COVID longs : faut-il les reconnaitre comme des ALD?

Jean-Bernard Gervais

Auteurs et déclarations

24 mars 2021

Paris, France — Le 17 février dernier, l'Assemblée nationale a adopté une loi, « visant à reconnaitre et prendre en charge les complications à long terme de la COVID-19 ».

Cette loi ne comporte qu'un article qui invite le gouvernement à

  • renforcer la recherche et la connaissance des différents types de complications au long cours de l'infection au SARS-Cov2 ;

  • proposer un parcours de soins adapté ;

  • faciliter la reconnaissance en tant que maladie professionnelle. 

Si aucun alinéa de cette loi n'est contraignant, c'est un pas en avant pour des associations comme AprèsJ20 qui se battent notamment pour que les Covid longs soient considérés comme des affections de longue durée (ALD).

Le Dr Jérôme Larché, interniste, membre du conseil scientifique de l'association aprèsJ20, nous explique en quoi les Covid longs représentent un enjeu à la fois sociétal et médical de premier plan.

Medscape édition française : Pourquoi avoir rejoint l’association COVID long France, AprèsJ20?

Dr Jérôme Larché : C'est un processus qui s'est fait de manière naturelle car depuis un an je m'occupe de la prise en charge des Covid au sein du groupe de cliniques OC santé sur Montpellier. Je suis interniste et j'ai été amené à voir en consultation, essentiellement depuis le dernier trimestre 2020, des patients qui arrivent avec des symptômes persistants, après des épisodes suspects ou confirmés de Covid. J'ai donc commencé à échanger avec l'association AprèsJ20 à propos de mes patients, une association qui fait remonter de nombreux cas de patients pour lesquels il n'y a pas encore de solutions. La présidence de l'association m'a alors demandé si je voulais rejoindre le conseil scientifique de l'association : j'ai accepté car je pense que les Covid longs sont un enjeu médical et sociétal en train d'émerger.

 
Je pense que les Covid longs sont un enjeu médical et sociétal en train d'émerger  Dr Jérôme Larché
 

Les Covid longs présentent-ils des symptômes différents des autres Covid?

Dr J.L. : Les symptômes sont très polymorphes et ce ne sont pas forcément ceux des Covid aiguës, mais il y a des symptômes en commun. Nous rencontrons ainsi beaucoup de cas d'agueusie et d'anosmie, et de grandes fatigues. Nous constatons aussi des symptômes tels que des douleurs thoraciques, des douleurs articulaires, des gênes respiratoires, des dyspnées... Ce sont des gênes dans la vie de tous les jours, au moindre effort. Nous retrouvons aussi un symptôme chez tous ces patients, que l'on qualifie de « brouillard cérébral », c'est comme cela qu'ils le définissent : troubles de concentration, de mémoire, impossibilité de faire un travail cognitif prolongé... Ce sont des gens qui ont du mal à reprendre le travail, donc qui rencontrent des problèmes financiers, sociaux, lesquels créent une détresse psychologique secondaire et causal.

À partir de quelle durée peut-on définir un Covid long ?

Dr J.L. : Selon la Haute Autorité de Santé (HAS), ce sont des symptômes qui persistent au-delà de quatre semaines, pour des cas confirmés ou non de Covid. Rappelons que lors de la première vague, de nombreux patients n'ont pas pu bénéficier de tests, même s'ils présentaient les symptômes du Covid. Il y a donc très certainement des patients qui ont fait des Covid sans qu'ils n'aient été détectés au début de l'année 2020. Nous les retrouvons parmi les Covid longs.

Où en est-on de la prise en charge et des traitements contre les Covid longs?

Dr J.L. : Actuellement, la problématique du Covid long est sa compréhension. Nous savons que la Covid est une maladie virale avec une capacité inflammatoire extrêmement importante, une dysrégulation endothéliale sur un certain nombre d'organes liés aux récepteurs de l'enzyme de conversion de l'angiotensine, et qui peut donner une dysrégulation immunitaire et inflammatoire, avec des éléments de dysautonomie cardiaque ou neurologique. Pour le moment nous essayons de comprendre la cause de tout cela. Il n'y a pas d'étude aujourd'hui qui propose des traitements validés, mais il faut aussi écouter les patients, et avoir une approche diagnostique complète en cherchant d'autres pathologies. Il faut aussi privilégier une approche multidisciplinaire car si on ne fait pas intervenir des cardiologues, des neurologues, des internistes, on ne peut pas comprendre l'ensemble du tableau. Il y a là des parcours de soins structurés et multidisciplinaires à mettre en place et c'est un véritable enjeu. En termes de traitements, nous proposons des AINS en cures courtes, dont l'efficacité est aléatoire. Nous proposons aussi de la réadaptation cardiorespiratoire et olfactive. Il faut accompagner ces patients pour les habituer de nouveau à avoir une activité respiratoire et/ou cardiologique. Nous sommes limités en termes de traitement car la compréhension des Covid longs n'est pas achevée.

