Paris, France — Une fois n'est pas coutume: pour son rapport annuel 2021, la Cour des comptes a consacré un tome entier à la prise en charge, durant l'année 2020, de la pandémie Covid par les services de l'État. Qu'il s'agisse de l'aide au retour des Français retenus à l'étranger, de la continuité scolaire, de l'hébergement des personnes sans domicile fixe, ou encore du fond de solidarité aux entreprises, tout y passe. Plus spécifiquement, les sages de la rue Cambon se sont penchés sur la « réanimation et les soins critiques en général », pour conclure que le secteur était « mal préparé à affronter la crise » et appeler à « mieux armer » le secteur en repensant le modèle après la crise.
19 580 lits de soins critiques
Fin 2019, rappelle la cour des comptes, la France comptait 19 580 lits de soins critiques, dont 5433 lits de réanimation. « La pandémie a occasionné un double choc sur l'activité en réanimation », expliquent les rapporteurs : d'une part le nombre d'entrées quotidiennes a connu une hausse de +65,3% dans la semaine du 18 mars par rapport à la même période l'an dernier, d'autre part les capacités de réanimation ont été doublées, passant de 5080 lits à 10 707 lits à compter du 15 avril. Ces deux faits notables peuvent induire le lecteur en erreur : car malgré la grande plasticité de ces services, force est de constater qu'ils n'avaient pas du tout été préparés à accueillir pareil choc, tel que l'explique la Cour des comptes.
Baisse du taux d’équipement en réanimation
Ainsi le taux d'équipement en lits de réanimation a sensiblement baissé depuis 2013 : à la veille de la crise sanitaire, ce taux n'était plus que de 37 pour 100 000 habitants de plus de 65 ans, contre 44/100 000 en 2013... En conservant le ratio de 2013, la France aurait dû disposer de 5949 lits de réanimation au début de la crise, soit quasiment 1000 de plus que l'existant.
Que s'est-il donc passé, en un peu plus de six ans ? Les modes de financement ne sont pas étrangers à cette relative déliquescence des services de réanimation « qui on fait de la réanimation une activité structurellement déficitaire ».
Ainsi sur la période 2014-2019, les tarifs des séjours (GHM) associés aux services de réanimation, au nombre de 27, ont connu une baisse de 9% en moyenne. Parallèlement les charges augmentaient, sur la même période : +7% en réanimation, +9% pour les unités de surveillance continue.
« À titre d’illustration, un séjour en réanimation représente une charge moyenne de 1 848 € par jour d’hospitalisation en 2018, contre 1 691 € en 2014 », ajoutent les hauts magistrats. Cette augmentation des charges est causée par une augmentation des dépenses de personnels médicaux (+13%) ainsi que les charges de logistique et de gestion générale (+15%).
Ressources médicales en berne
Cette crise du financement va de pair avec une crise des ressources humaines « et la crise sanitaire n’a pas conduit les autorités à modifier sensiblement ces effectifs », relève la Cour des comptes.
Seulement 60% des postes de praticiens hospitalier en anesthésie-réanimation (MAR) ont été pourvus lors des quatre derniers concours de PH, et 50% des postes de réanimateurs (MIR). « Le taux de vacance statutaire des praticiens hospitaliers en anesthésie- réanimation (42 %) est également nettement supérieur à la moyenne (36 %) », ajoutent les rapporteurs de la cour des comptes.
Ces tensions devraient s'accroître dans les dix prochaines années, car 40% des MAR ont plus de 55 ans, et 22% entre 60 et 64 ans. Au niveau de la formation initiale, la cour des compte regrette également la faible progression du nombre de places en MIR et MAR. « On constate donc que, face à ces évolutions et aux besoins croissants en soins critiques liés au vieillissement de la population, le nombre de postes de MIR proposés aux épreuves classantes nationales demeure trop faible (74 en 2020), malgré une progression de 15 % depuis 2017. Celui des postes de MAR, beaucoup plus élevé (473 en 2020), n’a progressé que de 1,4 % de plus que la progression générale du nombre d’internes (3,6 %) », illustrent les hauts magistrats.
