POINT DE VUE

Prévention des agressions pédophiles : quelle prise en charge ?

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

28 avril 2021

Montpellier, France – « Vous êtes attiré-e par les enfants ? N'allez pas plus loin. Un professionnel.le de santé peut vous aider ». Depuis fin janvier dernier, une campagne de sensibilisation sous forme d'affichage incite les adultes qui ressentent du désir pour les enfants à ne pas passer à l'acte. Inédite en France, la campagne nationale renvoie vers un numéro d’écoute (08 06 23 10 63) pour échanger avec un professionnel de santé qui, si besoin, orientera la personne vers une prise en charge adaptée.

Psychiatre et responsable du CRIAVS (Centre de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles) du CHRU de Montpellier, le Dr Mathieu Lacambre a grandement contribué à la mise en place ce dispositif. En tant qu’ancien président de la Fédération française des CRIAVS, il l’a testé durant un an dans cinq régions, avant son déploiement national. Pour Medscape, il revient, avec la psychologue du centre, Magali Teillard-Dirat, sur la manière dont les médecins spécialisés du CRIAVS du CHRU de Montpellier prennent en charge les pédophiles et les pédocriminels (voir encadré), afin d’éviter leur passage à l'acte ou la récidive.

Pédophile ou pédocriminel ?

Il y a souvent une confusion entre la pédocriminalité (criminalité à caractère sexuel à l'encontre des enfants) et la pédophilie qui est « une préférence sexuelle pour les mineurs pré-pubères, selon le Dr Lacambre. Celle-ci n’est pas considérée comme une infraction, c’est un diagnostic médical, psychiatrique. Les pédocriminels ont agressé sexuellement des mineurs, mais, ce ne sont pas des pédophiles en puissance. Et, à l’inverse, beaucoup de pédophiles ne vont jamais violer d’enfants. » Ce qu’on appelle des pédophiles "abstinents".

Travailler sur la question du passage à l’acte

Comment travaillent les professionnels de santé du centre ? Entretiens individuels en alternance (psychologue et psychiatre), groupes de parole, thérapies familiales… la prise en charge est sur mesure, en fonction des ressources dont dispose le CRIAVS. La plupart des patients bénéficient d’un double suivi avec le psychologue et le psychiatre. L’objectif est de travailler sur la question du passage à l’acte et les événements de vie qui ont pu y mener. « S’il n’a pas eu lieu, si le patient a « simplement » eu des fantasmes, on va travailler sur la question du désir, du fantasme, etc… », nous a confié la psychologue Magali Teillard-Dirat qui a précisé que toutes les approches étaient complémentaires: un même patient peut avoir accès à un groupe de parole ou à une thérapie familiale « car il y a souvent des questionnements vis-à-vis de la famille ». Et d’ajouter qu’à peu près un tiers des patients ont été eux-mêmes victimes d’abus sexuels.

C’est pourquoi l’équipe du CRIAVS fait non seulement de la prévention primaire (lire encadré) pour « éviter que des enfants deviennent des auteurs ou des victimes de violences sexuelles, qu’ils développent des paraphilies qui sont l’ensemble des comportements sexuels problématiques ou déviants », selon le Dr Lacambre. Mais aussi de la prévention secondaire pour « éviter le passage à l’acte une fois que les gens sont attirés par les enfants ». L’équipe du CRIAVS intervient par exemple en classe, en particulier chez les collégiens et les lycéens qui ont déjà « des comportements sexuels problématiques avec des débuts de constitution de troubles paraphiliques ». Enfin, bien sûr, le centre fait de la prévention tertiaire « pour éviter les complications lors des passages à l’acte », poursuit le Dr Lacambre.   

