Virtuel — Le reflux gastro-œsophagien (RGO) peut se manifester par des symptômes atypiques, telles que des douleurs thoraciques ou une toux chronique. Comment reconnaitre ces manifestations et orienter en conséquence la prise en charge ? Le Dr Sabine Roman (Hospices civils de Lyon) a fait le point, lors d’une présentation en ligne des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (eJFHOD 2021) [1].
« Le reflux gastro-œsophagien est impliqué dans de nombreux symptômes, mais, dans la majorité des cas, il reste difficile de prouver le lien de cause à effet », a souligné la gastro-entérologue. En cas de suspicion de manifestation atypique, des examens complémentaires sont nécessaires, essentiellement pour éliminer le reflux comme cause potentielle, avant d’envisager notamment la piste d’une hypersensibilité vésicale.
Associé ou non aux symptômes typiques
Plusieurs symptômes ont été identifiés comme une conséquence d’un reflux gastro-œsophagien. Parmi eux, on distingue majoritairement des douleurs thoraciques non cardiaques, certaines manifestations pulmonaires (toux chronique, exacerbation d’asthme…), des manifestations des voies digestives supérieures (écoulement nasal postérieur, douleurs pharyngées…) ou dentaires.
« Les symptômes atypiques peuvent être isolés ou associés à des symptômes typiques de reflux, comme le pyrosis et la régurgitation », a précisé la gastro-entérologue. Ils ont aussi la particularité d’être peu spécifiques, ce qui peut amener les patients dans une errance médicale. « D’un point de vue clinique, il n’est pas possible d’affirmer si le symptôme est lié ou non à un reflux gastro-œsophagien. »
Devant une suspicion de manifestation atypique de RGO, trois étapes sont à respecter pour orienter la prise en charge, a expliqué le Dr Roman. « Il faut d’abord s’interroger sur les mécanismes physiopathologiques à l’origine de ces manifestations. Ensuite, il faut prouver l’existence d’un reflux et, enfin, vérifier si celui-ci est à l’origine des symptômes. »
Effet d’une hypersensibilité viscérale?
Sur le plan physiopathologique, le reflux en lui-même peut directement être à l’origine des douleurs thoraciques non cardiaques ou d’une toux chronique, notamment lorsque le contenu du reflux rentre en contact avec les muqueuses des voies aériennes. Un mécanisme indirect, par réflexe vago-vagal en réaction au reflux, est aussi identifié comme une cause potentielle.
En plus de ces deux mécanismes, qui peuvent coexister chez un même patient, d’autres phénomènes sont à prendre en compte pour leur capacité à amplifier ces symptômes, comme une hypersensibilité viscérale ou des facteurs psychogènes, telles que l’anxiété ou l’hypervigilance, « à l’origine d’une augmentation du ressenti des patients ».
Concernant les modalités diagnostiques, l’endoscopie œso-gastro-duodénale reste l’examen de première intention pour rechercher un reflux. Conformément au récent consensus de Lyon[2], celui-ci est confirmé en présence d’une œsophagite de grade C ou D, d’un œsophage de Barret (métaplasie précancéreuse > 1cm) ou d’une sténose peptique (rétrécissement de l’œsophage).
« Malheureusement, dans la majorité des cas, l’endoscopie apparait normale. Elle peut aussi révéler une œsophagite de grade A ou B, un signe de reflux qui reste toutefois insuffisant seul pour poser le diagnostic », estime le Dr Roman. Il en est de même avec l’hernie hiatale, qui n’est pas nécessairement associée à un reflux.
Examens par pHmétrie et/ou une pH-impédancemétrie
Dans tous les cas, « que le reflux soit confirmé ou non par endoscopie, il n’est pas possible d’affirmer que le reflux gastro-œsophagien est à l’origine des symptômes ». Il faut, pour cela, mener des examens complémentaires sans appliquer de traitement « pour tenter d’établir un lien de cause à effet », en effectuant une pHmétrie œsophagienne, complétée ou non d’une pH-impédancemétrie.
Avec la pHmétrie œsophagienne, une sonde est introduite au niveau de l’œsophage avec un cathéter pour mesurer le pH pendant 24 heures. La sonde est placée 5 cm au-dessus du sphincter œsophagien inférieur. Un niveau de pH<4 permet de confirmer le reflux. L'alternative sans fil (capsule fixée dans l’œsophage) est à éviter chez les patients souffrant de douleurs thoraciques, a précisé la gastro-entérologue.
