« Il y a un fossé entre la réalité qu'on vit dans les réa, et le message général que tout va bien » Pr Guillaume Thiéry

Marine Cygler

Auteurs et déclarations

12 mai 2021

Saint-Etienne, France – Alors que les premières mesures du déconfinement se mettent en place et que la campagne de vaccination bat son plein, Medscape édition française a voulu faire le point sur la situation dans un service de réanimation. Qui sont les patients ? Comment va le moral des soignants ? Y a-t-il déjà des leçons à tirer de cette année de lutte contre la pandémie ?

Entretien avec le Pr Guillaume Thiéry, chef du service réanimation du CHU de St-Etienne, et membre du Conseil d'Administration de la  Société de Réanimation de Langue Française (SRLF).

Medscape édition française : Selon vous, à l'heure où l'on voit une décrue des admissions en réa, la vaccination suffira-t-elle à enrayer l'épidémie ?

Pr Guillaume Thiéry : On voit en effet une décrue du nombre d'entrées mais le désemplissement des services n'est pas pour tout de suite. On sait que la circulation virale va augmenter avec les mesures d'allègement du confinement. Est-ce que cela va entraîner une augmentation des hospitalisations ? On ne le sait pas, mais il faut savoir que la pression sur la réanimation est encore très forte. Concernant la vaccination, on voit clairement un effet positif : on reçoit de moins en moins de patients de plus de 70 ans et ceux qui sont hospitalisés n'ont pas été vaccinés. Reste que la proportion de la population vaccinée est sans doute encore insuffisante pour un relâchement complet car le niveau de circulation virale est encore très élevé. Nous, soignants, sommes assez perplexes car il y a un fossé entre la réalité qu'on vit – l’hôpital et les services de réanimation sous haute pression et surtout des patients qui continuent à arriver, et le message général que tout va bien, ou du moins suffisamment bien pour relâcher certaines mesures. On a parfois l'impression troublante que ces deux visions de la réalité ne coïncident pas. 

 
La pression sur la réanimation est encore très forte.
 

Comment le profil des patients atteints de Covid a-t-il évolué depuis l'année dernière ?

Pr Guillaume Thiéry : Depuis plusieurs mois, et c'est encore plus net au cours des dernières semaines, on observe une modification du profil des patients. Ceux-ci sont plus jeunes que lors des première et deuxième vagues. Hier, par exemple, j'ai été appelé pour des admissions pour trois patients de respectivement 25, 35 et 45 ans. Concernant les facteurs de risque de sévérité de la maladie, on retrouve chez la plupart des patients un surpoids mais pas forcément important. Quelques patients ne présentent pas de facteur de risque. Nous voyons encore des personnes âgées qui n'ont pas été vaccinées et des patients immunodéprimés qui ont incomplètement répondu à la vaccination. Dans 90 % des cas, le variant dit britannique a été identifié et dans 1 à 2 % des cas, c'est le variant sud-africain. Si le profil des patients a changé, c'est aussi le cas de leur prise en charge. Nous évitons d'intuber et de sédater certains patients grâce à l'oxygénothérapie à haut débit. Mais cette possibilité thérapeutique ne règle pas tout et certains patients ont encore besoin d'être intubés et d'être mis sous assistance respiratoire mécanique. La mortalité de ces patients n'a pas baissé depuis la première vague.

 
J'ai été appelé pour des admissions pour trois patients de respectivement 25, 35 et 45 ans.
 

Pourquoi considérez-vous que la possibilité de visite des familles est un changement majeur par rapport au printemps 2020 ?

Pr Thiéry : Lorsque nous revoyons les patients de la première vague à l'occasion de la consultation post-réanimation, nous les interrogeons sur l'impact de l'absence de visite de leurs proches. Il y a évidemment une partie de leur séjour dont ils ne se souviennent pas. Mais pour la partie dont ils se souviennent, ils décrivent tous combien l'éloignement de leurs proches a été traumatisant. Un traumatisme vécu également par les familles. Dans notre service, on a repris très vite les visites dès le début du mois d'avril 2020. Les visites sont programmées et moins souples qu'en temps normal mais les familles, malgré les contraintes logistiques, sont très reconnaissantes. La SRLF vient de publier ses recommandations sur les visites des proches en réanimation. Elle recommande un accès très large des proches y compris pendant la période actuelle et rappelle que la présence des proches est indispensable (Des médecins réanimateurs et des familles plaident pour une réouverture des services de réa aux proches). Avec la chronicisation de la crise, il est impensable de mettre l'hôpital sous cloche pendant des mois et des mois. 

Aujourd'hui, comment sont pris en charge les patients réanimatoires non-Covid ?

Pr Thiéry : D'un point de vue médical, ils sont pris en charge de la même façon qu'avant. En revanche, concernant le flux de patients, l’orientation de l’offre de soins de réanimation a un impact sur le quotidien : comme 50 à 60 % de nos lits de réa sont des lits Covid, nous avons moins de place pour les patients non-Covid. Jusqu'à début avril, et la fermeture des écoles, nous avions un problème de capacité totale de réanimation malgré les déprogrammations chirurgicales. Pour augmenter les lits de réanimation, beaucoup d'unités de surveillance continue ont été transformées. Or, dans pratique quotidienne, hors période épidémique, les unités de surveillance continue jouent un rôle important. Elles concernent, par exemple, des patients en insuffisance respiratoire, en insuffisance cardiaque, des pathologies métaboliques ou infectieuses, des maladies chroniques qui décompensent. Ces patients sont très nombreux : leur état est trop sévère pour être adapté à un service de soins classique, mais ne requiert pas pour autant un service de réanimation. Donc en ce moment, faute de lit de surveillance continue, soit ces patients sont admis en réa soit ils sont hospitalisés dans un service de médecine. Ce n'est pas satisfaisant et on ne peut pas accepter que ce soit une façon pérenne de fonctionner.

