Premières recommandations européennes sur la prise en charge de la pathologie hémorroïdaire

Vincent Richeux

Auteurs et déclarations

1er avril 2021

Virtuel — La Société européenne de coloproctologie (ESCP) a publié ses premières recommandations sur la prise en charge de la pathologie hémorroïdaire, dont les principales lignes ont été présentées lors d’une session virtuelle des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (eJFHOD 2021) [1,2].

Destiné à harmoniser les pratiques, le document de consensus propose 34 recommandations et un algorithme pour guider les praticiens dans la prise de décision. Il met notamment en avant « l’importance de faire participer le patient dans le choix de la technique instrumentale et opératoire », a souligné le Dr Thierry Higuero (Beausoleil, Monaco), lors de sa présentation.

Les pathologies hémorroïdaires sont des dilatations anormales du système vasculaire situé au niveau de l’anus et du rectum. Les mécanismes en jeu ne sont pas clairement définis. On distingue les hémorroïdes externes, qui touchent le plexus vasculaire externe, de celles qui surviennent au niveau du plexus interne, situé dans la partie haute du canal anal.

Traitement topique et règles hygiéno-diététiques

Parmi les symptômes, on retrouve typiquement des hémorragies minimes ou abondantes lors de l’émission de selle (rectorragies). La perception d’une boule à l’intérieur de l’anus, avec ou sans sensations pulsatives, oriente vers la recherche d’une thrombose hémorroïdaire, souvent très douloureuse lorsqu’elle est extériorisée. Le prolapsus hémorroïdaire ou procidence est aussi caractéristique de la maladie.

Quatre stades de procidence

Les patients consultent en général lorsque qu’ils constatent qu’une boule non douloureuse ressort par le canal anal, à l’effort pendant la selle ou en permanence. Cette extériorisation des hémorroïdes internes, la procidence hémorroïdaire, est classée en quatre stades (classification de Goligher):

  • Stade I: les hémorroïdes sortent du canal anal lors de l’effort de poussée sans s’extérioriser;

  • Stade II: les hémorroïdes s’extériorisent, mais réintégrent spontanément le canal anal après l’effort;

  • Stade III: les hémorroïdes s’extériorisent à l’effort, mais ne réintègrent le canal qu’après une pression des doigts;

  • Stade IV: le prolapsus hémorroïdaire est permanent.

Selon les experts, il convient de rechercher une pathologie hémorroïdaire en passant par un diagnostic différentiel comprenant un examen clinique avec une inspection, un examen physique et une anuscopie. La maladie hémorroïdaire doit notamment être distinguée de la fissure anale, déchirure au niveau de l'anus.

Le traitement médical est à privilégier en première intention. « Il a pour objectif de soulager les symptômes hémorroïdaires et de prévenir la récidive », précise le Dr Higuero. Il est tout d’abord conseillé d’agir sur l’hygiène de vie en encourageant la pratique d’une activité physique régulière et en recommandant un apport suffisant en eau et en fibres alimentaires.

Il est également conseillé de sensibiliser sur l’adoption d’une bonne position défécatoire (angle de 35° entre le tronc et les jambes) et sur la nécessité de ne pas forcer. « Les laxatifs peuvent être proposés pour soulager les symptômes et réduire les saignements », mêmes si les données de la littérature sont assez anciennes et de faible niveau de preuve, a précisé le proctologue.

« Le principal facteur de risque de la maladie hémorroïdaire est le trouble du transit (constipation ou plus rarement diarrhée) », a souligné le Dr Laurent Abramowitz (hôpital Bichat-Claude-Bernard, AP-HP, Paris), lors d’une autre présentation des eJFHOD2021 consacrée au traitement médical des hémorroïdes [3]. « Le message le plus important est de toujours réguler le transit, quelle que soit la pathologie hémorroïdaire », surtout pour prévenir la récidive après un traitement instrumental ou chirurgical.

Les médicaments phlébotoniques (diosmine, troxérutine…) prescrits en cure courte « peuvent contribuer à diminuer les symptômes, comme les rectorragies, le prurit ou les douleurs, et réduit le risque de récidive à court terme », a précisé le Dr Higuero. Les AINS et les antalgiques non opioïdes peuvent aussi être envisagés en cas de douleurs persistantes, même si leur effet n’a pas été évalué dans cette indication.

Concernant le recours aux traitements topiques locaux (suppositoire et pommade), « ils sont à utiliser de façon systématique » pour lubrifier ou aider à cicatriser, en privilégiant ceux qui contiennent un anesthésique local. En cas de thrombose hémorroïdaire externe œdémateuse, un topique avec anti-inflammatoire « permettra de soulager très rapidement le patient ».

Traitement instrumental: les élastiques en tête

En cas d’échec de l’approche médicale, le traitement instrumental vient en deuxième intention, mais uniquement pour traiter les hémorroïdes internes de grade III maximum. L’objectif est de créer une zone cicatricielle au sommet des plexus hémorroïdaires pour diminuer la vascularisation et améliorer la fixation de l’hémorroïde à la paroi du rectum.

Les trois principaux traitements instrumentaux validés dans la littérature sont la ligature élastique, la photocoagulation infrarouge et les injections sclérosantes. « Le choix du traitement instrumental est à décider avec le patient après l’avoir informé des avantages et inconvénients des différentes techniques. » Dans tous les cas, le délai de cicatrisation est de trois semaines.

La ligature élastique est la technique qui offre les meilleurs résultats à long terme selon les données de la littérature (plus de 80% d’amélioration au-delà d’un an), au prix toutefois de douleurs plus importantes. Elle est recommandée en deuxième intention pour la maladie hémorroïdaire avec prolapsus de grade I, II et III localisé (limité à un seul paquet hémorroïdaire).

