POINT DE VUE

« Merci docteur ! » : la reconnaissance des patients, quintessence du métier

Véronique Duqueroy

Auteurs et déclarations

7 mai 2021

Paris, France La reconnaissance de la part des patients est l’aspect le plus gratifiant de la profession de médecin. C’est ce que rapporte le dernier sondage Medscape auquel près 1000 praticiens français ont répondu. La gratitude des patients arrive ainsi en tête de liste, devant le fait de se sentir compétent ou d’être bien rémunéré.

Comment les patients expriment-ils leurs remerciements ? Nous avons demandé à des médecins collaborateurs de Medscape de partager leur expérience : quels témoignages les ont particulièrement marqués ? Comment ces démonstrations de satisfaction, voire ces hommages, les ont-t-il touchés ? Quel effet cela a-t-il eu sur leur rapport au métier ?

Lorsque la prise en charge s’effectue sur le long terme, une relation particulièrement enrichissante peut s’installer durablement entre médecin et patient, comme nous l’explique le Pr Boris Hansel, diabétologue. Dans d’autres spécialités, comme la cardiologie où les interventions peuvent avoir des effets spectaculaires, la reconnaissance s’exprime en coups de cœur ― « vous m’avez sauvé la vie ! ». Quant aux urgentistes, qui pratiquent dans des conditions extrêmement tendues alors même que le patient est parfois inconscient, il leur arrive d’être les grands oubliés de cette reconnaissance, constate le Pr Dominique Savary.

Témoignages :

Pr Gilles Pialoux (chef du service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Tenon) :

« Dans le cadre de la prise en charge du SIDA, je reçois beaucoup de témoignages de remerciements. J’en ai des pochettes remplies ! Mais elles sont très personnelles et je les garde pour moi, je ne voudrais pas avoir l’impudeur de les publier.

Dans le contexte du Covid et de certaines attaques dont j’ai été la cible ― m’accusant notamment d’être un "apôtre du confinement", "dictateur", "enfermiste" ou encore "confiniste" ― j’ai reçu des témoignages de soutien et de gratitude qui m’ont beaucoup touché. Par exemple, ce joli message :

J’ai passé du temps dans votre service il y a deux ans, juste avant l’épidémie. On ne fait pas le malin quand on arrive à votre étage. On vient à la baston, la vraie. Je vous le dis : j’étais bien chez vous. C’est bizarre à dire, je sais. Mais face aux courriers que vous [avez reçus], je repense à ce petit coin de mur rempli de cartes postales dans la salle de prise de sang de votre service. Elles sont touchantes, drôles, complices. Vous n’imaginez pas ce que vous représentez pour ceux qui arpentent votre couloir. Le corbeau non plus ne le sait pas. Vous êtes l’espoir et l’ironie du désespoir. Ne changez rien, ne baissez pas les bras. Merci. »

Dr Benjamin Davido (Infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré de Garches) :

« Oui, je valide, l’un des aspects les plus gratifiants de la profession est bien la reconnaissance des patients. J’ai plusieurs patients en tête, dont le dernier m’a offert une bouteille de champagne ! Et dernièrement des familles ont apporté des gâteaux et biscuits pour les équipes. Le plus intéressant est que cette gratitude correspond à une confiance absolue du patient et à une relation médecin-malade très spéciale. C’est particulièrement appréciable. »

Pr Dominique Savary (urgentiste, chef des urgences du CHU d’Angers) :

« Nous avons reçu une livraison de bouquets de roses pour toutes les infirmières du service, ainsi que des desserts/pâtisseries. Mais c’était après un évènement plutôt particulier… Nous étions en effet en pleine 2e vague de la pandémie, complètement surchargés de travail. Ce matin-là, alors que j’avais déjà 24h de garde dernière moi, je reçois un patient qui hurle en se plaignant que "c’est inadmissible, qu’il attend depuis plus de 2 heures". Le ton est monté. Je lui rappelle qu’il y a moins de 6 mois, on nous applaudissait tous les soirs à 20h, et que là on nous hurle dessus. Je dis alors à sa compagne, à qui on avait permis exceptionnellement de l’accompagner dans le box, de faire le tour du service avec moi : tous les boxes étaient pleins, je lui explique qu’on a été obligé de créer une autre unité mais sans personnel supplémentaire, que j’ai fini ma garde à 8h30 mais que je suis encore là, à 11h00, à m’occuper de son mari, et qu’il ne se rend pas compte du travail de tout le personnel etc. Une prise de conscience a dû se faire puisque deux jours plus tard, on nous livrait des fleurs… 

 
C’est important pour l’équipe de voir qu’il y a quand même des gens qui disent merci. Ça contrebalance les patients qui râlent.
 

Aux urgences, on peut recevoir des courriers de remerciement, mais ce n’est pas si fréquent. Dans ces cas, on essaye de retrouver les soignants qui ont participé à la prise en charge pour pouvoir ajouter leurs noms et afficher le message. C’est important pour l’équipe de voir qu’il y a quand même des gens qui disent merci. Ça contrebalance les patients qui râlent. En effet, on reçoit entre 120 et 130 lettres de plaintes par an, contre 60-70 messages de remerciements. Les gens ne se rendent pas compte de l’état de tension du service. On entend souvent "Qu’est-ce que vous foutez ? il n’y a personne !". Ils ne voient pas qu’on a, au même moment, près de 70 personnes réparties dans des boxes ou des salles.

 
Les friandises et les chocolats envoyés en remerciement arrivent donc souvent dans d’autres services !
 

