
Dr Benjamin Davido
Paris, France ― Messages contradictoires, mise en doute du bénéfice collectif des vaccins, ralentissement de la campagne de vaccination... la suspension du vaccin AstraZeneca, alors que la France est de nouveau au plus haut de la crise, aura des conséquences à long terme selon le Dr Benjamin Davido.
Medscape ― La France vient de suspendre l’utilisation du vaccin AstraZeneca en attendant l’avis de l’EMA. Que pensez-vous de cette décision?
Benjamin Davido ― Il est vraiment dommage que, sous le coup de l’émotion et voulant faire du zèle, ce soit la décision « européenne » — sous la houlette du couple franco-allemand — qui l'ait finalement emporté. Nous n’avons pas été capables d’anticiper la situation présente, à savoir celle où chaque pays d’Europe se mettrait à décider unilatéralement, conduisant à semer le doute dans l’esprit de chacun sur la vaccination. Cela a été d’abord le choix du Danemark, puis de l’Islande, de la Norvège etc. Pourtant on ne peut pas dire que la crise frappe très différemment toute l’Europe, on ne peut pas justifier que chacun applique un principe de précaution pour des raisons fondamentalement différentes. Je trouve que la France avait très bien réagi au départ en choisissant de ne pas ralentir la campagne de vaccination à la vue des premières données de l’EMA et du PRAC. Mais tout d’un coup, on a décidé de faire marche arrière et implicitement de semer le doute.
Medscape ― Quelles vont être les conséquences de cet arrêt de la vaccination pour les soignants?
Benjamin Davido ― Le vaccin AstraZeneca avait déjà été pointé du doigt il y a une dizaine de jours par certains soignants. Mais à ce moment-là, on nous avait expliqué que les soignants n’avaient pas de raison de douter et que, dans un élan d’exemplarité, ils devaient au contraire se faire vacciner avec le vaccin AstraZeneca. Je rappelle que si aujourd’hui seulement 30 % des soignants sont vaccinés (six fois plus que la population générale), c’est en partie dû au fait qu’« il n’y a pas de vaccins pour tout le monde », d’où la mise en place d’un calendrier des personnes prioritaires qui s’échelonne sur plusieurs mois. À ce propos, je trouve étrange d’avoir raisonné sur un critère d’âge uniquement (50 ans) et non pas d’exposition au risque chez les soignants. En effet, travailler en réanimation, en service Covid ou aux urgences devrait être un critère de priorisation indépendamment de l’âge. Durant la première vague, nous avions bien observé que la contamination à l’hôpital se faisait en fonction de l’exposition au risque. Au-delà, c’est un problème communautaire, la plupart du personnel hospitalier se contaminant principalement en dehors de l’hôpital, lors de rassemblements privés.
Suite à la décision de la suspension d’AstraZeneca, nous avons été obligés de jeter des doses et d’annuler des rendez-vous de vaccination alors même qu’on nous explique qu’il faut aller chercher la 7e dose (pour le Pfizer) ! Personnellement, je ne sais plus quoi dire à un soignant de mon hôpital qui prend des gardes en réanimation. Il était éligible à AstraZeneca et devait se faire vacciner, alors même que chaque jour perdu amplifie le phénomène déjà extrêmement tendu (avec plus de 95 % de patients COVID en réanimation en Île-de-France) et donc une véritable exposition au virus au quotidien.
Medscape ― Faut-il donc selon vous continuer à accélérer la vaccination?
Benjamin Davido ― Oui. Je suis référent du vaccin et c’est mon rôle de veiller à accélérer au plus vite la vaccination. Plus tôt on aura vacciné, plus l’hésitation vaccinale sera gommée. Faire un arrêt de 48-72 heures, c’est légitimer ces mêmes soignants qui, il y a dix jours, disaient « j’ai des doutes ». C’est repartir à zéro dans un travail de pédagogie sur la vaccination en générale. In fine, on a contribué à séparer le vaccin AstraZeneca des autres vaccins et on a «artificiellement alimenté» le droit de choisir. Ces discours antinomiques avec des va-et-vient décisionnels incessants (qu’on avait déjà connus avec l’intérêt du masque) rendent la situation extrêmement difficile à comprendre pour la population. D’ailleurs, les appels de gens qui ont été vaccinés il y a 8 jours et qui demandent ce qu’il faut faire, explosent. On alimente de nouveau la défiance envers ces vaccins dits technologiques alors qu’on était passé de 40% de gens qui voulaient se faire vacciner fin décembre à 60% en mars.
