POINT DE VUE

Pourquoi on réclame la fin du Cnom

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

16 avril 2021

Paris, France —  Quelque 26 associations* de la société civile et syndicats professionnels appellent de nouveau à la dissolution du Conseil national de l'Ordre des médecins (Cnom). À la manœuvre, on retrouve le Miop (mouvement d'insoumission aux ordres professionnels) du Dr Bernard Coadou, mais aussi le Syndicat national des jeunes médecins généralistes (SNJMG) ainsi que le Syndicat de la médecine générale.

Depuis que la Cour des comptes a publié un rapport au vitriol sur la gestion de l'Ordre des médecins, le mouvement d'opposition au conseil national de l'ordre des médecins reprend de plus belle.

Six raisons de dire non

Alors que de nouvelles polémiques font surface au sujet de médecins condamnés par le Cnom pour avoir dénoncé des possibles maltraitances sur mineurs (voir encadré en fin de texte), les associations signataires de cette tribune listent au moins 6 raisons à même de justifier la dissolution du Cnom.

Première de ces raisons, l'obligation de souscription à l'Ordre, qui en fait un représentant factice, « un syndicat obligatoire ». « Les médecins ne choisissent donc pas d'être représenté.e.s par l'ordre, ils et elles y sont contraint.e.s. Et encore représentés est un grand mot, puisque la participation aux élections départementales est à moins de 30%. »

Deuxième grief : l'Ordre ne serait pas un parangon de vertu, même s'il se définit comme le garant de la déontologie médicale. Les signataires rappellent son opposition à l'IVG, au tiers-payant, « sa complaisance pour les pratiques corruptives exercées par l'industrie pharmaceutique au profit des médecins », son manque de réactivité sur les dossiers impliquant des médecins pédocriminels...

Troisième reproche : l'Ordre se targue de pouvoir donner des conseils pratiques alors même que d'autres organismes, comme les unions régionales des professions de santé (URPS), le font déjà.

Les auteurs de la tribune soulignent aussi le fait que les comptes de l'Ordre sont plongés dans une opacité la plus totale, qui profiteraient aux conseillers ordinaux. «L'ordre semble être aujourd'hui dans l'incapacité de rendre des comptes clairs et exhaustifs sur son patrimoine, initié par la confiscation des biens des syndicats médicaux en 1940 puis développé par les cotisations obligatoires
des médecins ». 

En cinquième lieu, l'Ordre se montrerait incapable de sanctionner les médecins fautifs ou insuffisants professionnels : « incapable d'identifier les situations problématiques liées à des praticien·ne·s dont l’insuffisance professionnelle ou l’état de santé rendent dangereux l’exercice de la médecine ».

Last but not least, la justice de l'ordre serait « d'apparat » avec des jugements « rendus sans possibilité d'enquête, donc sans contrôler si les faits sont établis !  »

Dr Bernard Coadou

Medscape a interviewé le Dr Bernard Coadou , opposant au Cnom au sein du mouvement d'insoumission aux ordres professionnels (Miop).

Medscape : comment expliquez-vous qu’autant d’associations et de syndicats demandent maintenant la dissolution du Cnom ?

Dr Bernard Coadou : De jeunes médecins prennent conscience de ce qu'est l'institution ordinale. Moi je fais partie des anciens, je suis maintenant retraité, j’ai bataillé dans les années 80, 90... De plus en plus de gens de la société civile prennent conscience que le Cnom les concerne également : le rapport de la cour des comptes sur ce point-là a pu éclairer les citoyens. Dans de nombreux domaines, au cœur de l'actualité, notamment sur la thématique des agressions sexuelles, le Cnom est en état d'échec systémique, tel que rapporté par la Cour des comptes. Le procès de l'ex-chirurgien Le Scouarnec nous démontre la nocivité de l'ordre des médecins, capable de protéger des prédateurs sexuels, et c'est la Cour des comptes qui l'écrit.

Au-delà de ces affaires de prédation sexuelle, quels sont les principaux griefs que vous reprochez au Cnom ?

En quarante années de carrière, j'ai été en contact avec les différents échelons de l'ordre des médecins et ils me sont apparus beaucoup plus comme un obstacle à franchir que comme une aide. Dans le champ de la libéralisation de la contraception et de la sexualité, il y a bien des choses à dire sur le Cnom : on se rappelle par exemple de la réaction du président du conseil national de l'ordre de l'époque Jean-Louis Lortat-Jacob qui s'était opposé à la légalisation de l'interruption volontaire de grossesse en 1973. Il avait traité les signataires de l'appel des 343 contre la dépénalisation de l'IVG de "délinquantes au nom pas très catholiques".