Dans le cadre du SAMU, on prend en charge des patients dans des états critiques qui sont ensuite orientés vers d’autres services, comme la réanimation. Les friandises et les chocolats envoyés en remerciement arrivent donc souvent dans d’autres services ! Les patients ne réalisent pas toujours qu’en pré-hospitalier, les équipes SMUR se sont battues comme des lions pour leur survie. Mais notre satisfaction, pour nous urgentistes, ce ne sont pas les cadeaux, mais plutôt que le patient s’en sorte ! »

Dr Colas Tcherakian (pneumologue, hôpital Foch) :

« Effectivement, la reconnaissance des patients est une part extraordinaire de notre métier. Mais il ne faut pas devenir médecin pour recevoir des remerciements, sinon on sera déçu... Il faut faire médecine pour rendre service aux autres. Recevoir en retour de la gratitude des patients est un bonus incroyable. J'ai reçu toute forme de reconnaissance. Cela peut être un regard qui vous bouleverse, ou des chocolats, parfois du vin ! Mais aussi des babouches, chacun fait à sa mesure. J'en suis parfois gêné car ce ne sont pas les plus fortunés qui font des présents ! »

Pr Boris Hansel (endocrinologue, diabétologue et nutritionniste, hôpital Bichat) :

« C’est vrai que la satisfaction du patient dans le soin qu’on lui a prodigué est quelque chose qui fait vraiment "du bien" à un médecin. On reçoit parfois des lettres, ou des cadeaux comme des chocolats ou du vin. Mais pour ma part, le plus important est quand un patient, petit à petit, vous témoigne de sa confiance totale.

Un exemple qui m’a particulièrement marqué est celui d’une patiente d’une soixantaine d’années que j’ai reçue alors que je débutais comme chef de clinique. Elle avait une très grande réticence vis-à-vis des médecins. En surpoids, fumeuse, pré-diabétique, avec du cholestérol … elle avait le sentiment que le corps médical lui faisait la morale. La première consultation a été très difficile, c’était un contact d’opposition. Mais au fur et à mesure, avec le temps, une relation de confiance s’est installée. Avec les années, elle a perdu du poids, arrêté de fumer et elle pratique maintenant des activités sportives. Un jour elle m’a envoyé une lettre m’expliquant que j’avais "changé sa vie". Alors qu’elle ne faisait pas du tout confiance au corps médical après ce qu’elle avait vécu, j’étais le premier à qui elle faisait vraiment confiance. D’ailleurs, pour le vaccin anti-Covid, c’est à moi qu’elle a demandé conseil ! Je suis passé de médecin dont on se méfie à quelqu’un à qui on fait totalement confiance. Cette évolution, cette relation humaine, a été pour moi très particulière et très importante. »

 
Je suis passé de médecin dont on se méfie à quelqu’un à qui on fait totalement confiance
 

Dr Walid Amara (rythmologue, GHI Le Raincy-Montfermeil) :

« Ce sont souvent ces petits mots, comme cette lettre manuscrite que j’ai reçue récemment, qui nous boostent ! :

Il y a 10 ans, jour pour jour, j’arrivais dans votre service après avoir fait une mort subite… Coma, pronostic vital engagé pendant plusieurs jours. Puis vous m’avez implanté un DAI qui m’a sauvé la vie 2 fois encore. Aujourd’hui, sans séquelle, je profite à fond de cette nouvelle belle vie. Tout ceci grâce à vous et à votre équipe. Je ne pouvais laisser passer cet anniversaire sans vous renouveler mes remerciements ! »

Dr Manuel Rodrigues  (oncologue médical à l’Institut Curie) :

« La gratitude des patients est en effet un moteur majeur pour nous, soignants. La plupart d’entre nous ont choisi ce métier, non pas pour faire carrière ou pour l’argent, mais pour aider les patients. Néanmoins, il me semble que la situation se dégrade progressivement. De plus en plus de patients voient les soignants comme des prestataires de service, en particulier les paramédicaux. Paradoxalement, le risque principal est pour les patients. Face à une telle attitude, les soignants peuvent en venir à remettre en cause leur vocations et deviennent de plus en plus froids, avec un sentiment de dépersonnalisation. Le contrecoup est d'autant plus violent actuellement que ces mêmes soignants étaient applaudis il y a 1 an à peine.

Il est difficile d'anticiper ce qui va toucher le patient. Parfois un simple appel anodin pour prendre des nouvelles va particulièrement marquer le patient et il vous fera part de sa reconnaissance toute sa vie. Parfois, c’est un mot, un regard ou un geste qui va lui donner du courage ― certains nous le confient plusieurs semaines, voire des mois après la consultation. Et à l’inverse, il arrive que certains mots blessent, sans qu’on n’en ait conscience. C’est ce qui fait la subtilité de la relation médicale, comme de la relation humaine en générale d’ailleurs. »

Dr Jean-Pierre Usdin (cardiologue, Paris) :

« Oui, nous recevons régulièrement des messages de gratitude. Tous nos malades sont reconnaissants lorsqu’ils vont mieux, qu'on y soit pour quelque chose ou non d'ailleurs ! Évidemment, en cette période de Covid, ce sont les patients reconnaissant d'avoir obtenu un certificat pour la vaccination qui affluent.

Je ne prendrais pas le risque de faire un inventaire d'auto-satisfécits ! Mais pour exemple, voici quelques textos récents que j’ai reçus :

 
Impossible de vous oublier, vous m’avais sauvé la vie il y a 18 ans !!!
 

Je vous remercie mille fois, vous avez été d'une grande aide. 

Impossible de vous oublier, vous m’avais sauvé la vie il y a 18 ans !!!

En Haute-Savoie, le nom "Dr Usdin" peut déplacer des montagnes ! Merci pour votre aide ! »
 

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