Comment réduire au maximum l’expérience traumatique des séjours en réanimation

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

15 avril 2021

France — « Un séjour en réanimation est une expérience traumatique à l’évidence qui peut induire un trouble de stress post-traumatique (TSPT), de l’anxiété et de la dépression à distance », a indiqué le Dr Pierre Kalfon, chef du service de réanimation des hôpitaux de Chartres lors de la session « Corps et cerveau du trauma » présentée au e-congrès de l’Encéphale 2021 . Un état de fait qui résonne d’autant plus que les services de réanimation sont régulièrement saturés depuis le début de la pandémie de Covid-19.

Quelle est la prévalence de ces troubles post-réanimation ? Existe-il des facteurs prédictifs de développer un TSPT ? Des leviers pour diminuer le stress associé au passage en réanimation/soins intensifs ? Lors de son intervention, le Dr Kalfon a fait le point sur ces différentes problématiques et présenté le programme IPREA3 [5] qui montre que diminuer les inconforts liés à la réanimation peut réduire la prévalence du TSPT.

La réanimation expose à des traumatismes physiques et psychiques

La littérature ne manque pas d’études montrant la survenue de troubles physiques et psychiques suite à une hospitalisation en soins intensifs [2,3,4].

Une étude réalisée au Royaume-Uni sur près de 5000 questionnaires remplis par des patients ayant séjourné en USI fait état de respectivement de 46%, 40% et 22% d'anxiété, de dépression et de TSPT après ce type d’hospitalisation. Globalement, 18% (870/4943 patients) souffraient de ces trois états.

Plus récemment, une étude française publiée dans le JAMA [2] a montré que parmi les sujets qui avaient été pris en charge en USI, 23% avaient conservé une certaine anxiété, 18% étaient dépressifs et 7% avaient un syndrome post-traumatique.

Y-a-t-il des facteurs de risque spécifiques ?

D’après une méta-analyse de 15 études publiée en 2008 [4], les facteurs de risque associés à la survenue d’un TSPT post soins intensifs (prévalence de 19% dans l’étude) sont la présence d’une psychopathologie antérieure, un plus grand recours aux benzodiazépines et les expériences effrayantes et / ou psychotiques en USI. Les femmes et les jeunes semblaient moins vulnérables que les patients les plus âgés, et la gravité de la maladie n’était pas systématiquement associée au TSPT.

 
La gravité de la maladie n’était pas systématiquement associée au TSPT.
 

Comment réduire ce trouble de stress post traumatique induit par la réanimation ?  

Il est difficile de faire la part du traumatisme qui est liée à ce qui a conduit le patient en réanimation de celle liée au séjour en réanimation en lui-même.

« Comme  nous ne pouvons pas agir sur ce qui s’est passé avant la réanimation, nous nous focalisons sur ce qui se passe pendant la réanimation », indique le Dr Kalfon. « Mais, il faut être bien conscient de ce qui a pu se passer avant pour appréhender la fragilité des patients et de les orienter justement vers une consultation post-réanimation », précise-t-il.

« La première idée naturelle pour réduire le risque de TSPT est donc de rendre ce séjour en réanimation le moins traumatique possible », note l’orateur qui souligne que les stress sonores, lumineux, ceux liés aux soins mais aussi l’isolement,  la perte de contrôle et l’absence de communication et de compréhension, le fait de « se sentir comme un morceau de viande », semblent être au cœur des traumatismes.

En pratique, la SFAR et la SFLR ont publié il y a dix ans un consensus pour mieux vivre la réanimation. De leur côté, le Dr Kalfon et coll. ont développé un programme sur-mesure « IPREA3 ». Il s’agit d’une stratégie de soins basée sur la réduction des inconforts (voir questionnaire en fin de texte).

Ce programme s’est avéré efficace pour réduire le score global d'inconfort rapporté par les patients à la fin de leur séjour [5] et pour prévenir les TSPT. Un an après la sortie de réanimation, les résultats obtenus auprès de 344 cas et de 475 témoins ont montré qu’il n'existait pas de différence significative d'incidence des symptômes dépressifs ou des symptômes d'anxiété entre les cas et les témoins. En revanche, les cas présentaient deux fois moins de TSPT à un an que les témoins (6,1 % vs. 12,2 %, p  = 0,004).

