Trouble de la personnalité borderline : le traitement basé sur les bonnes pratiques

Julien Moschetti

Auteurs et déclarations

8 mars 2021

Virtuel, France —  Compliqué à prendre en charge, le trouble de la personnalité borderline a suscité ces dernières années de nouvelles approches psychothérapeutiques spécifiques, dont les psychiatres suisses ont souvent été précurseurs (Lire Trouble de la personnalité borderline : focus sur 3 psychothérapies spécifiques).

Lors du Congrès de l'Encéphale 2021, l’un d’eux a présenté un traitement plus généraliste de ce trouble : le Good psychiatric management (GPM) qui pourrait se traduire par « prise en charge psychiatrique adaptée ». De quoi s’agit-il ? Quels sont ses caractéristiques et ses avantages par rapport à des traitements plus spécifiques du trouble borderline ? Les explications du Dr Patrick Charbon, psychiatre et psychothérapeute à Lausanne (Suisse).

Apporter des connaissances indispensables

Cette thérapie basée sur les bonnes pratiques représente « la part non-spécifique ou généraliste des connaissances sur le trouble de la personnalité borderline (TPB) », a expliqué le Dr Charbon.

L’idée est de proposer des grandes lignes de traitement pour des thérapeutes qui ne sont pas formés en thérapie spécialisée de type TBM (la thérapie basée sur la mentalization), TFP (la psychothérapie focalisée sur le transfert) ou TCD (la thérapie comportementale dialectique). Il s’agit d’être « suffisamment bon ».

Cette approche est plus récente que les différents traitements d’ « evidence-based practice (EBP)* » qui ont « contribué à déstigmatiser ce trouble et à sortir d’une espèce de mythe d’ « intraitabilité » de celui-ci. 

* L'Evidence-Based Practice (EBP) est une méthodologie permettant de réduire l'incertitude lors d'une décision clinique. Elle fournit une aide au choix thérapeutique en se basant sur les meilleures preuves issues de la recherche scientifique et l'expérience clinique, tout en tenant compte des préférences du patient.

Mais les traitements « evidence based » posent un certain nombre de difficultés, selon le psychiatre. Notamment parce qu’ils sont « extrêmement exigeants et demandent beaucoup de ressources (temps, formations…) aux thérapeutes et aux patients » qui doivent donc être particulièrement motivés pour suivre ces traitements. Telles sont les raisons pour lesquelles la plus grande partie des intervenants en santé mentale ne font pas ce type de traitements. C’est en partie pour remédier à ces difficultés que le Good psychiatric management (GPM) a été développé.

Inspiré des différents traitements existants, le GPM est un modèle intégratif qui répond au besoin d’apporter des connaissances indispensables pour réaliser une « bonne pratique générale » de la psychiatrie avec des patients borderline. Pour nombre d’entre eux, il se serait révélé presque aussi efficace que des traitements hautement spécialisés. Cette approche a été développée par John Gunder Gunderson, ancien professeur de psychiatrie l'université Harvard. Décédé en 2019, le psychiatre est l’un des créateurs, avec Otto Friedmann Kernberg et Roy Richard Grinker Sr., de la notion moderne du trouble de la personnalité borderline (TPB).

Le thérapeute doit être un soutien pour le patient

Quels sont les principes principaux du GPM ? Tout d’abord, il est basé sur des principes cliniques, et non pas sur des règles, ce qui offre au thérapeute une grande souplesse pour s’adapter à différents contextes.

Les huit principes qui guident le thérapeute GPM

  • Proposer de la psychoéducation. La psychoéducation sur le TPB en terme de symptômes, d’évolution attendue est indispensable et doit survenir dans les toutes premières consultations.

  • Etre actif, pas réactif. Le thérapeute évite à la fois la passivité et le catastrophisme

  • Etre réfléchi. Le thérapeute doit être un « modèle » de réflexivité.

  • La relation thérapeutique est réelle autant que professionnelle. Il faut anticiper que le patient va s’attacher au thérapeute, et vice-versa

  • Attendre un changement. L’absence de changement questionne l’efficacité du traitement.

  • Responsabiliser. Il est important de challenger l’évitement à généraliser ce qui est appris ou à réparer ses erreurs.

  • Focaliser sur la vie en dehors du traitement. Les relations actuelles et les activités scolaires ou professionnelles du patient sont centrales

  • Etre flexible, pragmatique et éclectique. L’adaptation à ce que le patient propose est le pivot de la thérapie.

Source : Le trouble de personnalité borderline : état de l’art et perspectives. Thèse de Sophie-Charlotte SLOVAK. 2020.

