POINT DE VUE

Amylose à transthyrétine : premiers résultats encourageants avec les ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9

Pr Ph Gabriel Steg

Auteurs et déclarations

25 octobre 2021

Le blog du Pr Gabriel Steg – Cardiologue

 

A l’occasion de la Journée Mondiale de l’Amylose, le Pr Gabriel Steg revient sur les résultats préliminaires prometteurs de l’utilisation de la technique d’édition du génome par ciseaux moléculaires CRISPR-Cas9 chez six patients atteints d’amylose à transthyrétine.

TRANSCRIPTION

Gabriel Steg – Bonjour. L’amylose est une affection relativement fréquente et grave dont une des formes principales est l’amylose à transthyrétine. De quoi s’agit-il? Il s’agit d’une maladie qui peut être héréditaire ou qui peut être acquise et qui entraîne l’accumulation extracellulaire de dépôt d’une protéine, la protéine amyloïde, qui est anormale. Ceci entraîne des conséquences neurologiques et cardiaques graves et potentiellement létales au bout de quelques années.

Des traitements qui ralentissent la progression de la maladie

Depuis plusieurs années, il existe des traitements de cette affection qui reposent soit sur des médicaments qui stabilisent la forme tétramérique de cette protéine, soit des médicaments qui inhibent l’ARN messager de cette protéine et, donc, vont diminuer la quantité de protéine produite.

Néanmoins, ces traitements, bien qu’ils entraînent une amélioration clinique qui est proportionnelle à l’inhibition de la production de protéine, traitements doivent être administrés à intervalles réguliers. Aussi, ils ont des effets secondaires, ils impliquent la coadministration de traitements qui, eux-mêmes, sont potentiellement toxiques et ils n’ont pas une efficacité absolue, ils ne font que ralentir l’évolution de la maladie sans la guérir.

1ère utilisation clinique de CRISPR-Cas-9 en cardiologie

Pour cette raison, sachant que l’amylose à transthyrétine est une maladie monogénique liée à une anomalie du gène, elle se prête particulièrement bien à de l’édition du génome. Et une récente publication dans le New England Journal of Medicine rapporte la première utilisation clinique de techniques d’édition du génome reposant sur CRISPR-Cas-9, la méthode qui a été mise au point par Jennifer Doudna et Emmanuelle Charpentier et qui leur a valu le prix Nobel, pour éditer in vivo chez l’homme le gène de la protéine TTR.

Comment est-ce que ça se présente ?

Ce sont des nanoparticules lipidiques (NTLA-2001) qui sont injectées par voie veineuse et qui sont rapidement opsonisées par l’apolipoprotéine E, ce qui entraîne la captation de ces nanoparticules lipidiques par les hépatocytes.

Ceci permet, donc, un ciblage hépatique de ces nanoparticules. C’est important, puisque la production de la protéine TTR est quasi exclusivement hépatique.

Ces nanoparticules pénètrent dans le cytoplasme des hépatocytes et libèrent le gène d’une endonucléase, qui va être traduit en cette endonucléase, et en un système d’édition du génome qui va pénétrer dans le noyau et qui va permettre de façon ciblée d’aller inhiber, d’aller éditer le génome à l’endroit de la protéine TTR, en produisant soit des insertions, soit des délétions qui vont inhiber la production de protéine.

Ceci a été validé in vivo chez différentes espèces animales, en particulier des singes, et on sait qu’on est capable d’inhiber de façon extrêmement prolongée – définitive a priori – et de façon très complète la production de la protéine TTR.

Chez l’homme, sur 6 patients qui ont été traités, si je me souviens bien, en Australie et au Royaume-Uni, deux doses de ces nanoparticules ont été utilisées, la dose la plus faible entraînant une inhibition d’environ 50 % de la production de la protéine et la dose la plus forte entraînant une inhibition de l’ordre de 80 % à 85 %, inhibition qui se maintient au-delà de 28 jours, ce qui est l’intervalle auquel on a regardé, mais qui, a priori, devrait se maintenir.

Une nouvelle extraordinaire

C’est une nouvelle assez extraordinaire pour plusieurs raisons. D’abord, parce que cela ouvre la voie à la guérison d’un certain nombre de maladies génétiques par édition du génome, ce qui était l’espoir qui explique le Nobel qui a été donné à ces scientifiques pour cette technique CRISPR-Cas-9.

Deuxièmement, c’est la première application dans le domaine des maladies cardiovasculaires, à ma connaissance, même si d’autres applications sont à l’étude, en particulier pour le traitement des hypercholestérolémies, ce qui fait l’objet de beaucoup d’études en cours par des scientifiques de très haut profil, et d’autres applications similaires sont en cours.

Troisièmement, parce que le traitement semble jusqu’ici bien toléré, que les modélisations qui ont été faites des conséquences à long terme et des effets secondaires semblent assez rassurantes, même si, évidemment, il est encore trop tôt pour se prononcer.

C’est une nouvelle extrêmement importante que cette première application en cardiologie clinique des techniques d’édition du génome.

Un petit échantillon de patients et encore peu de recul

Néanmoins, il est important de souligner les limites de ce travail. D’abord, un tout petit effectif – 6 patients. Deuxièmement, un recul encore extrêmement insuffisant et d’autant plus insuffisant que, compte tenu du faible effectif, il est impossible de se prononcer sur la sécurité réelle de ce type de traitement à moyen et long terme et qu’il va falloir avoir beaucoup plus de sujets traités et beaucoup plus de recul.

Dernier point, il faut bien se rendre compte que c’est une maladie pour laquelle nous avons désormais des traitements, il y a des alternatives, et donc il va falloir mesurer le rapport bénéfice-risque par rapport aux techniques compétitives, que ce soit en termes de toxicité ou effets secondaires éventuels, en termes de mise en œuvre, en termes de coût – toutes ces questions sont ouvertes et je ne doute pas qu’elles vont susciter d’extrêmement vifs débats dans la communauté scientifique et dans la communauté cardiologique.

Néanmoins, l’amylose reste une affection très grave, extrêmement sérieuse, pour laquelle les traitements que nous avons aujourd’hui ne font que ralentir l’évolution, et l’avènement clinique de techniques d’édition du génome laisse espérer une possibilité de traitement radical – je n’ose prononcer le mot de guérison –, mais en tout cas le traitement radical de la maladie et traitement potentiellement définitif.

 
L’avènement clinique de techniques d’édition du génome laisse espérer une possibilité de traitement radical – je n’ose prononcer le mot de guérison.
 

C’est une nouvelle extrêmement importante que je voulais partager avec vous et je crois que nous devrons tous, collectivement, suivre avec très grande attention l’évolution de ce type de traitement en cardiologie.

Voilà. À bientôt sur Medscape.

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