Cinquante ans après, les esprits sont toujours marqués. Par ailleurs, j'ai toujours eu envie de faire de la médecine de groupe et j'ai toujours été embêté par le Cnom. J'en passe et des meilleurs.

Il y a eu une faillite aussi en ce qui concerne l'organisation des gardes qui a provoqué la démission du bordelais Bernard Hoerni (ancien président du Cnom) de la présidence nationale sur le dossier des urgences, et là aussi, il y aurait beaucoup de choses à dire : l'ordre des médecins qui avait été chargé d'organiser les urgences libérales a failli. Nous ne nous opposons pas au Cnom seulement d'un point de vue idéologique, mais aussi d'un point de vue pratique. Sur ce plan-là, le Cnom nous apparait aussi nocif.

Le Cnom est donc pour vous un frein à la pratique médicale au quotidien ?

Oui tout à fait. Maintenant, le milieu médical est hétérogène, j'ai mon opinion qui n'est peut-être pas partagée. Mais quand on fait le bilan du Cnom sur 50 ans, il est plus négatif que positif. La liberté associative est bafouée par l'Ordre des médecins, sans parler de la séparation des pouvoirs qui n'est pas non plus respectée. Le Cnom nous impose ainsi une juridiction d'exception, qui est pire que la juridiction commune comme nous le confirme encore une fois le rapport de la Cour des comptes. Nous ne voulons pas d'une double peine que nous affligerait cette juridiction exceptionnelle qui serait pire que la juridiction commune. Actuellement, tous ces problèmes font écho dans la société civile et dans le monde médical, et cela doit amener à des changements nécessaires.

Condamnés par l'Ordre pour avoir dénoncé des faits de maltraitance

Dans un communiqué récent, le syndicat UFMLS dit « avoir pris connaissance de plusieurs condamnations de collègues médecins pédopsychiatres par les chambres disciplinaires de l'ordre des médecins », dans le cadre de « signalement aux autorités judiciaires d'enfants suspectés d'être maltraités physiquement, psychologiquement ou sexuellement ».

C’est notamment le cas du Dr Françoise Fericelli qui témoignait début avril sur les réseaux sociaux : « Médecin pédopsychiatre en exercice depuis 30 ans, je viens de me faire condamner par l'ordre des médecins pour avoir signalé une fratrie en danger. » Les faits remontent à 2016. Le Dr Fericelli fait cette année-là un signalement au procureur de la République au sujet de cette fratrie. En 2018, le père des enfants concernés porte plainte contre ce médecin, devant le conseil départemental de l'ordre des médecins, pour avoir fait ce signalement. Le Dr Françoise Fericelli est alors condamnée par la chambre disciplinaire de première instance pour « immixtion dans des affaires de famille », et écope d'un avertissement. Elle a fait appel de ce jugement. Depuis, l'un des trois enfants s'est donné la mort.

Pour l'UFMLS, « il est anormal que les médecins libéraux, généralistes, ou spécialistes risquent encore de nos jours des sanctions disciplinaires en effectuant leur devoir de citoyen ou de médecin ». Ainsi l'UFMLS demande « en urgence au Conseil de l'Ordre d'étudier l'application inadéquate » d'articles de loi, notamment les articles 28 et 51 du code de déontologie concernant l'interdiction d'immixtion dans les affaires de famille, « lorsqu'il est question de maltraitances à mineur ».  

*Organisations signataires :

Syndicat de la Médecine Générale - Syndicat National des Jeunes Médecins Généralistes - Mouvement d’Insoumission aux Ordres Professionnels - Union Fédérale des Médecins, Ingénieurs, Cadres et Techniciens--CGT - Association Santé et Médecine du Travail - Pour Une Meuf – Méchandicapés - Stop Violences Obstétricales et Gynécologiques - Touche Pas à Mon Intermittente - Collectif National des Droits Des Femmes - Marche Mondiale des Femmes de France - Association LaSantéUnDroitPourTous – Coopération Patients - Les Dévalideuses - CLE Autisme - Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail - UGICT CGT - Héro-ïnes 95 - Compagnie Les Attentives - Globule Noir - Parents et Féministes - A Nos Corps Résistants - Coordination des Associations pour le Droit à l’Avortement et à la Contraception – Coordination Action Autonome Noire – Le Village2 Santé- Sud SantéSociaux.

 

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