Combien de patients en France souffrent de Covid longs ?

Dr J.L. : Il y a plusieurs études qui sont été menées, avec des méthodologies différentes, mais le chiffre de 10% en moyenne de Covid long sur l'ensemble des Covid est acceptée. Actuellement, à l'échelle mondiale, il y a à peu près 115 millions de cas confirmés. En France, il y a 3,5 millions de cas confirmés, mais en réalité nous sommes plus proches des 5 millions de cas, ce qui veut dire qu'en France il devrait y avoir 500 000 cas de Covid long. C'est un chiffre important. Nous pouvons ainsi prévoir un véritable tsunami d'incapacité chronique qui risque d'affecter nos ressources médicales. C'est un enjeu sociétal qui est en train de se profiler.

 
Nous pouvons ainsi prévoir un véritable tsunami d'incapacité chronique qui risque d'affecter nos ressources médicales  Dr Jérôme Larché
 

Quels sont les patients concernés ? Quels sont les enjeux sociétaux que vous évoquez ?

Dr J.L. : Nous nous rendons compte que ces Covid longs concernent des gens qui n'ont pas forcément été hospitalisés, qui sont dans la force de l'âge et qui n'avaient pas de pathologie antérieurement. Dans ma patientèle de Covid long, je rencontre beaucoup de gens qui ont entre 30 et 40 ans, qui n'avaient pas de pathologie particulière auparavant et qui sont dans l'incapacité de travailler. Il y a là un vrai enjeu qui dépasse le médical. C'est pour cela que la proposition de loi votée est très importante car c'est un premier pas vers une reconnaissance institutionnelle de cette maladie. Les recommandations de la HAS sont déjà en soi une reconnaissance médicale de cette maladie. Il faut maintenant reconnaitre le Covid long comme une affection de longue durée (ALD) car cela peut durer plusieurs mois, et il y a de nombreux patients qui sont impactés depuis un an. La reconnaissance sociétale doit aller de pair maintenant avec un accompagnement financier car ce sont des gens qui se retrouvent désormais dans des situations compliquées.

 
Il faut maintenant reconnaitre le Covid long comme une affection de longue durée (ALD) car cela peut durer plusieurs mois, et il y a de nombreux patients qui sont impactés depuis un an  Dr Jérôme Larché
 

N'est-il pas un peu tôt pour reconnaitre les Covid longs en tant qu’ALD ?

Dr J.L. : La réalité c'est que nous sommes encore dans un contexte pandémique, nous sommes sur un plateau long et la Covid ne va pas disparaître du jour au lendemain. Nous savons que pour certains patients, les symptômes du Covid long s'atténuent avec le temps mais ce n'est pas systématique. Personne ne peut assurer que dans six mois les personnes affectées par des Covid longs seront guéris ou pas. On ne connait pas non plus les conséquences à très long terme. Nous savons juste que nous avons vu apparaître cette maladie dans la maladie, qui touche 500 000 personnes. Nous pouvons faire le pari que c'est transitoire, mais les personnes qui sont affectées ou qui prennent en charge ces patients n'ont pas cette vision, car ils y sont confrontés quotidiennement, de manière concrète. Il faut donc des moyens financiers pour la recherche. Aux États-Unis, ils vont investir 1 milliard dans la recherche sur le Covid long. En attendant que les recherches aboutissent, je suggère d'encourager la téléconsultation, et la télé-expertise pour les patients atteints de Covid long, le temps que des parcours de soins se mettent en place à l'échelle nationale. La télémédecine pourrait permettre à ces patients d'avoir un suivi médical pour qu’ils ne restent pas à l'écart du système de santé.

 

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