Mal-être des étudiants en médecine : les externes croulent sous les difficultés

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

9 mars 2021

France— Réquisitionnés pour assurer des tests PCR, ayant perdu leur job étudiant, isolés socialement, en précarité financière, stressés par la préparation du concours de 6e année…certains externes sont au bout du rouleau. Pour rendre compte de leurs difficultés, nous avons recueilli le témoignage de deux externes, Pauline et Marie 1, et interviewé Morgane Gode-Henric, présidente de l’Association nationale des étudiants en médecine de France (Anemf).

1 : le prénom a été modifié pour des raisons de confidentialité

A deux doigts du burn out

« Quand je rentrais chez moi, je me mettais à pleurer, hurler, crier… Cela a été très compliqué psychologiquement… » De l’autre côté du téléphone, la voix de Pauline tremblote un peu. Les plaies n’ont pas eu le temps de cicatriser. Les dernières révisions de partiels ont laissé des traces. Externe en 4e année de médecine à Nantes, elle se souvient s’être « fait peur » à la fin du premier semestre. Avec le recul, elle était « à deux doigts du burn out » en janvier dernier. « J’étais à fleur de peau, je me mettais à pleurer pour un oui ou pour un non, la moindre chose me faisait sortir de mes gonds. Je sentais que c’était en train de péter… »

Le cas de Pauline est loin d’être isolé. La crise sanitaire a jeté une lumière crue sur le mal-être et la hausse des troubles anxieux-dépressifs chez des étudiants en médecine, qui « avant même le Covid, rencontraient de nombreuses difficultés », rappelle Morgane Gode-Henric. Dans le rapport Santé mentale 2020, publié le 8 décembre dernier et signé par toutes les fédérations et syndicats représentatifs des étudiants en santé, on apprenait notamment que 27,7% des étudiants en médecine souffrent de dépression. Ces chiffres datent de 2017, explique Morgane Gode-Henric qui pense que ces troubles dépressifs « ont augmenté depuis le début de l’épidémie, notamment en raison des confinements successifs ». Selon elle, « la situation est d’autant plus grave que les troubles dépressifs chez les étudiants en médecine relèvent d’une problématique ancienne qui n’a toujours pas été réglée », malgré les propositions des organisations étudiantes depuis plusieurs années.

Externes : chevilles ouvrières de la politique de tests Covid ?

Autre problème de taille : la crise de la Covid-19 a accentué les failles qui existaient déjà. Notamment en stage, car, en raison de l’épidémie, les étudiants en médecine, en particulier les externes, doivent trop souvent « faire des actes administratifs, des actes de brancardage, d’aides-soignants ou d’infirmiers pour pallier un manque de personnel », souligne Morgane Gode-Henric. Par ailleurs, certains se sont portés volontaires ou ont été réquisitionnés pour réaliser les tests PCR ou travailler dans les centres d'appel des Agences régionales de santé (ARS). Ce fut récemment le cas des externes en 4e année de médecine, qui, réquisitionnés par les Hospices civils de Lyon pour faire les tests PCR, ont estimé être "sous-payés", considérant que cette mobilisation « forcée » les privait d'une semaine de stage (les cinq jours de travail ont été décomptés de leur période de stage). La situation n’est pas rare : nombre d’étudiants du médical et du paramédical se sont retrouvés à réaliser des tests de dépistage à la chaîne. « Une main-d’œuvre à bas coût qui permet aux établissements de santé de dégager des marges », pour certains.

Besoin de moyens humains et financiers

Telles sont les raisons pour lesquelles le rapport Santé mentale 2020 de l’Anemf exige que des moyens humains et financiers soient déployés dans les services quand les étudiants sont sollicités pour du renfort en service Covid, afin notamment de permettre aux encadrants d’assurer leur fonction dans les meilleures conditions possibles. Ils demandent également que la réaffectation des étudiants de 3ème cycle en stage se fasse sur la base du volontariat, estimant que la réquisition doit « être utilisée en dernier recours et ne doit pas être un moyen de pallier le manque de professionnels de santé employés dans les établissements publics ». Par ailleurs, le rapport préconise également « un texte réglementaire contraignant type arrêté cadrant l’impossibilité d’être mobilisé plus de deux semaines par semestre en période de crise sanitaire » et « une mobilisation par le biais de contrats de type CDD ».

Quant à Morgane Gode-Henric, elle martèle qu’on n’en serait pas là si l’hôpital ne souffrait pas d’un « manque de personnels soignants lesquels, depuis le Covid sont, débordés. Ils sont tellement sollicités qu’ils n’ont pas forcément le temps de former les étudiants, de faire preuve de pédagogie… Or, les étudiants sont avant tout là pour apprendre leur futur métier et acquérir des connaissances. »  Parfois, ceux-ci se retrouvent à faire des actes qu’ils n’avaient jamais fait, poursuit la présidente de l’Anemf qui considère que « la première fois ne doit pas se faire sur un patient ». 