L’examen par pH-impédancemétrie œsophagienne permet, quant à lui, de préciser la nature du reflux (liquide, gazeux ou mixte) et son extension au niveau de l’œsophage à l’aide d’électrodes installées au-dessus du sphincter pendant 2 à 4 jours. Couplé à la mesure du pH, il peut aussi détecter des reflux peu acides.
Le temps d’exposition acide (pH<4) au niveau œsophagien est considéré comme pathologique lorsqu’il est supérieur à 6% du temps total et normal lorsque inférieur à 4%. Le nombre de reflux en impédance permet de confirmer le diagnostic de reflux. A partir de 40 reflux en 24 heures, l’impédance est considérée comme anormale. Au-delà de 80, elle est pathologique.
Un impact des IPP variable
Pour savoir si les manifestations atypiques sont liées aux reflux, il est demandé aux patients de signaler les symptômes pendant les enregistrements de pHmétrie œsophagienne et de pH-impédancemétrie en appuyant sur un enregistreur. Pour confirmer l’association, au moins trois symptômes doivent être rapportés et ceux-ci doivent avoir une concordance avec les niveaux de pH acide mesurés.
En cas de diagnostic de reflux pathologique, il est préconisé de prescrire un traitement par inhibiteur de pompe à protons (IPP) à double dose pendant huit semaines afin d’évaluer l’impact du traitement sur les symptômes. Une fois la réponse au traitement mesurée, la dose d’IPP doit être réduite à la dose minimale efficace, conformément aux recommandations.
Si les symptômes disparaissent sous IPP à haute dose, alors le reflux est « possiblement responsable », précise le Dr Roman. S’ils se maintiennent, une pH-impédancemétrie est à nouveau proposée. En présence d’un RGO persistant, le lien avec les symptômes peut être confirmé. Dans le cas inverse, « on peut considérer que les symptômes ne sont pas associés à un reflux ».
D’autres examens auparavant utilisés pour explorer cette corrélation ont finalement été abandonnés. C’est le cas des mesures du pH pharyngé ou du taux de pepsine dans la salive, qui ne sont pas assez spécifiques. De même la simple application d’un traitement par IPP pour évaluer son effet sur les symptômes n’est pas satisfaisante, en raison d’un possible effet placebo.
Antidépresseurs et topiques locaux
Une fois les symptômes atypiques confirmés, leur prise en charge reste compliquée, a rappelé le Dr Roman. Si les IPP permettent plus facilement une cicatrisation de l’œsophagite, les études montrent une amélioration des douleurs thoraciques seulement dans la moitié des cas. Concernant la toux chronique, « le gain thérapeutique des IPP est assez faible ».
En cas d’effet insuffisant des IPP sur les symptômes atypiques, « on peut proposer de diminuer la sensibilité viscérale, en restant toutefois prudent avec l’approche chirurgicale, qui ne donne pas toujours de bons résultats chez ces patients ».
En l’absence de reflux, les symptômes peuvent être traités en diminuant la sensibilité viscérale, à l’aide notamment d’antidépresseurs, qui s’avèrent particulièrement efficaces chez les patients présentant des douleurs thoraciques, précise la gastro-entérologue. « Il s’agit d’une piste thérapeutique intéressante ».
Elle recommande, pour cela, l’utilisation de l’amitriptyline en commençant d’abord par de faibles doses (minimum 5 mg), sans aller au-delà des 20 mg. Le citalopram (Seropram®) peut aussi être proposé, à raison de 10 mg deux à trois fois par jour. Néanmoins, l’efficacité de ces antidépresseurs dans cette indication est souvent associée à une mauvaise tolérance.
En cas de manifestations ORL, la prescription de topiques locaux peut être envisagée (Gaviscon®, Maalox®…) « avec parfois de bons résultats ». Le baclofène (Baclocur®) a montré un effet positif en diminuant le nombre de reflux, « mais ce médicament reste aussi assez mal toléré ».
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Citer cet article: Reflux gastro-oesophagien: quelle prise en charge face à des symptômes atypiques? - Medscape - 20 avr 2021.
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