Troubles de la personnalité bordeline : les thérapies basées sur la mentalisation

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

8 avril 2021

Virtuel – Dans le cadre d’une conférence intitulée « Psychothérapie du trouble de la personnalité borderline : le mythe de Sisyphe » lors du Congrès de l'Encéphale 2021, Mario Speranza, professeur de psychiatrie à l’Inserm et aux universités de Paris Saclay et de Versailles, a donné un aperçu des thérapies basées sur la mentalisation (TBM) pour les troubles de la personnalité bordeline (TPB).

Pourquoi cibler la mentalisation, cette capacité à comprendre les états mentaux qui sous-tendent les comportements des autres, dans le TPB et comment cibler ce processus dans ces thérapies focalisées ?

Tout d’abord parce les patients borderline souffrent souvent d’un déficit développemental de la mentalisation, a expliqué le Pr Mario Speranza qui a rappelé que ceux-ci ont en effet souffert de « traumas souvent complexes et multiples dans les relations précoces », ce qui a donné lieu à des hypothèses autour de l’importance des perturbations des relations d’attachement chez ces sujets (notamment des attachements désorganisés).

Qu’est-ce que le concept de mentalisation ?

La thérapie basée sur la mentalisation, développée en 2004 par Bateman et Fonagy, s’inspire de la théorie de l’attachement, la psychologie du développement et les connaissances en neurosciences cognitives. Cette forme de psychothérapie assez intégrative fait partie des traitements de référence au sein des recommandations dans la prise en charge du Trouble de Personnalité Borderline mais reste peu connue en France. Elle s’appuie sur la capacité de mentalisation, c’est-à-dire la capacité de comprendre les états mentaux (pensées, croyances, intentions, motivations, désirs, buts) qui sous-tendent les comportements des autres. Les promoteurs de cette thérapie associent la difficulté à gérer ses émotions, l’impulsivité et la difficulté à entretenir des relations – des troubles qui sont au cœur de la personnalité borderline - à une capacité limitée à percevoir les états-mentaux chez autrui et les siens. La thérapie basée sur la mentalisation permet aux patients de se ré entrainer à mentaliser, en prêtant attention à leurs propres états-mentaux et à ceux d’autrui. SL

Pour en savoir, les deux ouvrages de références sont :

Mentalisation et trouble de la personnalité limite d’Anthony Bateman et Peter Fonagy.

Mentaliser. De la théorie à la pratique clinique de Martin Debbané

Méfiance vis-à-vis de l’autre

Dans les situations de stress relationnel ou d’attachement, les personnes qui ont développé un attachement désorganisé font appel « à des modèles inter-opérants souvent contradictoires qui sont caractérisés par une réduction des fonctions mentales intégratives, mais aussi des capacités réflexives et métacognitives », a expliqué le Pr Mario Speranza. Par ailleurs, ces sujets ont une perte de la mentalisation (capacité à se penser et à penser l’autre, à utiliser l’imagination pour se mettre à la place de l’autre). Ils adoptent également « des modalités de pré-mentalisation (plus précoces, plus archaïques que le fonctionnement du sujet) qui ouvrent aux passages à l’acte et au dysfonctionnement émotionnel ».

Pour résumer, quand ils sont sollicités par des stimuli émotionnels à contenu relationnel (comme par exemple une thérapie), les patients borderline « réactivent ces patterns d’attachement pathologiques » caractérisés par un rétrécissement des fonctions cérébrales cités plus haut, selon le Pr Speranza – un fonctionnement lié à l’expérience du trauma qui détruit la confiance d’un individu et sa capacité à penser qu’il puisse apprendre de l’autre. La négligence, l’abus ou la maltraitance généreraient une méfiance épistémique (faire confiance à la source d’information), soit « l’incapacité d’utiliser l’autre pour changer la manière d’être du soi, ce qui fait que la thérapie est souvent inaccessible malgré toute la bonne volonté du thérapeute. »

Régénérer la confiance

Les TBM visent donc à régénérer la confiance épistémique dans le cadre de la thérapie, mais aussi la confiance dans le monde dans lequel le patient évolue en dehors du cabinet. Car l’expérience de se sentir pensé par un autre participe à nous rendre suffisamment « secure », pour, en retour, s’intéresser au « monde externe ». Il s’agira donc de créer les conditions relationnelles pour permettre au patient d’être transformé par l’expérience, ce qui lui donnera le désir de s’orienter vers le monde et d’en puiser les connaissances.

Les principes des TBM sont donc les suivants. Tout d’abord, augmenter la capacité à faire le lien entre les émotions et les comportements. Plus particulièrement « en situation d’activité émotionnelle, là où cela devient plus difficile d’exercer cette activité imaginative », a précisé le Pr Mario Speranza.