Les élastiques sont posés à la base des paquets hémorroïdaires, à au moins 1 cm au-dessus de la ligne pectinée (muqueuse insensible), qui délimite le bord supérieur du canal anal. « Une douleur immédiate très intense peut être la conséquence d’une ligature posée trop près de la ligne pectinée », ce qui impose le retrait de l’élastique. « Le patient doit juste ressentir une tension supportable. »

La technique est associée à des effets indésirables mineurs très fréquents, représentés dans un tiers des cas par des douleurs, des rectorragies faiblement abondantes et des symptômes vagaux. Elle provoque plus rarement des complications, comme une thrombose hémorroïdaire, des hémorragies sévères ou de fortes douleurs.

La sclérose progressivement abandonnée

La photocoagulation à infrarouge est recommandée en priorité en cas de saignements et de la maladie hémorroïdaire de grade I. Elle consiste à créer des points de brûlures circulaires de 6 mm de diamètre à la base des zones hémorroïdaires. La technique, très bien tolérée, est associée à des effets indésirables mineurs (gènes transitoires, légères rectorragies, douleurs modérées).

Les injections sclérosantes utilisent du chlorhydrate double de quinine et d’urée (Kinurea-H), injecté dans les zones hémorroïdaires à une profondeur de 2 à 5 mm. Elles sont recommandées dans le traitement de la maladie hémorroïdaire de grade I. Les complications sont rares et se limitent essentiellement au risque infectieux.

La sclérose des hémorroïdes a toutefois tendance à être abandonnée, en raison d’une efficacité similaire, voire inférieure, à la photocoagulation, a précisé le Dr Higuero, lors d’un échange en fin de session. Le Kinurea-H a d’ailleurs été récemment retiré du marché français et il n’est pas prévu pour le moment de le remplacer, a indiqué le gastro-entérologue.

Traitement chirurgical: la ligature mieux tolérée

Le traitement chirurgical est indiqué en cas d’échec du traitement médical et instrumental. Il est aussi à envisager d’emblée dans le traitement de la maladie hémorroïdaire de grade III circulaire (plusieurs paquets hémorroïdaires) et IV. Il comprend la ligature artérielle associée à une mucopexie, l’hémorroïdopexie (anopexie) agrafée (technique de Longo), l’hémorroïdectomie pédiculaire, ainsi que le traitement par laser ou par radiofréquence.

Là encore, le choix de la technique se décide en concertation avec le patient, en tenant compte de ses attentes. Indiquée dans le traitement des grades II et III en cas d’échec du traitement instrumental, la ligature des artères hémorroïdales avec mucopexie est équivalente en termes d’efficacité à l’hémorroïdopexie agrafée et à l’hémorroïdectomie pédiculaire, mais elle est associée à moins de complications et de récidive.

La ligature des artères guidée par doppler (HAL-RAR) permet de réduire de manière sélective le flux sanguin irriguant les plexus hémorroïdaires, tandis que la mucopexie, consiste à fixer le prolapsus au-dessus du canal anal pour rétablir une anatomie normale. La morbidité de la technique est faible (essentiellement des saignements et des douleurs).

L’hémorroïdopexie agrafée est indiquée pour les grades II et III. Elle consiste à découper une collerette de muqueuse circulaire au-dessus des hémorroïdes internes, afin de les repositionner à l’intérieur le canal anal, avec revascularisation partielle du plexus hémorroïdaire interne. L’opération peut être associée à des complication sévères (cellulite pelvienne, perforation rectale…)

Plus invasive, l’hémorroidectomie pédiculaire est également indiquée pour les grades II et III et d’emblée en cas de grade IV. Il s’agit d’une résection hémorroïdaire sur trois axes anatomiques artériels en préservant des ponts cutanéo-muqueux. Les complications précoces sont fréquentes, mais souvent mineures (douleurs, saignements, rétention urinaire et thrombose hémorroïdaire).

« En comparaison avec l’hémorroïdectomie, l’hémorroïdopexie agrafée est associée à des complications immédiates moins douloureuses et permet une reprise d’activité plus rapide, mais au prix d’un risque accru de récidive et d’un prolapsus plus fréquent surtout en cas de grade IV. »

Les techniques par laser et radio fréquence, « à peine mentionnées dans ces recommandations », peuvent être proposées. Les deux approches permettent de provoquer une coagulation en zone sous-muqueuse du tissu hémorroïdaire. « Elles ont pour but de diminuer le flux artériel hémorroïdaire. » La fibrose créée permet de rétracter le paquet hémorroïdaire à l’intérieur du canal anal.

Quelques situations particulières

Les recommandations évoquent également quelques situations particulières impliquant d’adapter la prise en charge. En cas de grossesse, par exemple, « la manifestation hémorroïdaire la plus fréquente est la thrombose hémorroïdaire externe, « souvent très œdémateuse ».

Les anti-inflammatoires sont à éviter pendant le troisième trimestre de grossesse, tandis que de rares essais montrent un intérêt des phlébotoniques chez la femme enceinte. L’utilisation d’antalgiques est possible (tramadol, codéine…), mais sur une courte durée. La chirurgie peut également être envisagée en dernier recours.

Chez les patients atteints d’une maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), « la maladie hémorroïdaire est rare, mais possiblement sous-estimée », selon le Dr Higuero. Le traitement instrumental et/ou chirurgical peut être envisagé en deuxième intention, « uniquement en l’absence de signe d’activité de la maladie inflammatoire », en raison d’un risque élevé de complications.

Enfin, en cas de trouble de la coagulation, « une interruption du traitement anticoagulant et antithrombotique doit être réalisée selon les recommandations des sociétés savantes du pays », avant tout traitement instrumental ou chirurgical.

 

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