Le GPM prône d’être actif plutôt que réactif. « Il ne s’agit pas d’agir, mais d’anticiper, de prévoir, de poser des cadres ou anticiper les attitudes qui permettent de faire face aux difficultés, avant qu’elles n’arrivent. Car un certain nombre de difficultés dans les traitements sont prévisibles quand on connait le trouble », a souligné le Dr Patrick Charbon.

Autre principe important du traitement GPM : le thérapeute doit être un soutien pour le patient. « Être en soutien, ce n’est pas être tout le temps d’accord avec lui, mais c’est avant tout valider sa propre représentation des choses, même si elle est inadéquate ou ne correspond pas à la notre », selon le psychiatre qui a ajouté que le thérapeute devait aussi être attentif à la vie dans la réalité : « On ne cherche pas à construire un traitement qui soit séparé de la vie réelle, on va entretenir le lien entre la vie et le traitement. En disant parfois que le traitement n’a pas de sens s’il n’est pas accompagné de changements dans la vie. »

Avoir une conduite explicite à l’égard du risque suicidaire

Par ailleurs, la relation thérapeutique doit être à la fois réelle et professionnelle, ce qui signifie que « les choses qui sont mobilisées dans la relation thérapeutique sont de vrais affects », a poursuivi le psychiatre qui a ajouté que l’on attendait du changement dans un traitement GPM. S’il ne se produit pas, « on va être assez proactif, essayer de comprendre pourquoi le traitement ne donne pas les résultats escomptés. » Enfin, la responsabilité du patient devra être valorisée : « On ne va permettre au patient d’invoquer la maladie pour se défaire de sa responsabilité. »

Le traitement GPM aide aussi à identifier les liens entre les événements de la vie du patient et les affects que cela provoque, ses représentations internes et son comportement, notamment l’effet de ses comportements sur les autres. « Les patients viennent souvent en traitement avec une représentation très chaotique de ce qui leur arrive, donc c’est très important de les aider à construire des liens de sens entre les différentes manifestations de leur vie psychique. Tout cela donne un sens cohérent à cet apparent chaos des symptômes, mais aussi à la variabilité et la vitesse avec laquelle les différents symptômes peuvent se présenter », a précisé le Dr Patrick Charbon qui a également souligné l’importance d’avoir une conduite explicite et claire à l’égard du risque suicidaire et des comportements auto-dommageables non suicidaires. Enfin, les thérapeutes doivent êtes attentifs aux enjeux interpersonnels. Pour cela, ils sont invités à échanger avec leurs collègues, à avoir une collaboration explicite et active avec les autres intervenants.

Principaux intérêts : un langage commun et des modèles par paliers

Pour conclure, le Dr Patrick Charbon, a évoqué les principaux intérêts du GPM. Premièrement, sa facilité d’intégration qui permet « d’avoir un langage commun entre des gens qui ont des orientations théoriques différentes et qui appartiennent à des filières théoriques différentes. » Dans les institutions qui intègrent ces soins, d’autres formes de traitement plus spécialisées peuvent alors intervenir.

Deuxièmement, le traitement permet les modèles par paliers. « Tous les patients n’ont pas besoin du même traitement au même moment », selon le psychiatre qui a expliqué qu’il arrive souvent qu’un « même patient ait des besoins thérapeutiques différents à un moment ou un autre de sa trajectoire ». Cela veut donc dire qu’il peut y avoir des périodes de la vie d’un patient où l’on privilégiera un traitement très spécialisé, et d’autres où l’on mettra l’accent sur un suivi de type GPM. Un traitement qui sera non seulement utile « au début d’un traitement, pour l’investigation », ce qui permettra de proposer des formes d’intervention brève. Mais aussi « très utile chez les patients très chroniques qui évoluent peu ». Car le GPM donne une base d’intervention « pertinente et non désespérante », a plaidé le psychiatre.

Comment se former ?

Le GPM modèle s’adresse à tous les intervenants en santé mentale (médecins, psychologues…) dans une optique thérapeutique. Il est aussi facilement compréhensible pour que les autres intervenants (assistants sociaux, infirmiers…), ce qui facilite sa diffusion, a expliqué le Dr Patrick Charbon. Une seule journée de formation (2 fois 3 heures) pour acquérir le contenu théorique. Cette formation offre aux professionnels de la santé mentale, et pas uniquement les thérapeutes spécialisés dans les troubles borderline, « le minimum de connaissances spécifiques sur les TPB nécessaires pour prendre en charge de manière adéquate la plupart des patients qui souffrent d’un trouble borderline », selon le psychiatre.

 

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