Mais comment fonctionnent les entretiens individuels ? L’excellent documentaire de Fanny Fontan, Le Sous-sol de nos demons (diffusé sur France 3 Régions ) en donne un apercu. « J’ai fait une rechute il y a une semaine. Je suis retourné sur un site de tchat… » confie un patient dans le film. « Vous avez l’impression que les choses vous échappent ? », demande Magali Teillard-Dirat. « Oui, le fait que je me laisse aller dans des pulsions, je ne suis pas maître de moi. (…) Cette nuit, j’ai fait un rêve érotique, le problème c’est qu’il y avait un enfant dedans… », rétorque le patient qui dit être « dans une lutte et une guerre permanente » malgré un suivi psychologique qui dure depuis quatre ans. En effet, après deux mois de « calme plat », les démons, « la maladie » sont une fois de plus revenus : « Je m’étais dit qu’un jour cela serait terminé, que cela serait hors de moi. Un peu quand comme vous attrapez une grippe, vous guérissez et c’est fini, on n’en parle plus. Et là, non, cela tourne en boucle, cela recommence… ».

Au-delà des entretiens individuels, ce sont des patients à qui on pourra, bien sûr, proposer des thérapies autour du trauma tel que l’EMDR, « afin de prendre en charge les événements traumatiques qui ont pu favoriser et être à la source du passage à l’acte ». Mais les psychiatres du centre peuvent aussi avoir recours à des traitements pharmacologiques (antidépresseurs, traitements freinateurs de libido…), conformément aux recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) et celles découlant de l’audition publique des 14 et 15 juin 2018 qui a dressé un état des lieux et formulé des recommandations sur la prévention, l'évaluation et la prise en charge des auteurs de violences sexuelles en France.

Groupes de parole sur une thématique spécifique

Dans la boîte à outils des psys, les groupes de parole jouent un rôle essentiel. Réalisés à l’hôpital ou en milieu carcéral, ils ne se substituent pas au suivi individuel. Certains s’adressent aux majeurs, d’autres aux mineurs. Tous les quinze jours, chaque groupe travaille sur une thématique spécifique : consentement, emprise, distorsion cognitive, etc. Ces groupes sont aussi homogènes que possible. À titre d’exemple, les membres du groupe que l’on retrouve régulièrement dans le documentaire sont déjà passés à l’acte ou ont des fantasmes sur des mineurs pré-pubères. « On évite de mélanger les personnes qui ont commis un viol ou une agression sexuelle sur une femme adulte avec celles qui ont fait de même sur un enfant. La problématique et la dynamique sont différentes et ne permettent pas d’aborder les choses de la même manière », selon la psychologue.

Et c’est justement le fait de se confronter à des personnes qui ont des problématiques semblables (ou commis des actes similaires) qui facilite la libération de la parole. « Certaines personnes n’osent parfois pas parler car elles sont dans la honte ou le déni. Mais, quand elles voient certains membres du groupe parler plus librement devant les autres, elles peuvent alors faire de même », explique Magali Teillard-Dirat. Un passage du documentaire illustre à merveille ses propos. Quand un patient explique dans un groupe de parole qu’il a du mal à se sentir monstrueux. Avant de poursuivre : « Si je me voyais monstrueux, peut-être que je serai complètement guéri. » Réaction d’un autre patient : « Je te rassure, moi, c’est un peu pareil ».

Accepter que cela s’est produit pour pouvoir continuer à avancer

Ces échanges permettent à ces pédophiles ou ces pédocriminels de se sentir un peu moins seuls, de continuer à vivre malgré leurs erreurs passées, d’avancer sur le chemin de la guérison, ce qui, bien sûr, n’enlève rien à la monstruosité de leurs actes. Mais, « si la société vous pointe du doigt comme des personnes monstrueuses, beaucoup de patients vont clairement nous dire qu’ils sont monstrueux et à peine réhabilitables. Et cela sera encore plus difficile à vivre pour eux », défend la psychologue qui fait un gros travail avec les patients pour qu’ils s’acceptent eux-mêmes et acceptent les actes qu’ils ont commis. Et de préciser qu’il ne s’agit pas de les pardonner, mais « d’accepter que cela s’est produit pour pouvoir continuer à avancer. » Ce qui passe aussi par changer le regard que les professionnels portent sur cette catégorie de patients. « S’ils les regardent comme des monstres, ça va être compliqué… Mais, si leur regard change, si on regarde un peu plus leur souffrance, cela les aidera d’autant plus à soigner leur propre souffrance », plaide Magali Teillard-Dirat.

