Etudes de médecine : des violences sexistes et sexuelles exercées majoritairement par des supérieurs 

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

31 mars 2021

France – L'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf) a dévoilé le 18 mars dernier les résultats de son enquête sur les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) dans les études médicales. On y découvre que 30% des répondants ont été victimes de harcèlement sexuel au cours de leur formation hospitalière et que 5 % des étudiants ont subi des agressions sexuelles durant leur stage. Des chiffres choquants qui montrent que l’omerta et l’impunité sévissent encore et toujours à l’hôpital. C’est la raison pour laquelle l’Anemf ou l’ISNI ont fait des propositions pour que de tels agissements cessent au plus vite et, le cas échéant, soient sanctionnés avec la grande sévérité.

Des centaines de témoignages accablants

« Nous aurions préféré ne jamais avoir à publier cette enquête. Nous aurions préféré ne jamais recevoir ces centaines de témoignages accablants. Nous aurions préféré ne jamais ressentir cette colère, cette rage, et surtout cette honte à l’égard du milieu dans lequel nous, étudiants en médecine, évoluons au cours de nos études. » Présidente de l'Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf), Morgane Gode-Henric a dévoilé le 18 mars dernier les résultats de son enquête sur les Violences Sexistes et Sexuelles (VSS) dans les études médicales. Longtemps retardée en raison de la crise sanitaire, celle-ci est nourrie des témoignages de 4 500 étudiants interrogés du 8 mars au 30 avril 2020.

Elle confirme les résultats de la récente enquête de l'Observatoire Étudiant des Violences Sexuelles et Sexistes dans l’Enseignement supérieur qui a montré que les étudiants sont une population particulièrement exposée aux VSS, en révélant par exemple qu’1 étudiante sur 10 a déjà été victime d'agression sexuelle. Mais, cette fois-ci, l’enquête de l’Anemf se focalise uniquement sur les VSS dans les études médicales, que cela soit en milieu hospitalier ou à la faculté de médecine.

Les chiffres font froid dans le dos. À l’hôpital, 39% des étudiants de 1er et 2e cycle ont déjà reçu des remarques sexistes (12,1% des hommes et 49,7% des femmes), la proportion étant identique en milieu universitaire. Par ailleurs, 30% des répondants ont été victimes de harcèlement sexuel 1 (38,4% des femmes et 9,7% des hommes) au cours de leur formation hospitalière (contre 32% en milieu universitaire). Si bien que certaines étudiantes préfèrent « choisir une spécialité où il y a une forte présence de femmes pour ne pas avoir à subir ça tous les jours de ma vie », selon un témoignage.

 
30% des répondants ont été victimes de harcèlement sexuel...au cours de leur formation hospitalière.
 

1 : Il y a harcèlement sexuel dès lors que les actes ont un caractère répétitif, c’est à dire qu’ils ont été réalisés plus de deux fois

Harceleurs : essentiellement des supérieurs hiérarchiques

Qui sont ces harceleurs ? Les médecins du service, les internes, le personnel paramédical et les chefs de service. En effet, 90 % des actes de harcèlements subis ont été perpétrés par un supérieur hiérarchique (PU-PH, PH, CCA, interne, chef de service).

Autre chiffre marquant : 5 % des étudiants ont subi des agressions sexuelles 2 durant leur stage (contre de 15% à la faculté). À l’image du témoignage de cette étudiante: « Un infirmier a soulevé mon haut pour regarder mon tatouage alors que j’avais catégoriquement refusé de le montrer ». Ou de ce chef qui a « dégrafé le soutien-gorge d’une amie au bloc opératoire au travers de sa tenue de bloc ».

Malheureusement, seulement 15 % des étudiants ont rapporté des cas de harcèlement sexuel (contre 22 % pour les agressions sexuelles). Pourquoi les victimes de harcèlement ne le signalent-elles pas ? Un quart des répondants n’avaient pas envie de signaler, ne savaient pas à qui s’adresser ou avaient peur des retombées négatives éventuelles sur leur avenir universitaire, la validation de leur stage ou leur future carrière professionnelle. Selon Morgane Gode-Henric, cela montre bien qu’il y a « une véritable omerta au sein de l’hôpital », d’autant plus que les agressions sexuelles n’ont quasiment jamais été signalées à la police. « Par méconnaissance de leurs droits, par peur des représailles, les victimes ne dénoncent pas », a expliqué la présidente de l’Anemf qui a également expliqué ce phénomène par une crise de confiance envers les institutions jugées peu efficaces pour faire cesser les VSS.

 
Seulement 15 % des étudiants ont rapporté des cas de harcèlement sexuel.
 

