Le nouveau DMP amélioré «Mon espace santé» sera-t-il un concurrent sérieux pour Doctolib ?

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

4 mai 2021

Paris, France — Nouvel épisode dans le feuilleton du carnet de santé numérique. Des expérimentations de « Mon espace santé », un Dossier Médical partagé (DMP) amélioré, devraient débuter en juillet prochain auprès de 4 millions d’usagers. Le 1er janvier 2022, tous les Français pourront accéder à leurs données médicales grâce à cet espace numérique. Comportant un dossier patient, un agenda médical, une messagerie sécurisée et un catalogue d’applications, l’espace numérique en santé fruit de la collaboration entre le gouvernement et l’assurance maladie, ambitionne de devenir leader dans un domaine où la concurrence fait rage.

Rattraper le retard

C'est en grande pompe que le ministère de la santé allié à l'assurance maladie ont fêté les deux premières années de lancement de la feuille de route du numérique en santé.

Objectif de ce plan triennal : faire en sorte que l'État reprenne la main dans ce secteur stratégique. « Ces 15 ou 20 dernières années, nous avons laissé se développer en France tout un tas de logiciels qui ont fleuri dans les hôpitaux, les laboratoires de santé, chez les médecins généralistes, dans les maisons de santé, sans cadre commun, avec des logiciels qui ne respectent pas bien les référentiels sécurité en santé, qui ne respectent pas non plus des normes communes », a constaté Dominique Pon, responsable ministériel du numérique en santé au ministère de la Santé.

Pas de norme commune

Et d'ajouter : « Il n'y a pas d'interopérabilité correcte dans le numérique en santé. Les professionnels de santé sont parfois agacés par un manque d'ergonomie de leurs logiciels, et par des ruptures dans le parcours de soins des gens.

Deuxième constat : les Français n'ont toujours pas la totalité de leurs données de santé accessible dans une plateforme numérique. Nous n'avons pas été capables ces quinze dernières années de proposer cette plateforme. « C'est un fait : depuis 2004, le dossier médical personnel, puis partagé, n'a pas réussi à faire ses preuves. Relancé en 2018 et confié à l'assurance maladie, le nombre d'ouverture de DMP n'était, en septembre 2019, que de 7 millions. C'est qu'entre-temps, son développement a été contrarié par l'annonce d'un nouvel outil, l'espace numérique santé. Le DMP devenait ainsi une brique de l'espace numérique en santé, dont la création avait été annoncée en avril 2019. Cet espace numérique en santé devrait comporter trois autres briques : un agenda médical, un catalogue d'application et une messagerie en santé.

Expérimentation de « Mon espace santé »

Qu'en est-il aujourd'hui ? Après une première phase d'investigation et de sondage de la population, un premier palier va être franchi en juillet prochain : « au mois de juillet nous allons lancer les espaces santé en Loire-Atlantique (44), en Haute-Garonne (31) et dans la Somme (80), soit 4 millions d'usagers, donc c'est assez significatif. Nous allons tester le DMP nouvelle formule et la messagerie de santé. L'agenda et le catalogue verront le jour en janvier 2022 avec sa généralisation. Cette phase pilote va nous permettre de tester l'appropriation par les usagers et les professionnels de santé », explique Thomas Fatôme, directeur général de l'assurance maladie.

 
Au mois de juillet nous allons lancer les espaces santé en Loire-Atlantique (44), en Haute-Garonne (31) et dans la Somme. Thomas Fatôme
 

La généralisation de l'espace numérique en santé, baptisé « Mon espace santé », devrait intervenir en janvier 2022 : « La création de l'espace numérique en santé va être possible dès janvier 2022. Il y aura un système d'opt-out. À partir de janvier 2022, nous allons lancer à l'ensemble des assurés une invitation à l'ouverture de l'espace santé. S'ils ne s'opposent pas à son ouverture il sera automatiquement créé au bout de deux mois », ajoute Thomas Fatôme. Ce système d'opt-out [désinscription] devrait permettre une ouverture généralisée, en l'espace de deux mois, de « mon espace santé », pour dépasser allègrement les quelque 7 millions de DMP ouverts...

 
À partir de janvier 2022, nous allons lancer à l'ensemble des assurés une invitation à l'ouverture de l'espace santé. S'ils ne s'opposent pas à son ouverture il sera automatiquement créé au bout de deux mois. Thomas Fatôme
 

Gouvernance, identité nationale en santé (INS), cartes dématérialisées…

Si l'espace santé est la pierre angulaire de la feuille de route du numérique en santé, cette dernière comporte de nombreuses autres actions.

Première d'entre elles : la mise en place d'une nouvelle gouvernance dans le domaine : « Nous avons construit une nouvelle gouvernance, partagée, en s'appuyant sur l'ensemble des acteurs, nous avons ouvert un conseil du numérique en santé ouvert à tous. Nous avons aussi transformé l'ancienne ASIP santé en agence du numérique en santé pour qu'elle porte cette feuille de route », détaille Dominique Pon.