Le documentaire montre bien comment cette image de monstre colle à la peau de certains patients. L’un d’entre eux confie d’ailleurs lors d’un groupe de parole : « J’imagine très bien les gens qui disent « il nous fait chier celui-là, on n’a qu’à le foutre en taule. Et puis qu’il ferme sa gueule. De toute façon, c’est un gros pervers, il ne pense qu’à ça. Il n’a pas le droit de vivre, il doit croupir en prison. » Et pourtant, malgré la gravité des erreurs commises par ces personnes, elles doivent continuer à vivre. Pour les aider à le faire, Magali Teillard-Dirat leur rappelle dans le film qu’ils ne se résument pas à leurs actes. « Vous n’êtes pas vos actes, il ne faut pas l’oublier. Car, certes, vos actes sont monstrueux, mais ça ne fait pas pour autant de vous des monstres ».

Quant au Dr Lacambre, il considère que « la question du monstre, c’est le miroir de la question des victimes ». Pourquoi ? Parce que « les victimes sont souvent enfermées dans leur statut de victimes et vont vivre une carrière de victimes, comme on vit une carrière de monstre. En sachant que cela participe à une forme de déterminisme social. » Il milite donc pour que « l’on puisse s’extraire de cette représentation, en restaurant la part d’humanité de la personne, en essayant de la sortir du statut de victime ou d’auteur, c'est-à-dire de monstre. »

Oser en parler à votre patient

« Il y a vingt ans, on n’osait pas demander si les gens avaient des idées suicidaires parce qu’on craignait de les provoquer. Les médecins généralistes ont longtemps considéré qu’il ne fallait pas poser la question. Alors que c’est exactement l’inverse qu’il faut faire », selon le Dr Lacambre qui pense c’est aussi valable pour la pédophilie, les violences sexuelles ou l’inceste, qui sont souvent intrafamiliales. Comme dans les violences conjugales, les violences sexuelles souvent tues et couvertes par le secret. « Il faut donc pouvoir poser les questions, proposer au patient de s’exprimer là-dessus, pour pouvoir ensuite proposer une réorientation. Par exemple : « Comment ça va dans la famille ? » Y compris pour les enfants pris en charge en médecine générale. En leur demandant par exemple, si l’on a le moindre doute, « comment ça se passe à l’école et à la maison ? » », selon le Dr Lacambre. Sans oublier de rappeler aux adultes qu’il existe des ressources spécifiques si besoin.

Une boîte à outils de prévention

Le CRIAVS du CHU de Montpellier a lancé en 2017 une boîte à outils de prévention des violences à caractère sexuelles et/ou sexistes : la BOAT. Destinés à tous les professionnels qui interviennent auprès des mineurs âgés de 5 à 18 ans, ces 134 fiches pratiques proposent des activités à réaliser avec les enfants. Les fiches sont déclinées en cinq thématiques cibles (compétences psycho-sociales, respect et différences, relation et sexualité, du virtuel au réel, compréhension et respect de la Loi), en lien avec les étapes de développement psycho-sexuel et affectif de l’enfant. « Cette boite à outils permet de renforcer les facteurs de protection et de réduire les facteurs de risques de développer des comportements sexuels violents ou problématiques, selon le Dr Lacambre. Cela permet d’éviter aux enfants d’avoir des comportements sexuels violents entre eux, ou de subir des comportements sexuels violents et problématiques de la part d’adultes. » J.M.

 

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