France – Le congrès de psychiatrie de l’Encéphale 2021 a consacré l’une de ses sessions à un sujet original, mais malheureusement d’actualité – et qui risque de l’être de plus en plus –, à savoir les liens entre climat et santé mentale. Sujet brûlant, les associations entre santé et météorologie intéressent de plus en plus les chercheurs. En témoignent le nombre croissant d’études que mènent des organismes publics comme Santé publique France ou la Direction générale de la santé en collaboration avec des instituts de météorologie internationaux. Les organisateurs du congrès de psychiatrie ont d’ailleurs fait appel à Grégory Fifre, ingénieur chez Météo France (Strasbourg), pour détailler dans un premier temps les spécificités du changement climatique auquel nous assistons à l’échelle même de la France, sous la forme de canicules estivales et autres catastrophes naturelles à répétition. Le météorologiste a ensuite expliqué en quoi ces changements étaient susceptibles d’impacter lourdement notre psychisme.
2020 est l’année la plus chaude que la France ait connu
« Le climat a toujours évolué, les températures sur le globe oscillant entre cycles glaciaires et inter-glaciaires. Ce qui caractérise le réchauffement actuel, c’est sa rapidité et son ampleur inédite. Et il fait désormais consensus que l’homme est la cause de ce changement majeur », a posé en préambule Grégory Fifre. Le changement climatique dont on parle n’est pas pour demain ou dans les siècles prochains, « on le vit déjà depuis quelques décennies » a-t-il précisé, et, en effet, nombre de graphiques établissent une augmentation très nette de la température moyenne de la Terre à partir du milieu du XXième siècle – tendance qui s’accélère depuis une à deux décennies. « Ce qui est également très remarquable, fait remarquer l’ingénieur, c’est que la quasi-totalité de la surface du globe est impactée, même si les hautes latitudes sont plus touchées que la zone inter-tropicale ».
Cet effet est déjà très largement visible à l’échelle de l’Europe et de la France métropolitaine. Il n’est pas nécessaire pour s’en convaincre d’aller chercher des preuves très loin « 2020 est l’année la plus chaude que la France ait connu depuis le début des mesures qui ont été systématisées à la fin du XIXe siècle. Et sur les 10 années les plus chaudes, 7 appartiennent à la dernière décennie, ce qui montre bien l’accélération » ajoute le météorologiste.
L’ensemble des écosystèmes sont amenés à évoluer
La cause principale est à chercher du côté des gaz à effets de serre rejetés dans l’atmosphère, dont le CO2 issu des activités entropiques. Pour simuler le climat sur les 80 prochaines années du siècle, les chercheurs ont échafaudé des trajectoires réalistes d’émissions en équivalence CO2, en fonction des activités humaines probables. Ces trajectoires ont été regroupées en 4 scénarios, du plus optimiste au plus pessimiste. « Dans tous les cas, même avec le plus optimiste prévoyant une baisse drastique de nos émissions de CO2, la température ne va pas cesser d’augmenter au cours de ce siècle », a affirmé Grégory Fifre. Et selon le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), en 2100, la température sera comprise entre 2°C et 7°C au-dessus des normes de températures de l’ère pré-industrielle.
Des résultats qui ont de quoi inquiéter, et ce d’autant que cette augmentation de température colossale affecte l’ensemble des paramètres climatiques : précipitations, vent, humidité, pression atmosphérique…mais aussi la réponse des océans à ces stimulus – « ce qui a une importance capitale en termes de changement climatique » commente l’ingénieur.
Il en résulte que l’ensemble des écosystèmes de la planète qui dépendent directement des conditions météo sont amenés à évoluer. Risque de submersion côtière, sécheresse agricole sévère, recrudescence des feux de forêt, canicules plus longues, plus chaudes et plus sévères… énumère l’orateur.
Un fort impact sur la santé mentale
Quelle traduction vont avoir ces changements en termes d’impact sanitaire ? Le spectre est très large, avec des liens directs (comme les pathologies liées à la chaleur) et des liens indirects (maladies vectorielles, difficultés d’accès à l’eau potable et à la nourriture, problèmes liés à la pollution de l’air…). Dans un rapport de 2015, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « prévoit qu’entre 2030 et 2050, les changements climatiques provoqueront 250 000 décès de plus par an ». Parmi les pathologies imputables à cette surmortalité « programmée » citées par l’OMS : le paludisme, la diarrhée, la malnutrition mais aussi le stress thermique. Et, en effet, l’impact sur la santé mentale n’est pas la moindre des conséquences du changement climatique.
On considère trois types d’effet sur la santé psychique. Les effets directs comme le stress post-traumatique qui survient après la survenue d’une catastrophe naturelle de type tempête, tsunamis… « Sachant que l’on a des raisons de penser que ces évènements extrêmes vont être de plus en plus fréquents, plus violents et se produire sur des périodes élargies par rapport à aujourd’hui » précise Grégory Fifre.
Les conséquences de ces évènements climatiques amènent également à la destruction du tissu social lié aux déplacements de populations qui ne peuvent plus vivre là où a eu lieu la catastrophe naturelle. Le météorologue signale aussi « un lien très net observé entre températures et violence, la hausse de l’une entrainant la hausse de l’autre ».
Peur chronique d’un environnement condamné
Outre les conséquences directes, des effets chroniques sont de mieux en mieux objectivés. On se souvient de cette étude californienne parue en 2018 qui montrait, pour une augmentation moyenne mensuelle de la température de 1 °C, une augmentation de 0,7% des taux de suicide aux Etats-Unis et de 2,1% dans les villes mexicaines. « On sait que les fortes chaleurs mettent le corps à rude épreuve diminuant la qualité du sommeil et qu’un sommeil troublé peut altérer la santé mentale, explique Grégory Fifre, avant d’ajouter qu’« à l’avenir, la hausse des températures va être encore plus marquée pour les températures nocturnes autour de 20 à 22°C – seuil au-dessus duquel le corps peine à se régénérer. Enfin, il évoque la perte d’identité culturelle liée aux changements d’écosystème auxquels les Inuits ont été parmi les premiers confrontés, dès fin XXième siècle, s’accompagnant d’une augmentation des dépressions, des addictions et de tentatives de suicides.
Enfin, toutes ces données sont en elles-mêmes sources de préoccupations pour ceux qui les reçoivent, qui en viennent à développer dans les cas extrêmes, une « éco-anxiété ». C’est ainsi que l’on nomme la profonde détresse psychique que ressentent certaines personnes face à la situation actuelle. « Elles souffrent d’un mal que l’on définit comme la peur chronique d’un environnement condamné » résume l’ingénieur. Un mal peut-être plus fréquent que l’on croit car dans un sondage Ifop de 2018, sans aller jusqu’à parler d’éco-anxiété, 85 % de Français déclaraient être inquiétés par le réchauffement climatique, ce chiffre atteignant 93% chez les jeunes adultes (93% chez les 18-24ans).
Pour finir sur une note positive, Grégory Fifre a rappelé qu’il est encore temps de rester en dessous d’une élévation des températures de 2°C « à condition, comme l’a défini le GIEC en 2018, d’avoir la volonté politique, économique et sociétale de changer nos manières de vivre et d’aller vers un système plus vertueux vis-à-vis du climat ».
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Citer cet article: Changement climatique : quel impact sur la santé mentale ? - Medscape - 2 mars 2021.
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