2 : les agressions sexuelles sont à distinguer de la notion de harcèlement sexuel. Les questions ont DONC été posées aux étudiants de manière à regrouper toutes formes d’agressions sexuelles dont notamment des attouchements hors pénétration, des mains aux fesses ou autres gestes sexuels.

Situations de viols

Enfin, 18 étudiants disent avoir eu connaissance de situations de viols sur leurs collègues en milieu hospitalier. Au sein du milieu universitaire, 119 étudiants rapportent avoir été violés, soit 2,7% des répondants de l'enquête ou 3,5% des femmes).

Pour la présidente de l’Anemf, « l’omerta doit se briser », la tolérance zéro être « plus que prônée ». Car les futurs médecins ne doivent pas être « désenchantés dès leur entrée dans le monde hospitalier ». C’est la raison pour laquelle l’Anemf a fait 20 propositions.

Même son de cloche du côté du Pr Bach-Nga Pham, vice-présidente de la Conférence des doyens de médecine qui a demandé « que toute agression d’un étudiant, qu’elle soit verbale, physique ou sexuelle, soit immédiatement dénoncée, et cela, quelle que soit la position hiérarchique de l’agresseur. » Pour que l’omerta cesse, le Pr Pham rappelle qu’il faut avoir « le courage de s’interposer pour protéger la personne agressée », mais aussi de « dénoncer l’agresseur» lorsque l’on est témoin d’une agression. Et d’ajouter: « en tant que femme, j’appelle toutes les femmes à se respecter et donc à se faire respecter en s’opposant avec force à toute agression ».

Mettre en œuvre des actions de poursuite

Quant au président de l’APEASEM (Association pour l'évaluation autonome des stages et des études de Médecine), le Dr Ramy Azzouz, il pense qu’il faut désormais dépasser le stade de la libération de la parole car l’enquête de l’Anemf montre que « la prise en charge de ces violences durant la formation n’a peut-être pas assez avancé ». Pour le médecin, le meilleur moyen de faire reculer ces violences, « c’est de garantir le sérieux de la prise en charge et d’en faire des preuves par l’exemple ». Le rôle des institutions (universités, hôpitaux...) est donc central : « On peut signaler autant qu’on veut, on peut faire autant de démarches de sensibilisation et de formation que l’on veut, s’il n’y a pas d’action portée par une institution en cas de VSS, ces signalements ne débouchent sur rien », selon Ramy Azzouz. Et de s’interroger sur les mesures conservatoires et les actions de poursuite (disciplinaire, ordinale, universitaire, pénale…) qui doivent être mises en œuvre.

Ex-juriste, Gaëtan Casanova, le président de l’Isni a également réfléchi de près à ces problématiques. Il est notamment revenu sur le fait que 90 % des actes de harcèlement sont perpétrés à l’hôpital par un supérieur hiérarchique. En effet, les médecins du service (PU-PH, PH, CCA) représentent 74,8% de ces actes, contre 41,3% d’internes et 34,2% de chefs de service. Or, les actes de ces derniers sont « sous-représentés », car, contrairement aux deux autres grandes catégories de harceleurs (médecins et internes), « il n’y a pas beaucoup de chefs de services ». Or, ces mêmes chefs de service peuvent être « à la fois clinicien, manageur, enseignant et chercheur. Donc il y a un contraste terrible, infernal entre cette hyper-concentration des pouvoirs et une hyper-dilution de la sanction ». Si bien que, même quand les procédures de sanction se mettent en marche, « elles sont la plupart du temps très longues à aboutir ». Et, pendant que ce temps-là, « des délinquants avérés continuent à sévir dans des services à la vue de tout le monde, sans que rien ne soit fait », a déploré Gaetan Casanova.

 
Il y a un contraste terrible, infernal entre cette hyper-concentration des pouvoirs et une hyper-dilution de la sanction.
 

Pour mettre fin à cette « impunité » et à cette « autorité absolue », le président de l’ISNI demande à aller au-delà des sanctions universitaires, ordinales, médicales ou hospitalières (prises par l’ARS et les directions de l’hôpital) pour aller vers des sanctions pénales. « Il faut en finir avec cette culture de l’entre-soi médical qui veut que tout soit réglé par la CME qui est constituée uniquement de médecins », selon Gaëtan Casanova qui ajoute que les sanctions ordinales se déroulent également « entre médecins ». Or, « quand il s’agit de qualifications pénales, ces gens sont des délinquants. Et un délinquant, il ne va ni à la fac, ni à l’hôpital, ni à la CME, il va au tribunal pénal et éventuellement en prison ». C’est la raison pour laquelle il a réclamé la mise en place d’une « commission qui puisse être capable de prendre des sanctions elle seule, pour proposer des réponses rapides quand il s’agit de personnes qui cumulent des fonctions universitaires et hospitalières ».

 

 

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