Les perturbateurs endocriniens sont-ils les nouveaux diabétogènes ?

Aude Lecrubier

Auteurs et déclarations

25 mars 2021

France — Lors du congrès de la Société Francophone du Diabète (SFD), un symposium a été consacré au rôle joué par les perturbateurs endocriniens (PE) dans l’épidémie de diabète [1].

En introduction de sa présentation, le Pr Nicolas Chevalier (endocrinologue, CHU de Nice), a rappelé qu’initialement, l’étude des PE s’est plutôt concentrée sur leurs effets carcinogènes et néfastes sur l’appareil reproducteur avec de nombreux arguments à la fois in vitro et in vivo (chez l’animal et dans l’espèce humaine). L’impact métabolique des PE n’a, quant à lui, que peu été évalué. Pourtant, selon l’orateur, les PE pourraient expliquer une partie de la forte augmentation de la prévalence du diabète dans le monde au cours des dernières décennies.

« Les prédictions de l’OMS de l’an 2000 ont été largement dépassées puisqu’elle avait prédit qu’en 2035 on aurait 300 millions de diabétiques de type 2 dans le monde. On en est actuellement à 580 millions avec des prédictions qui sont plutôt de l’ordre de 700 à 800 millions dans les 10 à 15 ans à venir. Cette augmentation de prévalence ne peut pas être expliquée uniquement par la diététique ou encore moins la génétique. Une des pistes est celle des perturbateurs endocriniens », a expliqué le Pr Chevalier en conférence de presse.

Les perturbateurs endocriniens regroupent les substances chimiques d’origine naturelle ou artificielle, étrangères à l’organisme, capable d’interférer avec le fonctionnement du système endocrinien et d’induire des effets délétères sur l’individu et/ou sa descendance (pathologies chroniques du développement, reproduction, cancers hormonodépendants, maladies métaboliques). Plus de 90 000 composés chimiques sont couramment utilisés, principalement issus de la production industrielle (solvants, plastiques (bisphénol A [BPA]), plastifiants, pesticides, fungicides, agents pharmacologiques…). À ces produits synthétiques s’ajoutent les substances naturelles retrouvées dans l’alimentation (phyto-œstrogènes, isoflavonoïdes, lignanes contenus dans le soja, la luzerne, le lin…)[1].

Des arguments épidémiologiques et scientifiques

Parmi les facteurs non classiques d’insulino-résistance pouvant intervenir, les PE apparaissent comme de bons candidats[2]. Plusieurs observations chez les rongeurs ou suite à une exposition accidentelle à un ou plusieurs polluants ont montré un lien entre l’exposition aux PE et la survenue d’un DT2.

« Chez, les vétérans de la guerre du Vietnam qui ont manipulé de la dioxine à mains nues, il a été observé un surrisque de diabète de type 2 directement lié à cette exposition chronique à la dioxine avec une spécificité : ce risque était porté principalement par les sujets de sexe féminin », a indiqué le Pr Chevalier.

Il a aussi été estimé qu’une exposition chronique à certains composés chimiques à faibles doses (comme celles auxquelles nous sommes exposés quotidiennement) était responsable d’une augmentation d’incidence de l’obésité de 40 000 cas par an et du diabète de 30 000 cas par an (chez l’adultes après exposition au DDE, dérivé du DDT qui n’est plus utilisé depuis 40 ans mais qui persistera encore dans le sol pour encore une centaine d’années) [3,4].

Concernant le bisphénol A (BPA), les premiers liens confirmant son rôle dans la survenue du diabète ont été apportés par l’étude épidémiologique américaine NHANES (National Health and Nutrition Examination Survey).

Depuis 20 ans, ce programme de surveillance a ajouté le dosage des PE pour évaluer le risque éventuel de ces contaminants sur l’état de santé de la population. Il montre qu’il y a un surrisque de développé un diabète de type 2 en cas d’exposition chronique au bsiphénol A[5,6,7].

D’après l’une des analyses du NHANES, le quartile de patients qui est le plus exposé au BPA (>4,20 ng/ml) a un risque beaucoup plus élevé de développer un diabète de type 2 (RR=1,56 ; IC95% : 1,09-2,24] avec une particularité qui est que ce risque est principalement porté chez des sujets de poids normal alors que chez les patients qui ont déjà un facteur de risque majeur de diabète comme l’obésité ou le surpoids, le surrisque est modéré.

« Nous sommes probablement sur un facteur de risque additionnel de développer un diabète de type 2 », indique le Pr Chevalier.

Aussi, on voit que l’effet du BPA n’est pas le même en fonction de l’imprégnation hormonale des patients. L’étude Nurse Health Study (NHS) qui a suivi des infirmières anglaises pendant plusieurs années montre qu’il y a une relation linéaire significative entre l’exposition au BPA et le risque de DT2 avant la ménopause alors qu’après la ménopause, il n’y a plus de relation[8]. Cet effet diabétogène observé préférentiellement chez les femmes pourrait être en lien avec la régulation œstrogénique du métabolisme glucidique[9], et est à rapprocher des effets indésirables possibles des œstrogènes utilisés à doses pharmacologiques. « On a probablement un effet additif entre les oestrogènes endogènes et ces xeno-oestrogènes », souligne l’orateur.

PE et diabète : par quels mécanismes ?

Plusieurs études chez le rongeur ont montré que les xeno-oestrogènes étaient capables de se lier à des récepteurs présents au niveau du pancréas endocrine, de modifier la sécrétion insulinique chez l’animal et d’induire un modèle physiopathologique de diabète de type 2. À noter que les effets de l’exposition chronique au bisphénol A chez les animaux sont essentiellement observés à faible dose, et non à fortes doses.

Aussi, concernant les PE persistants (qui ne sont pas forcément xéno-oestrogéniques), ces-derniers sont accumulés dans le tissu adipeux qui, très probablement, les relargue progressivement, à bas bruit, ce qui va modifier l’inflammation. Cette inflammation va participer à la destruction progressive du pancréas mais aussi induire une modification des organes cibles au niveau hépatique ou musculaire et majorer l’insulino-résistance.

Les PE mais aussi la pollution atmosphérique

Pour conclure, le Pr Chevalier insiste sur le fait que les perturbateurs endocriniens environnementaux (Polluants Organiques Persistants, BPA, métaux lourds), sont très probablement des acteurs dits diabétogènes et que cette association concerne aussi bien le DT2 que le DT1. Il ajoute toutefois qu’il faut désormais prendre en compte dans l’équation d’autres polluants comme la pollution atmosphérique, « on ne peut pas juste se limiter aux produits chimiques comme on l’a fait jusqu’à présent ».

En effet, parmi les autres pistes étudiées pour expliquer l’augmentation de la prévalence du diabète figure la pollution atmosphérique. « Nous avons des données qui montrent que la sur-incidence de diabète de type 1 rapportée dans certaines régions pourrait être liée à la présence de particules fines, de certains composés azotés et soufrés. En Angleterre, comme en France autour de l’étang de Berre, nous avons une sur-incidence de diabète infantile qui est probablement liée à une pollution atmosphérique locale », souligne l’endocrinologue.

Pour la suite, Pr Chevalier note qu’il reste à déterminer quelle est la part des diabètes attribuable aux PE « au regard de l’obésité, des facteurs génétiques et de la sédentarité pour protéger la population et les générations futures car on sait que l’on a un rôle délétère de l’imprégnation par les PE pendant la grossesse ».

 

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