Soutenir les patients et leurs proches

Pour finir, en sus de limiter « l’agression » que représente la réanimation, l’orateur a insisté sur l’intérêt  de disposer dans les services de réanimation « de psychologues de terrain qui doivent se mettre à la disposition des patients, de leur famille et des soignants ».

Il a par ailleurs indiqué que des consultations post-réanimation multidisciplinaires avec un médecin réanimateur, un psychiatre ou un psychologue, des kinésithérapeutes devraient se répandre. « Cela permettrait d’aider le patient, de lui donner des informations [il peut avoir une absence de mémorisation de son séjour en réanimation]. Et, cela pourrait aider les médecins réanimateurs qui y participeraient à mesurer encore plus l’impact éventuel du séjour en réanimation pour ces patients ».

De nombreuses questions en suspens

S’il semble désormais clair qu’améliorer la qualité de vie aux soins intensifs peut limiter les TSPT, de nombreuses zones d’ombres restent encore à combler pour prévenir les troubles qui peuvent survenir après cette expérience souvent traumatisante. L’orateur a listé certaines des questions qui restent aujourd’hui sans réponse : Est-il possible de détecter les patients les plus à risque de développer un TSPT ? Faut-il les repérer dès l’admission en réanimation ou faut-il les détecter à la sortie de la réanimation ? L’expérience traumatique est-elle principalement liée à la mise en jeu du pronostic vital ? Les maladies et les traitements administrés en réanimation, notamment les corticoïdes influencent-ils la survenue d’un TSPT ? L’expérience traumatique pour le patient l’est-elle aussi pour ses proches ? Le traitement est-il le même que pour le TSPT d’autre cause ? De nouvelles études seront nécessaires pour répondre précisément à ces questions.

IPREA3 : le questionnaire Inconforts des Patients de REAnimation

Indiquer pour chaque source d’inconfort la valeur entière de 0 à 10 (échelle numérique simple)

  1. Avez-vous souffert du bruit (alarmes, radios, sonneries de téléphone, conversations) de jour comme de nuit ?

  2. Avez-vous souffert de la lumière (éclairage trop important dans la chambre ou dans le couloir surtout la nuit ?

  3. Avez-vous souffert du lit (matelas trop dur ou trop mou, matelas àeau, tête de lit trop ou pas assez relevée, lit trop bas ou trop haut, barrières, mauvais oreillers, etc.) ?

  4. Avez-vous souffert du manque de sommeil par rapport à d’habitude ?

  5. Avez-vous souffert de la soif ?

  6. Avez-vous souffert de la faim ?

  7. Avez-vous souffert du froid ?

  8. Avez-vous souffert de la chaleur ?

  9. Avez-vous eu des douleurs, même si elles étaient présentes avant l’hospitalisation, y compris les douleurs liées aux piqûres ou lors des changes ou de la toilette matinale ?

  10. Avez-vous souffert d’être entouré(e) de tuyaux (pour les perfusions, les connexions des électrodes fixées sur le thorax, l’oxygène dans le nez ou sur le masque, la pince pour surveiller l’oxygénation, etc.) ?

  11. Avez-vous été gêné(e) par le fait que votre intimité ne soit pas suffisamment respectée (par exemple pendant la toilette matinale, les changes, l’examen par les médecins, ou les visites médicales) ?

  12. Avez-vous souffert d’angoisse (peur parfois panique par exemple qu’un appareil important fonctionne mal, provoquée parfois par le déclenchement d’alarmes sonores) ou vous êtes-vous senti(e) très anxieux(se) durant votre hospitalisation ?

  13. Avez-vous souffert d’isolement (être seul[e] dans votre chambre, parfois sans voir d’infirmiers ou de médecins à proximité, et sans entendre de bruit) ?

  14. Avez-vous été gêné(e) par la limitation des visites des membres de votre famille ou de vos amis selon les horaires de visite en vigueur dans le service ?

  15. Avez-vous été gêné(e) de ne pas avoir de téléphone dans la chambre ?

  16. Avez-vous été gêné(e) de n’être pas assez informé(e) de votre état ou de ce qu’on allait vous faire, de l’évolution de votre maladie, de votre date de sortie de réanimation, des suites, que ce soit par les infirmières ou les médecins ?

  17. Avez-vous souffert de difficultés à respirer, d’avoir l’impression de manquer d’air ou de rechercher votre souffle ?

  18. Avez-vous souffert de dépression durant votre séjour en réanimation ?

 

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