Medscape ― Qu’aurait-il fallu faire?
Benjamin Davido ― Il aurait fallu appliquer une décision uniciste et européenne d’emblée. Soit on annule tout par principe de précaution, soit on continue. Mais on ne peut pas, la veille au soir, dire « on a regardé les données de l’EMA, il n’y a aucun danger, c’est un non-événement au vue de la balance bénéfice risque du vaccin » et le lendemain expliquer que « l’Allemagne a appliqué le principe de précaution, donc nous allons l’appliquer ». Il faut bien comprendre qu’actuellement le calendrier est extrêmement serré avec une forte tension sur la vaccination. Normalement, dès jeudi, nous aurons une décision, alors à quoi bon tergiverser? De mon point de vue, le vaccin AstraZeneca est désormais entaché et va redevenir un vaccin de « deuxième rang » puisque les gens garderont à l’esprit qu’il a entraîné des questionnements multiples sur ses effets indésirables, même si son innocuité est démontrée. Cela fait beaucoup de polémique pour un même vaccin en l’espace de 15 jours...
Medscape ― La communication sur les effets éventuels du vaccin a-t-elle été suffisamment bien expliquée?
Benjamin Davido ― Oui, mais c’est une communication qu’on n’entend pas de la part des instances de sécurité des médicaments. De plus, au-delà du fait qu’on ne connaît pas le profil des gens ayant fait ces thromboses, cet effet thrombo-embolique est typiquement la singularité du Covid. Ne pas se faire vacciner parce qu’on a peur de ce doute est une erreur : s’il y a bien un lien de causalité qu’on connaît, c’est celui du risque thrombo-embolique et du Covid ! Si on ne se vaccine pas, on augmente son risque d’attraper la maladie et par là-même le risque thrombo-embolique. Il est dommage que cela n’ait pas été dit.
Medscape ― Quid du risque thrombo-embolique avec les autres vaccins?
Benjamin Davido ― Pour le vaccin Pfizer, ce risque avait été décrit dans les effets indésirables de phase 3, ce qui n’était pas le cas pour le vaccin AstraZeneca. Les effets indésirables du vaccin AstraZeneca sont de 0,66 %, Pfizer 0,3 % et Moderna 0,2 %. C’est moins de 1 %, donc extrêmement faible, d’autant plus pour un vaccin. On a oublié le rationnel et le curseur de la limite de tolérance d’un éventuel effet indésirable. Il aurait fallu ne pas céder sur la balance bénéfice-risque qui aujourd’hui est largement en faveur de la vaccination. Quand bien même il y aurait un lien de causalité vaccin-embolie-Covid, le bénéfice restera en faveur de la vaccination, surtout avec des vaccins aussi efficaces. Dans le pire des cas, cela obligera à avoir des catégories de patients éligibles à tel ou tel vaccin.
Medscape ― Des facteurs autres que scientifiques (politiques, tels que le Brexit), ont-ils eu selon vous une influence sur la décision de suspendre le vaccin AstraZeneca?
Benjamin Davido ― Depuis le 31 décembre, le Royaume Uni n’est en effet plus raccordé à l’Agence européenne du médicament, il a sa propre agence indépendante qui a permis de valider le vaccin 15 jours avant l’Europe… Et la diminution des livraisons et des commandes honorées par AstraZeneca a dû probablement agacer. Malheureusement, pendant 24-48 heures, on a laissé chaque État décider du sort du vaccin alors qu’il aurait fallu une décision européenne. L’achat de vaccins, comme la suspension, sont souvent politiques.
Medscape ― Va-t-on pouvoir se faire vacciner à la carte? Que répondre aux patients qui veulent se faire vacciner « mais pas avec l’AstraZeneca » ?
Benjamin Davido ― Moi je veux bien, mais la réalité est que nous n’avons pas de vaccin Pfizer ni Moderna sous la main. Il y a une tension sur la vaccination, donc ce n’est pas possible. Aussi, ce qui est nouveau, c’est l’association des vaccins au nom du laboratoire. Il y a de plus en plus de gens qui appellent les centres de vaccination pour demander le nom du vaccin. C’est du jamais vu. Quand vous prenez rendez-vous pour vous faire vacciner contre la grippe, vous ne demandez pas la marque. Quand on vous soigne à l’hôpital et qu’on vous administre un antibiotique, vous ne demandez pas non plus le nom du laboratoire.
Medscape ― Au-delà du laboratoire, ils renvoient également aux pays producteurs….