Pour vous, il est donc essentiel d'augmenter le nombre de lits de surveillance continue...

Pr Thiéry : En effet, une des leçons à tirer de cette crise est la nécessité d'augmenter de façon importante le nombre de lits de surveillance continue car ils sont extrêmement nécessaires hors situation épidémique, et ils peuvent être « up-gradés » facilement lits de réa en temps de crise. On pourrait ainsi éviter les fermetures des blocs opératoires auxquelles on a dû avoir recours pour créer des néo-réanimation. Aujourd’hui, il y a environ un lit de surveillance continue pour deux lits de réa, mais le besoin est plus proche de 1 pour 1. Par ailleurs, ces lits de surveillance continue doivent être intégrés au service de réanimation de sorte que si vous avez besoin « d'up-grader » vos lits, les personnels sont déjà là, aguerris à la réa.

 
Une des leçons à tirer de cette crise est la nécessité d'augmenter de façon importante le nombre de lits de surveillance continue.
 

Justement, comment va le moral du personnel avec cette troisième vague qui n'en finit pas ?

Pr Thiéry : Ceux qui ont été mobilisés pour ouvrir des lits dans les blocs opératoires sont épuisés. Ils travaillent dans des conditions très difficiles : ils font un métier qui n'est pas le leur dans un endroit qui n'est pas complètement adapté. Cela ne peut être que transitoire : on ne fait pas de la réa dans un bloc avec des personnels dont ce n’est pas le métier. Les personnels de la réa sont aussi fatigués : la crise dure depuis maintenant 14 mois, la chronicisation de cette situation les met à très rude épreuve. Dans mon service plus de la moitié des lits est occupée par des patients Covid depuis début septembre, donc depuis huit mois. Ce sont des patients lourds avec beaucoup de contraintes qui rendent le quotidien bien plus fatiguant que d’ordinaire. On doit faire appel à un nombre considérable d'heures supplémentaires. Tout ceci est d'autant plus éreintant qu'on ne sait pas quand cela finira. En partageant mon expérience avec des confrères responsables de services de réa, on constate tous une fragilisation des équipes à cause de l'usure. C'est inquiétant. Une deuxième leçon de cette crise sanitaire est qu’il y a une nécessité absolue d'une reconnaissance statutaire du métier d'infirmière de réa. C'est une reconnaissance d'une expertise dont on a bien vu qu’elle ne s’improvise pas, et qui est un des principaux facteurs limitant de la réponse actuelle du système de soin. C'est vrai également pour les aides-soignantes qui sont des personnels cruciaux du dispositif de réanimation.

 
Une deuxième leçon de cette crise sanitaire est qu’il y a une nécessité absolue d'une reconnaissance statutaire du métier d'infirmière de réa.
 

La crise a mis en lumière des besoins humains. Quels sont-ils ?

Pr Thiéry : Pour pouvoir avoir plus de lits de réa, il faut former des personnels ce qui nécessite 5 à 6 années. Autrement dit, pour pouvoir ouvrir de nouveaux services, ou augmenter le nombre de lits il faudra un temps qui correspond à la formation des internes (5 ans de spécialisation) et des infirmières (3,5 ans + 1 an minimum pour être autonome dans un service de réanimation). Jusqu’à présent, il y avait 72 nouveaux internes de médecine intensive réanimation chaque année. En 2020, après la première vague, il y en a eu deux de plus. C’est une augmentation dérisoire. Au sein de la SRLF, notre message est clair : cette crise a mis en évidence que la ressource rare était humaine. Les prochaines années verront en outre de nombreux médecins réanimateurs partir à la retraite. Il faudrait pour notre spécialité former 150 nouveaux internes par an et ce dès maintenant, c’est à dire dès la rentrée 2021. C’est, je pense que c'est la troisième leçon à tirer de la pandémie.

 
Cette crise a mis en évidence que la ressource rare était humaine.
 

On voit en effet une décrue du nombre d'entrées mais le désemplissement des services n'est pas pour tout de suite. On sait que la circulation virale va augmenter avec les mesures d'allègement du confinement. Est-ce que cela va entraîner une augmentation des hospitalisations ? On ne le sait pas, mais il faut savoir que la pression sur la réanimation est encore très forte. Concernant la vaccination, on voit clairement un effet positif : on reçoit de moins en moins de patients de plus de 70 ans et ceux qui sont hospitalisés n'ont pas été vaccinés. Reste que la proportion de la population vaccinée est sans doute encore insuffisante pour un relâchement complet car le niveau de circulation virale est encore très élevé.  Nous, soignants, sommes assez perplexes car il y a un fossé entre la réalité qu'on vit – l’hôpital et les services de réanimation sous haute pression et surtout des patients qui continuent à arriver, et le message général que tout va bien, ou du moins suffisamment bien pour relâcher certaines mesures. On a parfois l'impression troublante que ces deux visions de la réalité ne coïncident pas.

 

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