
Pr Francis Bérenbaum
France — Les patients atteints de maladies rhumatologiques sont-ils plus à risque de COVID-19 ? Sont-ils à prioriser pour la vaccination ? La vaccination doit-elle être adaptée ? Les AINS restent-ils recommandés en temps de Covid ? Le Pr Francis Bérenbaum (Chef du Service de Rhumatologie, Hôpital Saint-Antoine, AP-HP. Sorbonne Université, INSERM CDR) répond à ces questions pratiques.
Medscape édition française : Que sait-on aujourd’hui du risque COVID des patients atteints de maladies rhumatologiques ?
Pr F. Bérenbaum : Nous avons surtout des informations sur les rhumatismes inflammatoires comme la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante, le rhumatisme psoriasique et les autres maladies autoimmunes qui peuvent toucher les articulations. Ce qui apparait, c’est qu’il y a une petite augmentation du risque de formes plus sévères chez ces patients. Mais il n’est pas évident de dissocier ce qui est à mettre sur le compte de la maladie de ce qui est à mettre sur le compte des traitements immunosuppresseurs. Pour autant, on considère que les patients qui ont une maladie auto-immune ou un rhumatisme inflammatoire chronique sont, par principe de précaution, à risque. Les patients qui reçoivent de la cortisone au-dessus de 10 mg/j et ceux qui sont sous rituximab, sont à risque plus élevé de faire des formes graves car quand on prend de la cortisone ou du rituximab de façon chronique, on diminue son immunité.
Medscape : Avez-vous beaucoup de demandes de vaccination anti-Covid de vos patients ?
Pr F. Bérenbaum : Un grand nombre de nos patients pense que lorsque l’on a une maladie auto-immune ou une polyarthrite , la vaccination est contre-indiquée. Or, au contraire, il faut se faire vacciner même s’il n’y a pas d’informations sur ces pathologies dans les essais cliniques qui ont été réalisés avec les différents vaccins. Le risque est seulement que le vaccin ne soit pas aussi efficace. En routine, lorsqu’on met en route une immunothérapie ou du méthotrexate, nous faisons les vaccins avant pour avoir une efficacité optimale.
Medscape : Que disent les dernières recommandations des sociétés savantes sur la question de la vaccination anti-COVID ?
Pr F. Bérenbaum : Le dernier avis de la Société Française de Rhumatologie (SFR ) indique que « les patients atteints de maladies à médiation immune (IMID) sont plus à risque de développer des formes sévères de la Covid-19, s’ils souffrent de comorbidités classiques, s’ils présentent des atteintes viscérales spécifiques, si leur maladie est active et/ou s’ils sont traités par corticoïdes au long cours » et qu’à ce titre, « la vaccination de ces patients est nécessaire. »
Aussi, dans les nouvelles recommandations de l’American College of Rheumatology (ACR) [1], il est indiqué que ces patients doivent être priorisés pour la vaccination. Les médecins généralistes peuvent donc désormais choisir de les vacciner en tant que personnes étant à risque de formes graves de la maladie.
Medscape : Faut-il prendre des précautions particulières pour vacciner ces patients ?
Pr F. Bérenbaum : Dans ces nouvelles recommandations américaines, les experts recommandent de reporter certains traitements immunosuppresseurs autour de la vaccination afin de ne pas réduire l’efficacité du vaccin.
Cette recommandation a été faite par analogie avec le vaccin anti-grippal.
Il est recommandé de retarder d’une semaine la prise de méthotrexate et des inhibiteurs de JAK (tofacitinib, baricitinib, upadacitinib) pour la première injection et le rappel.
En parallèle, l’abatacept ne doit pas être administré une semaine avant et une semaine après la première injection du vaccin.
Pour les patients qui reçoivent du rituximab, des patients déjà priorisés, il faut aussi faire l’injection du vaccin à distance de la perfusion.
Concernant la cortisone, les recommandations américaines posent la limite de 20 mg/j de cortisone, la SFR a plutôt retenu 10 mg. Personnellement, je considère qu’une personne qui est sous-corticoïdes de façon chronique voit son immunité perturbée.
Enfin, ils mentionnent le cyclophosphamide qui se donne dans des vascularites graves, et qui est un immunosuppresseur très puissant. Il est aussi logique dans ce cas de repousser le traitement d’une semaine.
Medscape : Pour la prise en charge des douleurs rhumatologiques, la prise d’AINS de façon préventive est-elle contre-indiquée ?
Pr F. Bérenbaum : Contrairement à ce qui a été dit, c’est faux. Certes, quand on attrape la Covid, on ne recommande pas la prise d’anti-inflammatoires. Mais, préventivement, ne pas prendre d’anti-inflammatoires dans la crainte que cela augmente le risque d’avoir la Covid est injustifié. Cette hypothèse a été réfutée par les analyses de cohortes dans le monde entier. La demi-vie des AINS est courte donc si jamais on attrape la Covid, il suffit de les arrêter. Nous avons vu arriver dans nos cabinets de nombreux patients qui ont arrêté leurs AINS et qui étaient extrêmement douloureux. Tout ça pour rien…
Medscape : La crise Covid a-t-elle eu des conséquences sur la santé des patients atteints d’autres pathologies rhumatologiques (hors rhumatismes inflammatoires chroniques) ?
Il ne faut pas oublier les patients arthrosiques, qui représentent 10 millions de patients en France. Avec les confinements, les couvre-feu et les fermetures des salles de sport, ils sont devenus plus sédentaires, ils ont fait beaucoup moins d’activités physique. Or, le traitement le plus efficace pour soulager les douleurs d’arthrose, c’est de bouger. Ce qui est aussi vrai pour le mal de dos. En consultation, nous voyons beaucoup de patients qui ont limité leurs sorties, leur marche, leurs activités physiques car les personnes âgées s’auto-confinent quoi qu’on en dise et c’est problématique. Il y a plus de douleurs, plus de dépression parce qu’on a mal et qu’on est isolé. C’est un cercle vicieux qui touche beaucoup de personnes en France. Nous avons déjà alerté sur cette situation préoccupante[2].
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Citer cet article: Maladies rhumatologiques et COVID-19 : ce qu’il faut savoir - Medscape - 8 mars 2021.
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