Benjamin Davido ― Oui, on a les vaccins Américains, Anglais, Russes, Chinois…. En accusant AstraZeneca, on accuse l’Angleterre… Mais quand bien même on aurait envie de choisir, la réalité est que nous n’avons pas de vaccin français. Dans les autres régions du monde, ils utilisent d’autres vaccins, certainement pour des raisons de coût. On oublie de rappeler que les Français ont ce luxe d’être vaccinés… Les vaccins Pfizer et Moderna sont les plus coûteux, donc ce n’est pas dans l’intérêt de la France, ni de l’Europe, de suspendre la vaccination AstraZeneca. On aura 7 millions de doses Janssen et 35 millions de Pfizer en cumulé à la fin de l'été. Donc nous n’avons malheureusement pas le temps d’attendre, ni pour autant de dire « on va remplacer un vaccin par un autre ».
Medscape ― Que répondre aujourd’hui aux patients qui questionnent leur médecin sur la vaccination anti-COVID?
Benjamin Davido ― Puisque le seul vaccin en ambulatoire, c’est celui d’AstraZeneca (compte-tenu de ses modalités de conservation), la possibilité de le remplacer avec un vaccin Pfizer ou Moderna n'est pas envisageable. Pour le médecin généraliste qui avait commandé des vaccins, le discours est simple : « il y a une décision de la direction générale de la santé de suspendre la vaccination, donc on ferme boutique ». Il doit renvoyer sa patientèle vers des centres de vaccination et des vaccinodromes. C'est tout ce qu'il peut faire. Ou alors leur dire « patientez jusqu'à la semaine prochaine, parce que la campagne de vaccination pourrait repartir. » On peut espérer que cela ne dure que deux jours, mais c’est clairement un frein à la vaccination ambulatoire.
Pour encourager les patients à se faire vacciner, il faudrait des slogans bien plus forts que les publicités actuelles, un peu désuètes, de la grand-mère qui embrasse ses petits-enfants. Il faut également être capable de cibler désormais une population plus jeune si l’on veut casser ces chaines de transmission. Je pense qu’on n’a pas assez insisté sur le bénéfice collectif. On parle toujours d’un bénéfice individuel, alors qu’aujourd’hui il y a beaucoup de données qui sous-tendent un bénéfice collectif sur la réduction de la transmission. C’est dommage.
Medscape ― La perspective des vacances de Pâques et d’été va-t-elle selon vous permettre de re-motiver les gens à se faire vacciner, notamment pour voyager ?
Benjamin Davido ― Oui, c’est un espoir. Mais même si en mai, 40 millions de Français veulent se faire vacciner, cela va être compliqué. AstraZeneca est notre deuxième vaccin commandé en termes de logistique puisqu’on aura 25 millions cumulés cet été (vs 35 millions pour Pfizer, 7 millions pour Janssen et 10 millions pour Moderna). En créant un doute et en l’enlevant du choix de notre arsenal, on risque de perdre un certain nombre de gens qui se feront vacciner.
Medscape ― Quelle leçon devrions-nous tirer de cet « épisode AstraZeneca » ?
Benjamin Davido ― Il faut être capable d’anticiper le prochain événement de ce type. Car le vrai risque est que cela se reproduise. Il y aura d’autres questionnements, c’est la nature des médicaments. Si dans un mois, on a un nouvel épisode avec le vaccin AstraZeneca ― par exemple avec un variant ― le vaccin ne s’en relèvera pas. Même chose avec les nouveaux vaccins. Celui de Janssen va arriver : qui nous dit qu’il n’y aura pas de doutes et que cela ne va pas encore créer de l’hésitation vaccinale? Il faudra prendre une décision à l’unisson et ne pas recréer un effet domino avec chacun des pays. Car de facto, on risque de se retrouver encore une fois avec le discours « moi je passe mon tour, j’attends qu’on ait plus de recul. » Sur l’échelle du temps, c’est terrible, car nous sommes de nouveau au plus haut de la crise. On ne peut pas se permettre de dire « il faut vacciner lentement pour surveiller la sécurité. » Aujourd’hui, la condition à un non-reconfinement en France est d’être capable de contrôler le flux de patients et d’accélérer la campagne de vaccination pour faire baisser les admissions – c’est un enjeu qui se compte en semaines.
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Citer cet article: La suspension du vaccin AstraZeneca aura des conséquences à long terme, selon Benjamin Davido - Medscape - 17 mars 2021.
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