à la naissance et avaient une identité transmasculine. Le groupe du Wisconsin était mixte – trois se sont identifiés comme transféminins, trois comme transmasculins, un comme « gender fluid » et un autre comme « gender neutral ». En Belgique, parmi les adultes, 8 sur 10 étaient passés de masculin à féminin.
« Ces différences entre cohortes reflètent un changement global dans le monde de la diversité des genres », estime Kate Millington. « Auparavant, il s'agissait classiquement de transféminins, c'est-à-dire de personnes nées avec une anatomie masculine mais qui s'identifiaient comme féminines. Les choses ont radicalement changé. Nous voyons beaucoup plus de personnes transmasculines – autrement dit, des personnes de sexe féminin à la naissance mais qui s'identifient comme des hommes. C'est devenu une proportion de 2 pour 1. De nombreuses autres cliniques ont signalé également ce changement spectaculaire. »
La prise en charge de la dysphorie de genre affecte-t-elle le contrôle du diabète ?
À Boston, neuf personnes ont reçu des hormones d'affirmation du genre (huit ont reçu de la testostérone, une a reçu des œstrogènes). Deux d'entre elles ont également bénéficié d'une suppression de la puberté. Le taux moyen d'HbA1c avait tendance à baisser, passant de 8,46 % lors de la première consultation à 8,16 % six mois plus tard.
Dans le Wisconsin, quatre adolescents ont reçu un traitement bloquant la puberté, et deux autres se sont vus prescrire des œstrogènes et de la testostérone pour un traitement d'affirmation du genre. Bien que le contrôle glycémique se soit initialement amélioré après la première consultation à la clinique du genre, il n'y a pas eu d'amélioration du taux d'HbA1c après les traitements hormonaux.
Kate Millington note que la puberté et les stéroïdes sexuels augmentent la résistance à l'insuline et pourraient donc aggraver le contrôle glycémique, mais elle pense que le bénéfice psychologique exerce un effet supérieur. Lorsqu'on lui demande comment elle pourrait contrer les arguments opposés à l'administration de ce type de traitement à de jeunes patients, elle conseille de se demander si ce qu'on veut faire est ce qu'il y a de mieux pour l'enfant, ou plutôt pour soi-même. « Souvent, nous avons nos propres peurs et nos préjugés, et nous les laissons parfois masquer ce qui est réellement le mieux pour l'enfant qui se trouve devant nous. Je pense qu'il suffit de rencontrer une personne transgenre et d'écouter son histoire. C'est vraiment transformateur. »
Cet article a été publié initialement sur Medscape.com et intitulé Type 1 Diabetes and Transgender Identity: Is There a Link ? Traduction-adaptation du Dr Claude Leroy.
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Citer cet article: Existe-t-il un lien entre identité transgenre et diabète de type 1 ? - Medscape - 31 mai 2021.
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