Virtuel — Au cours d’une présentation en ligne des Journées francophones d'hépato-gastroentérologie et d'oncologie digestive (eJFHOD 2021), le Dr Michel Robaszkiewicz (CHRU Brest), responsable de la Commission « endoscopie et cancer » de la Société française d’endoscopie digestive (SFED), a proposé d’orienter le dépistage du cancer colorectal vers une approche plus personnalisée, en optant soit pour un test immunochimique fécal (FIT) annuel ou tous les deux ans, soit pour une coloscopie tous les dix ans, selon le niveau de risque individuel cumulé sur 15 ans [1].
Pour évaluer ce risque, le gastro-entérologue recommande de recourir au score de risque LiFeCRC Score, jugé « robuste et plus performant », plutôt qu’au score de Kaminski préconisé par la SFED depuis 2014. En plus d’inclure les facteurs de risque génétique, ce nouveau score tient compte des facteurs liés au mode de vie, comme le tabagisme, l’activité physique ou encore la consommation de légumes, de produits laitiers et de viande transformée.
« Il est nécessaire de faire évoluer les paradigmes en matière de dépistage et de prévention du cancer colorectal en France, en privilégiant une approche personnalisée par rapport à l’approche populationnelle du dépistage organisé », a souligné le Dr Robaszkiewicz. « Il nous faut réfléchir à une approche fondée sur le risque cumulé de cancer colorectal d’un individu à long terme. »
Proposer une consultation de prévention
Selon lui, une première consultation de prévention conduite « dans des centres de prévention et par les médecins généralistes » devrait être proposée à tous, « entre 45 à 50 ans », afin de déterminer quelle stratégie de dépistage appliquer selon le niveau de risque cumulé. Elle aurait également pour objectif « de sensibiliser la population aux facteurs de risque de cancer colorectal ».
Dans les nouvelles recommandations de la SFED concernant le dépistage du cancer colorectal, qui seront prochainement publiées, « on a introduit l’idée d’une consultation de prévention » pour certaines populations à risque, a précisé le secrétaire général de la société savante, le Dr Olivier Gronier (Clinique Sainte-Barbe, Strasbourg), lors d’un échange organisé à la fin de la session entre les intervenants.
Actuellement, en France, le programme de dépistage organisé du cancer colorectal s’adresse aux hommes et aux femmes, entre 50 et 74 ans, indépendamment du risque individuel. Le dépistage consiste à réaliser un test FIT à domicile tous les deux ans, puis une coloscopie en cas de résultat positif.
Un dépistage individualisé est préconisé en cas de risque élevé de cancer colorectal (antécédents familiaux de cancer colorectal, antécédents de maladie inflammatoire chronique de l’intestin) et de risque très élevé (prédisposition héréditaire, dont polypose adénomateuse familiale). La prévention passe alors par un dépistage individuel par coloscopie en première intention.
Un dépistage organisé contesté
Le dépistage organisé indépendamment du risque individuel est désormais contesté, en raison notamment du faible taux de participation de la population cible, qui a atteint à 30,5% en 2018-2019, selon les données de Santé publique France, soit une valeur encore très inférieure aux 45% minimum visés avec l’arrivée du test immunologique et loin de l’objectif préconisé des 65%.
Par ailleurs, les facteurs de risque de cancer colorectal sont désormais bien connus. Parmi eux, on retrouve essentiellement les habitudes alimentaires (régime riche en viande, en graisse et pauvre en fibre), la consommation d’alcool, le tabagisme, l’obésité, le diabète et la sédentarité, qui sont responsables de près de la moitié des cas de cancer colorectaux, a rappelé le Dr Robaszkiewicz.
Pour améliorer la prévention, certains appellent à avancer l’âge du dépistage organisé à 45 ans. C’est ce qu'a récemment préconisé l’American Cancer Society (ACS), qui s’inquiète d’une hausse de la mortalité par cancer colorectal chez les moins de 50 ans. D’autres estiment qu’il est préférable de personnaliser le dépistage, en tenant compte des facteurs de risque individuels.
La stratégie personnalisée basée sur trois niveaux de risque proposée par le Dr Robaszkiewicz s’appuie sur les résultats de deux études reposant sur une microsimulation. L’une est une évaluation médico-économique de l’approche globale populationnelle publiée par l‘Institut national du cancer (Inca), l’autre est une analyse menée en Norvège pour déterminer l’intérêt à long terme d’un dépistage personnalisé.
« Hétérogénéité du risque »
Dans l’analyse de l’Inca, les ratios coût-efficacité des différentes stratégies de dépistage (test ADN fécal, test FIT, test sanguin, coloscopie, à partir de 45 ans, de 50 ans…) ont été comparées en fonction du niveau de risque individuel, calculé selon le score de risque de Kaminski, score de référence de la SFED [2].
Premier enseignement de l’étude: « Les résultats confirment l’hétérogénéité du risque de cancer colorectal, même chez les individus à risque moyen », souligne le Dr Robaszkiewicz.
Il apparait ensuite que « la coloscopie tous les 10 à 15 ans est la stratégie de dépistage la plus efficace », qu’importe le niveau de risque, mais son ratio coût-efficacité reste élevé. Pour des niveaux de risque très faible (score de Kaminski de 0 à 2), aucune stratégie ne présente un bon ratio coût-efficace.
