Les professionnels de santé au cœur de polémiques autour de la vaccination

Aude Lecrubier

9 mars 2021

France — Depuis quelques jours, le secteur de la santé est secoué par deux fortes polémiques autour de la vaccination. L’une concerne la vaccination par les médecins de ville, avec une impossibilité de commande de vaccins pendant une semaine, ce qui a suscité l’incompréhension des médecins [1]. L’autre tient à la vaccination des professionnels de santé, jugée encore insuffisante à ce stade et poussant certains médecins dont l’Académie Nationale de Médecine à demander que la vaccination des soignants soit rendue obligatoire [1].

La commande de la semaine du 8 mars réservée aux pharmaciens

Alors que la vaccination en ville semblait prête décoller, l’élan des médecins libéraux a été stoppé net par une alerte de la Direction générale de la Santé  (DGS-URGENT) du dimanche 7 mars au soir. La note stipule que les commandes de doses de la semaine sont uniquement réservées aux pharmaciens.

« La commande de la semaine du 8 mars est exceptionnellement ouverte aux seuls pharmaciens en raison du faible nombre de doses livré par le laboratoire pour la semaine en question », a commenté la DGS pour Medscape édition française. « Sous réserve du respect du volume et du calendrier d’approvisionnement par le laboratoire, les commandes seront à nouveau ouvertes à l’ensemble des professionnels de santé susceptibles de vacciner en ville le lundi 15 mars, pour une livraison la semaine suivante », indique-t-elle.

En définitive, « les pharmaciens auront la possibilité d’injecter 347 000 doses de vaccins au titre des livraisons du 11 et du 15 mars », précise le ministère.

Vives réactions des médecins

La communauté médicale a été prise de court par cette décision de la DGS qui a suscité l’indignation. Le Collège de Médecine Général a dénoncé une «  erreur logistique et éthique majeure ». Il déplore un « dénigrement de la médecine générale et cette volonté politique de mise en concurrence ». Il regrette notamment que «  cette implication survienne au moment où les critères de priorisation nécessitent encore de connaitre les comorbidités du patient, comorbidités qui seront difficile à connaître [pour les pharmaciens]. Il eut été plus logique de n’avoir lors de leur implication que des critères liés à l’âge », précise le CMG dans un communiqué [3].

Dans un communiqué commun, les syndicats CSMF, FMF, MG France et SML « crient ensemble leur indignation ». Ils considèrent qu’il est « invraisemblable de demander aux professionnels le jeudi soir de vider les stocks de vaccins le week-end suivant, et de leur interdire de vacciner les jours ouvrables des semaines qui suivent » et « irrespectueux d'épuiser les soignants déjà surmenés, et simultanément de leur reprocher de ne pas utiliser des stocks qui n'existent pas ».

Le Syndicat Jeunes Médecins pose lui plusieurs questions [4] : « Que va-t-on dire à nos patients programmés pour la semaine du 15 mars ? […] Quel respect la DGS a pour les heures que nous avons passées, en plus de nos journées de consultation, à contacter les patients, organiser nos plannings et nos cabinets pour gérer le flux de patients, leur surveillance et les consultations habituelles ? Qu’en est-il de ces 75% de stocks de doses d’AstraZeneca qui n’auraient pas fait l’objet d’injections ? Pourquoi ne nous sont-ils pas livrés pour justement permettre la montée en puissance de la campagne vaccinale ? ».

La réponse à cette dernière question a été donnée par le ministère. Il explique qu’au 9 mars, 400 000 doses ont été injectées par les médecins de ville alors que les commandes faites par ces derniers ont donné lieu à la livraison d’1,6 millions de doses. Il reste donc 1,2 millions de doses à écouler dont la plupart auraient déjà été livrées.

Un grand nombre de médecins devrait donc pouvoir continuer à vacciner aux cours des prochaines semaines, et ce, même si les nouvelles commandes de doses sont suspendues une semaine.

« il ne s’agit pas de se priver de la force de frappe des médecins. Nous en avons infiniment besoin », a souligné le ministère.

 

Jusqu’ici, les médecins de ville ont bénéficié de trois livraisons :

-la livraison de 550 000 doses entre le 22 et le 24 février au plus tard ;

-la livraison de 312 000 doses supplémentaires entre le 4 et le 8 mars au plus tard  ;

-la livraison de 765 000 doses supplémentaires entre le 11 et le 15 mars au plus tard.

Quid de la vaccination des professionnels de santé ?

L’autre point de tension de ces derniers jours concerne le taux de vaccination des soignants. Lors de la conférence de presse hebdomadaire du gouvernement du jeudi 4 mars, Olivier Véran a souligné que « 40 % des soignants en Ehpad et 30 % des soignants du système de santé » étaient vaccinés. « Cela ne suffit pas. En se vaccinant vous vous protégez vous et vous protégez vos patients ! » a-t-il indiqué, annonçant : « Dès demain, j’écrirai une lettre à l’ensemble des soignants de notre pays pour les inciter à se vacciner et pour les remercier pour leur engagement ».

Depuis la lettre d’Olivier Véran, « on constate, en prenant le pouls du terrain, qu’il y a une mobilisation des soignants qui commence à se faire sentir dans un certain nombre d’établissements. Nous sommes en phase d’observation », a indiqué le ministère le 9 mars.

L’explication avancée à ces taux de couverture vaccinale faibles est la réticence d’une partie des soignants à se faire vacciner. Mais, pour certains, comme le Collectif Inter hôpitaux, il ne s’agit pas là de la seule explication. Le CIH souligne que « les taux de couverture vaccinale présentés par le gouvernement n’ont pas tenu compte des personnels ayant un rendez-vous pour la vaccination mais non encore vaccinés, ni des soignants déjà contaminés et immunisés, qui ne sont donc pas prioritaires ». Il appelle plutôt qu’à jeter l’opprobre sur les soignants, à « simplifier les circuits, les procédures ».

L’obligation vaccinale : une option sur la table

Quoiqu’il en soit, pour éviter toute tergiversation, certains médecins et l’Académie nationale de médecine ont appelé à ce que la vaccination des soignants devienne obligatoire[2].

L’institution dénonce des taux de couverture vaccinale « notoirement insuffisants » et souligne que selon Santé Publique France « la population des soignants est à l'origine de 34% des cas groupés d'infections nosocomiales à SARS-CoV-2 [5].

Elle rappelle que les professionnels de santé constituent une catégorie légitimement prioritaire dans l'accès au vaccin et conclut sur le fait que « dans la situation épidémiologique actuelle […] La vaccination systématique des professionnels de la santé, devenue prioritaire, ne saurait être considérée comme facultative ».

« Considérant que l'hésitation vaccinale est éthiquement inacceptable chez les soignants, l'Académie nationale de médecine recommande de rendre obligatoire la vaccination contre la Covid-19 pour tous les professionnels de santé exerçant dans le secteur public ou libéral, dans les établissements de santé et dans les EHPADs, ainsi que pour les auxiliaires de vie pour personnes âgées »

Certains craignent toutefois que toute mesure coercitive soit « contre-productive », entraine des blocages et préfèreraient miser sur la pédagogie.

 

L'hésitation vaccinale est éthiquement inacceptable chez les soignants Académie nationale de médecine

 

 

 

 

 

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