Cette agence du numérique en santé a également mis au point un référentiel, qui doit permettre de faire en sorte que les applications et logiciels répondent à des normes communes : « Nous avons écrit une doctrine technique pour le secteur sanitaire et pour le médico-social. Elle doit être la référence pour l'ensemble des acteurs du monde de la santé. Nous avons aussi créé un outil Convergence où chacun peut déclarer sa conformité à cette doctrine. »

Autre chantier : l'instauration d'une identité nationale en santé (INS), soit un numéro qui permet d'identifier un patient pour pouvoir échanger à son sujet et de manière sécurisée des informations, entre deux professionnels de santé : « C'est en train d'être déployé dans tous les logiciels de santé en France. Nous avons aussi développé une e-CPS, une carte de professionnels de santé (CPS) dématérialisée. Nous avons aussi dématérialisé la carte vitale, appelée désormais l'application carte vitale. Toujours porté par l'assurance maladie, nous mettons en place un grand programme de dématérialisation des prescriptions dont l'expérimentation a démarré en juillet 2019. Nous sommes dans la phase de généralisation, les éditeurs de logiciels de médecins et de pharmaciens sont en train d'implémenter ces normes de prescription. »

Investissement : modernisation des systèmes informatiques hospitaliers…

Côté finance, là aussi, les acteurs du numérique en santé disent n'avoir pas chômé : « Il y a aussi des plans d'investissement tels que l'on n'en a pas connu depuis ces 15 dernières années. Je parle d'un plan de modernisation des systèmes informatiques hospitaliers, le programme Hop’EN qui a démarré il y a deux ans, dans un grand nombre d'établissements de santé (d'un montant de 420 millions d'euros, Hop'EN a succédé au programme Hôpital numérique pour soutenir la modernisation des systèmes d'information hospitaliers (SIH) sur la période 2018-2022, NDLR).

Nous avons aussi lancé un plan de financement des outils territoriaux destinés aux soins complexes dans les territoires. « À cela il faut ajouter une rallonge conséquente, issue des négociations sur le Ségur de la santé : « Il y a aussi le grand programme Ségur de 2 milliards d'euros pour renforcer cette feuille de route : mise aux normes de tous les logiciels de santé en France, quel que soit le secteur (hospitaliers, ehpad, médecins généralistes, etc.). L'objectif reste le partage de données de santé entre professionnels de santé pour fluidifier la qualité des parcours de soins, mais aussi avec le citoyen lui-même pour partager les compte-rendus d'hospitalisation, etc. »

Concurrence

Sera-ce suffisant pour rattraper le retard de l'État et de l'assurance maladie en matière de numérique en santé ? Car sans les nommer, les grands concurrents auxquels qui vont perdre des parts de marché, via la mise en place de l'espace en santé, restent les plateformes de prise de rendez-vous médicaux, dominés par Doctolib.

Dominique Pon a d'ailleurs rappelé les résultats d'une étude faite auprès des Français par un institut de sondage : « Les Français souhaitent que cette plateforme soit portée par l'État et non par une plate-forme privée. » Il y a fort à faire pour rattraper le retard pris sur le leader de la e-santé en Europe. Car Doctolib, à la faveur de la pandémie, s'est assuré une place de choix dans le numérique en santé : plus de 4 millions de téléconsultations en 2020, plus de 60 millions de prise de rendez-vous médicaux par mois, la mise en place d'un service de prise de rendez-vous vaccinal.

Mais surtout : l'annonce de la création en mars dernier de « Doctolib médecin », un logiciel qui cumule la gestion des dossiers patients, la gestion administrative du cabinet, et d'autres fonctionnalités, comme le pré-accueil du patient, le partage d'ordonnances électroniques. « Doctolib médecins » complète ainsi les applications de prise de rendez-vous médicaux, et de téléconsultations de Doctolib.

Mon espace santé arrivera-t-il à séduire les médecins déjà abonnés à Doctolib ? Pour faire connaitre leur solution, le ministère de la Santé et l’assurance maladie lancent un tour de France virtuel, via le partage de webinaire : « Nous allons lancer un grand tour de France en webinaire pour expliquer, dialoguer et faire participer l'ensemble de l'écosystème. Nous allons le commencer prochainement. Nous allons présenter la feuille de route, nous avons une dizaine de dates retenues par des publics divers et variés, nous voulons toucher un maximum de gens. Nous pensons que nous jouons gros, c'est un choix de société, si on veut un numérique en santé vraiment souverain, garantir notre humanité en santé il faut une mobilisation collective », analyse Dominique Pon.

Comment participer au Tour de France ?

 « Il suffit de se connecter sur reussirmonespacesante.fr pour connaitre le programme et s’inscrire, première session le 12 mai (annoncer le programme / compléter les dates ? …) ou envoyer directement un mail monespacesante@esante.gouv.fr pour faire part de votre souhait d’organiser une session. »

Crédit photo : https://esante.gouv.fr/

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