Pour un risque faible (score de Kaminski = 3), la stratégie actuelle avec le test FIT (seuil de détection de 30µg Hb/g de selles) réalisé tous les 2 ans est celle qui obtient les meilleurs résultats, tout comme l’examen par sigmoïdoscopie effectué tous les 5 ans, à partir de 45 ans.
En cas de risque élevé et très élevé (Kaminski de 4 à 8), les meilleurs résultats apparaissent avec un test FIT tous les 2 ans à un seuil de détection de 10µg Hb/g de selles ou une sigmoïdoscopie tous les 5 ans. Ces stratégies apparaissent alors plus efficaces que la stratégie actuelle, a précisé le Dr Robaszkiewicz.
« Une stratégie fondée sur le FIT avec une variation du seuil en fonction du niveau de risque pourrait constituer une stratégie efficace et efficiente à proposer à l’ensemble de la population, tout comme une stratégie fondée sur la sigmoïdoscopie », a résumé le gastro-entérologue.
Dépistage à partir d’un risque à 3%
Dans la micro-simulation norvégienne, quatre stratégies de dépistage (FIT tous les deux ans ou tous les ans, recto-sigmoïdoscopie ou coloscopie) ont été comparées à une absence de dépistage dans le cadre d’une approche personnalisée basée sur le risque individuel cumulé [3]. La modélisation a été réalisée sur une population âgée de 50 à 79 ans présentant un risque de cancer colorectal variable.
Selon les chercheurs, le rapport bénéfice/risque de ces stratégies est en faveur du dépistage à partir d’un risque cumulatif de 3 % sur 15 ans. Au-delà, « le rapport bénéfice/risque des stratégies de dépistage croit avec l’augmentation du risque individuel de cancer colorectal, notamment pour la coloscopie et la sigmoidoscopie », précise le Dr Robaszkiewicz.
Ces résultats ont conduit des experts internationaux à émettre, fin 2019, des recommandation pour la première fois en faveur d'un dépistage du cancer colorectal basé sur le risque individuel cumulatif[4]. Pour cela, ils préconisent de calculer le risque sur 15 ans en utilisant le score QCancer, disponible en ligne, qui tient compte notamment de l’IMC, du tabagisme ou de la consommation d’alcool.
En se basant sur ces deux études, le Dr Robaszkiewicz propose la stratégie suivante:
Risque faible: FIT tous les deux ans avec seuil de détection actuel (30µgHb/g de selles)
Risque majoré: FIT tous les deux ans avec seuil de détection abaissé (10 µgHb/g) ou FIT tous les ans avec seuil de détection actuel (30µgHb/g de selles)
Risque élevé: coloscopie tous les dix ans
En cas de prédisposition génétique ou de maladie prédisposante, la surveillance repose sur la coloscopie « selon des modalités qui pourraient être révisées du nombre et de l’âge des apparentés atteints de cancer colorectal ».
Prise de décision partagée
« Le choix pour chaque patient exige une prise de décision partagée entre le patient et son médecin traitant, en tenant compte de son espérance de vie, du bénéfice escompté du dépistage en fonction du score de risque et de l’impact du dépistage sur la qualité de vie », estime le gastro-entérologue.
« Cette approche doit reposer sur une consultation de prévention entre 45 et 50 ans permettant de rechercher une prédisposition génétique par l’étude des antécédents familiaux ou de rechercher une maladie prédisposante et d’établir un score de risque tenant en compte des facteurs connus pour être associés au cancer colorectal. »
Plusieurs scores ont été évalués dans la littérature. Mais, selon le spécialiste le score le plus pertinent est le LiFeCRC score, qui a fait récemment l’objet d’une publication [5]. Celui-ci a été établi à partir de la cohorte européenne EPIC (European Prospective Investigation into Cancer and Nutrition) et serait plus adapté à la population française.
Les auteurs ont développé un algorithme de prédiction du risque de cancer colorectal en se basant sur les données de 250 000 participants asymptomatiques de la cohorte, suivis pendant 15 ans en moyenne. Le LiFeCRC score prend en compte l’âge, le tabagisme, la consommation d’alcool, mais aussi l’activité physique, la consommation de légumes, de produits laitiers et de viande transformée.
Rendre accessibles les scores de risque
Après le score de Kaminski recommandé par la SFED en 2014, « ce nouveau score me semble particulièrement performant et je pense qu’il faudrait le valider », a commenté le Dr Robaszkiewicz, lors de l’échange avec les membres de la SFED, venu clore cette session consacrée à la prévention et au dépistage des cancers digestifs.
Pour rendre les scores de risque de cancer colorectal accessibles et faciliter leur utilisation, « ils pourraient être mis en ligne sur le site de la SFED », a proposé le Dr Ariane Vienne (Hôpital privé d’Antony), secrétaire-adjoint de la société. L’outil de calcul du LiFeCRC score n’est pas encore, pour le moment, disponible.
Le Dr Robaszkiewicz na pas déclaré de liens d’intérêt.
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Citer cet article: Cancer colorectal: un appel à personnaliser davantage la stratégie de dépistage - Medscape - 30 mars 2021.
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