Pour couronner le tout, le respect des droits des étudiants en santé en stage continue à être trop souvent bafoué ou ignoré, estime le rapport Santé mentale. À titre d’exemple, Benjamin Bigaud, étudiant en 5ème année de médecine à Poitiers a fait des vacations d'aide-soignant à l'hôpital de Châtellerault le week-end. Ce qui faisait, en plus des stages, environ 80 heures par semaine sans compter les études. Le rapport demande donc aux hôpitaux de veiller au respect des temps de travail, à savoir des 48 heures hebdomadaires maximum de travail effectif, du cadrage horaire des gardes et demi-gardes, du repos de sécurité accordé après une garde ou une demi-garde.

Avec le couvre-feu, un rythme boulot-dodo-boulot…

Si l’on ajoute à cela la précarité des étudiants, la pression des examens, la crise sanitaire, les confinements et les couvre-feux, le manque de lien social avec sa famille ou ses amis, on peut comprendre que certains craquent ou soient sur le point de craquer. À l’image de Pauline qui, telle une stakhanoviste des temps modernes, a glissé sans s’en rendre compte « dans une spirale de révisions ». À Nantes, le système est le suivant pour les externes : un mois en stage, un mois en cours, et ainsi de suite, jusqu’aux partiels. Tout allait plutôt bien pour elle, jusqu’au deuxième confinement, suivi du couvre-feu qui a contribué à renforcer l’isolement et la cadence de travail élevée de l’externe qui passait sa journée en stage à l’hôpital, avant de rentrer chez elle à 19h pour réviser les partiels du premier semestre « car la vie s’était arrêtée à l’extérieur ». Du travail à la chaîne, 24h/24, 7j/7… Boulot-dodo-boulot… « Je me suis mise beaucoup de pression. Je me disais « plus je travaillerai, mieux ça sera. ». Et cela, tous les jours, sans cours en présentiel, sans activité à l’extérieur, sans véritable coupure, sans pouvoir se dire « je travaille jusqu’à 22h et après, je vais boire un verre avec des amis » en raison du couvre-feu. « Je n’avais plus vraiment de vie, je ne savais plus trop ce qui se passait… J’ai fini sur les rotules… »

Pour sortir de la spirale infernale, l’externe a pris le taureau par les cornes en décidant de « revoir des amis, de diner avec eux, de prendre du temps pour moi, de m’autoriser à faire du sport, à regarder une série une fois tous les deux/trois jours. » Pour « souffler, faire le vide dans ma tête. »

Pauline a également eu la chance de faire un stage enrichissant en psychiatrie où elle a été bien encadrée. Même si elle a été confrontée à beaucoup de décès en raison de l’épidémie. « Quand on voit que les patients tombent un à un en raison du Covid, on se demande quand ça va s’arrêter. C’est assez impressionnant à voir… »

 
Je n’avais plus vraiment de vie, je ne savais plus trop ce qui se passait… J’ai fini sur les rotules… Pauline
 

Faire face à l’avalanche de décès

Pour Marie, externe en 4e année à Besançon, l’avalanche de décès a également été difficile à supporter. D’autant plus qu’elle a réalisé son premier stage d’externat dans un service Covid, avec des personnes âgées. « L’ambiance était lourde, on a été confrontés très rapidement à la mort alors que l’on s’était attachés à certains patients… ». Heureusement, comme Pauline, elle été « très bien accompagnée et encadrée », contrairement à d’autres externes qui « ont fait des tâches qui n’étaient pas à faire, qui ont fait face à des remarques ou des comportements irrespectueux ». Enfin, elle a également pu profiter du soutien de sa famille et des externes du service. Sans oublier la psychologue qui « nous a beaucoup aidés ». Sa « co-externe » en a également profité, elle qui a particulièrement mal vécu cette épidémie. « Contrairement à moi qui avais un cocon familial, elle a vécu toute la crise toute seule chez elle car ses parents habitent loin. Elle a beaucoup souffert de solitude. »

Désormais les étudiants peuvent également bénéficier  de « chèque-psy » comme nous l’indiquions récemment, mais cette mesure « prend beaucoup de temps à être mise en place », selon Morgane Gode-Henric qui croit savoir que seules trois universités tests l’ont fait pour le moment. Pour la présidente de l’Anemf, « cette mesure a été annoncée très vite par le gouvernement pour calmer la colère des étudiants, mais il faut plus de ressources humaines, plus de ressources financières. » Si bien qu’aujourd’hui encore, quand un étudiant va mal, « il y a parfois deux semaines d’attente avoir un rendez-vous dans les Centres de soins Universitaire (CSU) ou avec un psychologue de l’université ou du CHU. Or, il arrive que l’étudiant ne puisse pas attendre deux semaines… » Elle exige donc plus d’investissement dans l’accompagnement psychologique des étudiants durant cette période particulièrement difficile.

