France – Le jeûn est à la mode, qu'il soit complet ou partiel. Ses bénéfices – réels ou espérés – font l'objet d'articles dans les journaux ou de reportages, si bien que les patients s'en saisissent aussi. C'est le cas, bien sûr, des patients atteints de cancer. Que sait-on réellement des bienfaits d'une restriction alimentaire sur l'efficacité de la chimiothérapie ou sur l'atténuation des effets secondaires ? Au mieux, pas grand-chose. Les rares preuves scientifiques font pencher la balance en défaveur du jeûn. En mars, le Dr Bruno Raynard (médecin nutritionniste, Gustave Roussy, Villejuif) a fait le point sur cette question à l'occasion d'un webinar organisé par l'Institut Nutrition , fondation d'entreprise de Restalliance.
De quoi parle-ton ? Chez l'homme, on définit le jeûn comme un arrêt ponctuel de toute alimentation à l'exclusion de l'hydratation. Il peut durer de quelques heures à quelques jours. Les jeûns partiels (<250 cal/jour) sont équivalents à des jeûns complets. Dans le régime cétogène, l'organisme est privé de glucose et les calories sont apportées par le biais des lipides.
Les patients idéalisent le jeûn
Les patients atteints de cancer pratiquent-ils le jeûn ? Dans le cadre de la cohorte Nutrinet Santé, une étude s'est intéressée à cette pratique : 6% des participants ont déclaré avoir pratiqué un jeûn pendant ou après leur traitement anticancéreux [1]. Invités à commenter la raison pour laquelle ils avaient entrepris ce jeûn, les répondants ont déclaré en attendre des impacts positifs sur la progression de la maladie et la prévention des toxicités des traitements.
« Dans une autre étude portant sur les femmes atteintes du cancer du sein, on observe les mêmes résultats avec le même type de commentaires de la part des volontaires » a indiqué Bruno Raynard qui a rappelé que « ceci était fondé sur le constat réel que les cellules cancéreuses étaient avides en glucose ».
Attention aux cellules saines
Priver les cellules cancéreuses en glucose, pourquoi pas. Mais quid des cellules saines ? « Le sucre a autant d'importance pour les cellules cancéreuses que pour les autres cellules (musculaires, pulmonaires, cardiaques, cérébrales...) » a indiqué le Dr Raynard. Or, ôter le sucre de l'alimentation engendre une perte musculaire, altère les capacités à cicatriser et à lutter contre les infections. Concernant la perte de muscle, le spécialiste a rappelé qu'elle était associée à un moins bon pronostic dans la maladie cancéreuse.
En outre, lorsqu'un individu est atteint d'un cancer, son organisme est moins tolérant aux restrictions, en particulier glucidiques. « On ne va pas être capable de piocher dans les réserves lipidiques comme quand on est en bonne santé » a commenté l'orateur insistant sur le fait que « le sucre restait un substrat énergétique important pour les cellules saines quand on est malade ».
D'autre part, dans des modèles expérimentaux, les cellules cancéreuses, elles, étaient capables d'utiliser d'autres substrats énergétiques (lipides, protéines) en l'absence de glucose.
Des modèles expérimentaux en faveur du jeûn
L'observation clinique est à priori en défaveur du jeûn, dans la mesure où le jeûn spontané des patients dont la maladie est évoluée, n'améliore pas leur état clinique. « Plus les patients sont en cachexie, moins ils mangent et pourtant cela ne fait pas réverser l'évolution de la maladie cancéreuse » a expliqué Bruno Raynard.
Pour autant, plusieurs équipes de recherche travaillent sur l'intérêt du jeûn en cancérologie, en se fondant sur des observations de modèles expérimentaux.
Sous chimiothérapie, les cellules cancéreuses et les cellules saines d'une souris nourrie normalement sont détruites. En revanche, si la souris est soumise à une restriction de ses apports alimentaires 24 à 48 h avant la chimiothérapie, la chimiothérapie serait plus efficace sur les cellules cancéreuses et à l'origine d'une moindre toxicité sur les cellules saines.
« Actuellement on a quelques preuves expérimentales sur l'augmentation de l'efficacité [des chimiothérapies] mais pas sur la diminution de la toxicité » a nuancé le Dr Raynard qui a insisté sur le fait qu'il s'agissait de modèles animaux et que les résultats étaient très hétérogènes. « Une grande partie de ce qui est rapporté sur Internet ou à la télévision est fondée sur des études expérimentales avec des résultats positifs mais aussi négatifs – or, ces derniers ne sont pas mentionnés » a-t-il ajouté.
Déception chez l'homme
Avant 2020, les rares données étaient issues de 13 études, essentiellement des cas cliniques. D'après Bruno Raynard, aucune donnée ne permettait de promouvoir les régimes type cétogène ou jeûn au cours des traitements contre le cancer ni pour leur effet antitumoral ni pour leur effet protecteur sur les chimiothérapies. En revanche, plus inquiétant, les investigateurs rapportaient des pertes de poids et de masse musculaire.
Bruno Raynard a aussi indiqué que nombre d'études pourtant achevées n'étaient pas publiées, supputant que les résultats étaient négatifs et donc indignes de publication pour les défenseurs du jeûn.
Enfin, il a terminé sa présentation en détaillant « une étude dont on attendait les résultats depuis plusieurs années ». Publiée dans Nature Communications, cette étude a été menée sur 131 femmes atteintes d'un cancer du sein [2]. Les participantes étaient divisées en deux groupes : dans le premier, les femmes avaient une alimentation normale, dans le deuxième, les femmes étaient soumises à un régime consistant à diminuer progressivement l'apport calorique deux jours avant et deux jours après la chimiothérapie. « L'objectif était un recrutement de 250 femmes, mais il n'y a finalement eu que 131 participantes. En outre, seul un tiers ont réellement suivi le régime qui n'était pas vraiment un jeûne. La puissance statistique est très faible » a critiqué Bruno Raynard mettant en avant aussi des problèmes de conflit d'intérêt « non négligeables » des investigateurs.
Au final, pour les critères de jugement principaux qu'étaient la toxicité, l'efficacité et la qualité de vie, aucune différence n’a été observée entre les deux groupes.
Eviter les régimes alimentaires
Pour Bruno Raynard, « il faut éviter tout régime, toute alimentation particulière quand on est en traitement pour un cancer car cela diminue obligatoirement l'apport glucidique et protéique ».
Enfin, il a rappelé que les régimes alimentaires induisaient des peurs alimentaires et des dégoûts alimentaires, qu'il faut absolument éviter chez les patients atteints de cancer. Car « la dénutrition apparaît et s'aggrave au cours de ce processus ».
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Citer cet article: Jeûne et cancer : que disent les études ? - Medscape - 14 avr 2021.
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