Côté infirmier, la cour des comptes relève des problèmes de recrutement notamment en Ile-de-France, mais ces tensions « résultent souvent d'une difficulté à les fidéliser, avec un turn-over important estimé à 24% en 2015 ».
Manque de coopération public/privé
Autre écueil relevé par la Cour des comptes : le manque de coopération entre le public et le privé. Pendant la première vague de Covid-19, les établissements privés ont été associés à la gestion de la crise sanitaire via l'octroi d'autorisations sanitaires exceptionnelles : « 31 autorisations exceptionnelles ont été accordées à 119 établissements de santé privés lucratifs et 25 à 23 établissements de santé privés non lucratifs. » Malgré ces autorisations exceptionnelles, les établissements privés n'ont pas été sollicités par la tutelle au-delà de leur capacité ordinaire : « 80 % des patients covid en soins critiques étaient hospitalisés dans un établissement du secteur public, 10 % à 12 % dans un établissement du secteur privé non lucratif, 7 % à 9 % dans un établissement du secteur privé lucratif. »
Ainsi les fédérations de l'hospitalisation privée regrettent que « l’association du secteur privé ait été parfois tardive et souvent en dernier recours ». Des patients, selon la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP) auraient été accueillis « en mode dégradé » dans des hôpitaux publics surchargés, « alors que des places étaient disponibles en cliniques ».
Recommandations
Il y a donc urgence à réformer le financement des services de réanimation, mais aussi la formation et la gestion des ressources humaines. La cour émet une série de recommandations pour optimiser à l'avenir les services de réanimation. À commencer par la mise en place d'un mode d'organisation qui associe de manière harmonieuse public et privé, l'augmentation du capacitaire en réanimation en fonction du vieillissement de la population, la révision du plan de formation initiale des infirmiers et la création d'une spécialité infirmière en réanimation, ainsi que la détermination d'un nouveau modèle de financement des soins critiques « afin de garantir la neutralité de la tarification à l'activité ». Pour ce qui est des ressources médicales, la Cour des comptes préconise un renforcement « des effectifs des personnels médicaux », sans pour autant édicter de réformes précises pour y parvenir.
Les établissements de santé dans la tourmente
Pour envisager l'impact de la crise sanitaire sur les établissements de santé, la Cour des comptes s'est attardée sur les exemples néo-aquitains et franc-comtois. « Globalement, l’enquête a mis en évidence un état de préparation largement perfectible à une crise sanitaire de grande ampleur », concluent les rapporteurs.
Les établissements de santé se sont ainsi référés au plan blanc, malgré l'existence d'un plan plus adéquat, le plan national dédié aux risques épidémiques (Orsan-Reb).
Autre problème récurrent, rencontré par la quasi-totalité des établissements de santé : l'absence, en nombre suffisant, d'équipement de protection individuel. Idem pour les respirateurs.
Pour faire face à l'afflux de patients atteints de Covid-19, les hôpitaux ont dû déprogrammer en masse des opérations principalement en chirurgie, mais l'impact a été moindre en médecine, cancérologie, ou encore gynécologie-obstétrique.
En ce qui concerne les patients Covid, il a été difficile de distinguer ceux qui étaient confirmés de ceux qui ne l'étaient pas, par manque de tests.
Aussi, la crise du Covid a eu un réel impact sur les ressources humaines des hôpitaux étudiés, marquées par un fort taux d'absentéisme, dû à des congés maladie ou à des gardes d'enfants.
La Cour des comptes constate également que la prime Covid, attribuée à l'ensemble des personnels qui se sont mobilisés pendant la phase pandémique, a été distribuée avec difficulté.
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Citer cet article: La Cour des comptes déplore la déliquescence des services de réas - Medscape - 23 mars 2021.
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