L’ambiance était lourde, on a été confrontés très rapidement à la mort alors que l’on s’était attachés à certains patients… Marie

Perte de jobs alimentaires et hausse de la précarité

Pour la présidente de l'Anemf, les externes seraient les plus touchés car ils cumulent les difficultés : stress lié à la préparation du concours de 6e année qui sera déterminant pour leur avenir, stages, crise sanitaire, précarité importante…  En effet, les externes de 4e année gagnent à peine 260 euros brut en stage, contre 320 brut en 5ème année et 390 euros brut en 6 année, ce qui est « insuffisant pour vivre », selon Morgane Gode-Henric. En effet, 59,5 % des étudiants étaient totalement dépendants financièrement de leurs parents en 2019, selon l’enquête précarité 2019 de l’Anemf. Or, avec la crise économique, les difficultés financières des Français augmentent, « ce qui rend encore plus compliquée l’aide apportée par les parents », selon Morgane Gode-Henric qui ajoute que de nombreux étudiants ont aussi perdu leur job alimentaire : babysitting, cours particuliers, serveurs dans des bars ou restaurants…

Malgré la revalorisation des étudiants en médecine lors du Ségur de la santé 2 et la création d’une indemnité d’hébergement de 150€ brut pour les stages ambulatoires en zone sous-dense », l’Anemf revendique toujours à minima 390€ net mensuel dès la 4ème année de médecine, soit à la hauteur de la moyenne des salaires des stages dans l’enseignement supérieur au grade master, contre 205 euros net aujourd’hui pour les étudiants de 4e année. « On est très loin de la moyenne nationale, ce n’est pas normal, estime la présidente de l’Anemf. C’est une charge mentale immense de se dire « comment je vais faire pour manger, payer mon loyer, etc. » Il faudrait l’enlever pour que les étudiants puissent se concentrer sur leurs études. »

2 : le salaire de DFASM1 a été doublé lors de la rentrée 2020 (de 129€ à 260€ brut mensuel), celui de DFASM2 est passé de 251€ à 320€ brut mensuel, celui de DFASM3 de 289€ 390€ brut mensuel.

Des mesures insuffisantes

Quand on lui demande ce qu’elle pense des dispositions prises en janvier par la Conférence des doyens de médecine pour renforcer la protection et l’accompagnement des étudiants en médecine (lire notre article sur le sujet), celle-ci rétorque qu’elles ne sont pas suffisantes. « Ce qui est proposé est intéressant, mais cela ne va pas résoudre le problème de la santé mentale. On pourrait croire qu’il suffirait de quelques mesures, mais la santé mentale, c’est un peu comme un iceberg. Car, derrière, il y a aussi la précarité, les problèmes de stage, les problèmes pédagogiques, le Covid… Il faudrait agir sur de nombreux paramètres différents, et ça, cela prend énormément de temps…. Nous avons proposé des solutions, mais je trouve que l’on n’agit pas véritablement (lire ses propositions dans l’encadré ci-dessous) », conclut Morgane Gode-Henric.

Quelles mesures d’urgence prendre ?

Selon Morgane Gode-Henric, les mesures d’urgence suivantes doivent être prises pour remédier au mal-être des étudiants. Tout d’abord, s’attaquer à leur précarité en revalorisant leurs salaires durant les stages et en calquant les prix des repas des étudiants en médecine sur les prix du Crous (les CHU et CH sont la plupart du temps assez éloignés des restaurants universitaires). La présidente de l’Anemf demande également une augmentation du nombre de professeurs, mais aussi « une meilleure formation des encadrants (notamment en stage) et des étudiants qui doivent « être mentalement préparés aux problématiques qu’ils vont rencontrer ». Ce qui pourrait passer par des cours de sensibilisation aux risques psycho-sociaux, mais aussi par « apprendre aux étudiants que parler et dire que cela ne va pas, ce n’est pas être faible. Aujourd’hui, les étudiants ne parlent pas assez, car s’ils parlent, cela voudra dire que « je vais mal, je suis un étudiant faible et je serai un mauvais médecin. » Dernièrement, une étudiante en 4e année aurait entendu un chef de service dire à tout le monde : « Aujourd’hui, on ne peut plus rien dire, au moindre mot de travers, l’interne se suicide ». Des propos jugés inacceptables par Morgane Gode-Henric qui milite pour que des sanctions plus sévères soient prises pour les personnes qui tiennent ce genre de propos. « Aujourd’hui, des sanctions existent quand des personnes subissent du harcèlement moral ou des propos déplacés. Mais ce n’est pas suffisant, car on voit bien qu’il y a un malaise chez les étudiants, que les internes se suicident… Nous voudrions que cela aille plus loin en enlevant par exemple l’agrément qui autorise le médecin à encadrer des étudiants. Il faut des actions choc pour que les personnes qui tiennent ce genre de propos ne recommencent pas.

 

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