Il faudra aussi gérer les niveaux d’arousal (degré d'activation physiologique correspondant à une émotion). « Plus le niveau monte, plus la mentalisation est fragilisée », a expliqué le pédopsychiatre. Le travail sera donc fait pas à pas, autour du récit du patient, « avec un début qui passe par une validation empathique de l’expérience du patient, une fois que le thérapeute a pu faire partager et faire vivre au patient l’expérience de quelqu’un qui essaye de comprendre son monde. »

Des traitements focalisés et limités dans le temps

Quelle est la posture thérapeutique à adopter ? Celle du « non savoir », pour tenter de comprendre l’expérience de l’autre, en restant focalisé sur son monde mental et son expérience émotionnelle autour d’événements récents. Le thérapeute devra être curieux, focalisé, actif, humble… Une posture humble qui consiste « non seulement à participer à l’expérience du patient, mais aussi aux erreurs de compréhension qu’on peut faire sur l’expérience du patient », selon le Pr Mario Speranza qui a rappelé que, dans ces thérapies, « l’emphase est avant tout mise sur le processus, plus que sur le contenu, sur l’ici et maintenant, plus que sur les mouvements inconscients ou l’expérience du passé ».

Le pédopsychiatre a ensuite évoqué la structure du traitement. Comme toutes les thérapies sur les patients borderline, il s’agit une thérapie structurée qui démarre avec l’évaluation du fonctionnement du patient : capacité à mentaliser, fragilités et contextes avec laquelle cette mentalisation est fragilisé etc. Sont également importants : la formulation de fin pour définir ensemble les objectifs du travail, mais aussi l’intégration d’un plan de crise car ces patients qui font souvent des passages à l’acte. Par ailleurs, il faudra alterner les séances individuelles et les séances en groupe, « avec un travail de fonds de formulation de fin sur une période de 18 mois », a précisé le Pr Mario Speranza qui a rappelé que ces traitements focalisés étaient limités dans le temps. Mais aussi que les objectifs définis étaient « précis, réévalués et monitorés durant toute la thérapie ». La formulation visuelle, « sorte d’image de là où nous en sommes dans la compréhension que nous avons ensemble de la situation du patient » a également son importance dans le traitement.

Comme nous l’évoquions précédemment, le thérapeute devra aussi accorder une attention particulière au niveau d’arousal (niveau émotionnel) du patient « pour essayer d’intégrer au maximum les dimensions de la mentalisation auxquelles nous sommes confrontées avec les patients » : interne/externe, affectif/cognitif, self/autrui… Pourquoi ? « Parce que ces patients borderline ont une capacité très rapide pour passer d’un niveau réflexif préfrontal à une capacité automatisée (cortex postérieur et sous-cortical ; NDLR) qui est souvent à la base d’un automatisme de la mentalisation comme des passages à l’acte ».

S’adapter à tout moment au patient

Le clinicien va donc manœuvrer en sens contraire en jouant sur les différentes dimensions pour stimuler l’intégration de la mentalisation pour qu’elle soit mieux régulée. À titre d’exemple, « quand le patient est trop centré sur soi, il interrogera la perspective de l’autre. À l’inverse, quand il est trop centré sur les aspects perceptifs extérieurs, il attira son attention sur son vécu interne. Quand il est trop sur un versant cognitif, il introduira l’affect, et vice versa », a précisé le pédopsychiatre.

Autres éléments clefs du processus en TBM : « Plus le niveau émotionnel est élevé, plus l’action que le thérapeute pourra faire est celui du soutien, de l’empathie, avec une clarification de l’expérience du patient, mais seulement quand le niveau émotionnel sera plus faible », a souligné le Pr Mario Speranza. Ce n’est que dans un deuxième temps qu’il pourra travailler le focus affectif et des perspectives alternatives, voire travailler la relation thérapeutique qui fait partie des objectifs de tout travail basé sur la mentalisation.

Quelques repères sur le processus mentalisant

Le pédopsychiatre a ensuite donné quelques repères sur le processus mentalisant. Il est par exemple important de « travailler des narratives spécifiques pour travailler l’expérience du moment, réfléchir au lien entre les émotions et les comportements, comment le patient a vécu, a vu sa place et la place de l’autre dans une expérience émotionnelle qui a réactivé probablement des schémas émotionnels et cognitifs habituels pour le patient ». Ce focus émotionnel va permettre non seulement de parler de cette expérience, mais aussi de l’expérience de la thérapie elle-même, ce qui permettra de changer la perspective sur l’expérience vécue (narrative vécue).

Le thérapeute devra également « avoir une vigilance permanente par rapport à des ruptures de mentalisation qui se présentent de façon régulière, avec des moments durant lesquelles on va s’arrêter. On va regarder, revenir en arrière, regarder l’expérience émotionnelle essentielle avec le patient. » Le thérapeute aidera aussi le patient à les identifier ces ruptures pour pouvoir anticiper les situations durant lesquelles il sera en difficulté, ce qui peut être à l’origine de certains passages à l’acte.

Enfin, le thérapeute devra valider le vécu émotionnel : réguler l’arousal et faire vivre l’expérience d’être pensé par l’autre. C'est-à-dire montrer au patient que « l’on a pu se mettre à sa place, voir le monde de son point de vue », mais aussi « que le patient ait pu faire l’expérience de se faire penser par quelqu’un d’autre, pour pouvoir partager avec autrui des perspectives différentes sur l’expérience émotionnelle vécue ».

Et le Pr Mario Speranza de conclure que « mentaliser est une voie royale pour rétablir la confiance épistémique, ce qui permettra au patient de profiter de l’expérience relationnelle en thérapie et dans sa vie, pour changer sa manière d’être ».


 

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