Paris, France — Plus de dix ans après le retrait du marché du Mediator, le tribunal de Paris a rendu lundi 29 mars son jugement à l’encontre des laboratoires Servier et de l’Agence de sécurité du médicament (ANSM). Les laboratoires Servier sont reconnus coupables de « tromperie aggravée » et condamnés à 2,7 millions d’euros d’amende. Les laboratoires ont en revanche été relaxés des faits d’« escroquerie ». L’ANSM devra payer une amende.
Pour rappel, le Mediator a été mis sur le marché en 1976 comme adjuvant au traitement du diabète, mais a été détourné de son indication première pour être prescrit comme coupe-faim. Il a été consommé par plus de 5 millions de personnes. Il n'a été retiré du marché qu'en 2009, du fait de sa toxicité.
Servier coupable de tromperie aggravée
« Malgré la connaissance qu’ils avaient des risques encourus depuis de très nombreuses années, (...) [Les laboratoires Servier] n’ont jamais pris les mesures qui s’imposaient et ont ainsi trompé » les consommateurs du Mediator, a déclaré la présidente du tribunal correctionnel, Sylvie Daunis. Les laboratoires ont « fragilisé la confiance dans le système de santé », a-t-elle ajouté.
« Je suis très contente que la « tromperie aggravée » , centre névralgique de l’affaire, soit reconnue et condamnée. Le problème majeur, la mise sur le marché pendant des années d’un poison estampillé est un point acquis. Mais, la faiblesse des peines laisse une impression en demi-teinte. Le jugement est trop frileux dans ses peines. Dans l’affaire du sang contaminé, il y avait eu des peines de prison ferme », a commenté le Dr Irène Frachon, pneumologue au CHU de Brest et lanceuse d'alerte sur le scandale du Mediator, pour Medscape édition française.
Le 23 juin 2020, la procureure Aude Le Guilcher, au terme de son réquisitoire, avait requis des amendes, notamment pour « tromperie, homicides, et blessures involontaires, escroquerie » de 10,3 millions d'euros contre les six sociétés du groupe Servier poursuivies. Contre l’ancien numéro deux du groupe Servier, Jean-Philippe Seta, Aude Le Guilcher avait requis cinq ans de prison dont deux ans avec sursis, et 200 000 euros d'amende. La même somme avait été requise contre l'ANSM, pour homicides et blessures involontaires.
Des peines de prison avec sursis et des amendes
Finalement, Jean-Philippe Seta, ancien bras droit de Jacques Servier, décédé en 2014, a lui été condamné à quatre ans d’emprisonnement avec sursis. De son côté, l’Agence de sécurité du médicament est condamnée à 303 000 euros d’amende.
Il est maintenant clairement établi que les laboratoires Servier ont sciemment dissimulé la proximité du Médiator avec la famille des fenfluramines, qui ont été interdites en 1990 en raison de leurs effets indésirables (valvulopathies et HTAP). Aussi, les laboratoires Servier ont trompé les médecins qui le prescrivaient et les patients qui le consommaient en leur cachant la toxicité du médicament.
Relaxe sur l’escroquerie
Sur le volet escroquerie, la procureure avait estimé le préjudice pour les caisses primaires d'assurance maladie à plusieurs centaines de millions d'euros. Car le Médiator n'aurait jamais dû être remboursé, parce « qu’il n'aurait jamais dû bénéficier d'une AMM, et il ne l'a été que par les faits des manœuvres frauduleuses de la firme ». Sur ce point, elle n’a pas été entendue.
« L’escroquerie n’a pas été retenue, à quelques mois près, en raison des délais de prescriptions. Et il en va de même des conflits d’intérêts où la prescription a conduit à la relaxe. On comprend les difficultés juridiques mais c’est dommage pour le signal envoyé », précise Irène Frachon.
« J’espère que le monde médical va retenir la leçon et ne va pas continuer le business as usual avec des gens qui sont des délinquants. Je pense que ce sera essentiel pour rétablir la confiance avec le public », conclut la pneumologue.
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Citer cet article: Scandale du Mediator : les laboratoires Servier et l’ANSM reconnus coupables - Medscape - 29 mars 2021.
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